Je suis une potiche

Je suis une potiche

Moi, jolie ou pas, mon existence restait insignifiante aux yeux de chacun.

Je voulais simplement laisser une trace de mon passage. J’espérais qu’on se rappelle de moi, en bien ou en mal. L’essentiel était que je vive dans l’esprit des autres quelques années de plus après mon trépas. Qu’une part de moi survive encore lorsque tout sera fini pour moi. J’avais des rêves plein la tête et mes réflexions sonnaient creux.

Je me justifie afin d’alléger ma conscience mais je garde à l'esprit qu'au fond ma décision était stupide.

J’avais un jour été accostée par un vieux barbu qui me tendit sa carte en me disant que j’avais toutes mes chances. Philippe Vebert, photographe. Je dépensai un peu pour me faire un book digne de ce nom et puis, et je m’inscrivis dans une agence de mannequinat, en même temps qu’une dizaine de filles qui se rongeaient les ongles et tournaient en rond en attendant que l’on appelle leur nom. Ils m’ont regardé, mesuré et pesé. J’étais dans les normes mannequin, ils m’aimaient bien et m’engagèrent.

J’aurais dû partir en courant, j’aurais dû ressentir quelque chose au fond de moi qui me disant de fuir.

On m’appela la semaine suivante : un défilé pour une petite marque qui montait dans le milieu. Je portai plusieurs ensembles étroits, troués et pas à mon goût du tout :le délire de l’artiste, avait-on dit. En tout cas, j’avais eu du succès, puisque s’ensuivirent de multiples défilés et shootings qui me propulsèrent toujours un peu plus vers le sommet, si vite qu’il m’arrivait de perdre l’équilibre. Dans ces moments-ci, mes amies mannequins me consolaient en m’amenant dans les meilleures soirées hype de la capitale ; où alcool et autres substances fusaient pour le plaisir de chacun. Et surtout pour les photographes. Rien de mieux dans cet univers que d’être vue bien entourée. Ça m’amusait, je me sentais invincible et victorieuse face à la vie que j’avais mené jusqu’à mon entrée dans le milieu.

On ne me demandait rien, sinon que de sourire. Je connaissais de plus en plus de monde, de jeunes artistes célèbres, et des gens qui ne savaient rien faire mais qui avaient le privilège d’être beaux, comme moi.

Avec l’argent des défilés - qui payaient bien – je pus me payer un studio dans le 6^e . Je côtoyais désormais les grands et je leur plaisais. J’étais ravie et ne me préoccupais que du présent, qui se montrait clément avec moi.

Les vaines ambitions de mes débuts se concrétisaient alors que je gagnais en assurance. À mesure que je gravissais les échelons qui me séparaient du sommet de la pyramide sociale du milieu de la mode, je mettais la barre chaque fois un peu plus haut. Je m’étais découverte une avidité qui se montrait utile par les temps qui couraient.

J’avais un objectif désormais : je ferai la couverture de Vogue. Toutes les filles en parlaient dans les défilés, sans oser formuler leurs vœux. Mais la confiance que j’avais acquise me permettait de conserver espoir et d’agir dans ce sens. Après tout, pourquoi pas moi ?

Cependant, je ne peux pas considérer que j’ai toujours joué à la loyale. Dans mon monde, il y a de ces choses qu’on ne dit pas, dont on n’est peu fier ; mais dont on connaît le succès.

J’ai couché avec une grande pointure de la mode. Je ne me suis pas forcée, il me plaisait assez dans le genre ; mais ni lui ni moi n’étions dupes. Il passa le coup de fil qui m’introduisit au niveau supérieur de la pyramide ; chez les Grands.

Deux mois passèrent, ponctués de multiples invitations à des shows, concerts et défilés. Je ne bossais plus beaucoup, ne privilégiant que les grandes marques et les collections osées. Mais je préférais les shootings magazines, on m’offrait les doubles pages qui payaient plus et qui augmentaient rapidement ma renommée au-delà des frontières.

Et, enfin ; on me proposa une couverture. Ce n’était pas Vogue, et je n’étais pas seule dessus. Mais j’étais tout de même ravie, j’acceptai aussitôt. J’étais fière, je criais haut et fort à qui voulait l’entendre que je réussissais, que ce n’était pas un métier si dangereux qu’on le disait.

La femme avec que je partageais couverture valait son pesant d’or et ne me supportait pas. Je m’étais donc faite toute petite durant le shooting tout en gardant à l’esprit que, même elle, ne pourrait me nuire. Si elle est si riche et talentueuse, pourquoi ne fait-elle pas la couverture toute seule ?, avais-je pensé. J’avais tort.

Elle contacta mon agence, l’homme qui m’avait introduit, ainsi que les plus influentes de mes amies. Elle les menaient tous par le bout du nez, une fille à papa milliardaire qui me faisait subir cette honte éternelle par ennui. Je ne pouvais pas vraiment lui en vouloir. Je retombai au bas de la montagne à la minute où elle exerça son petit pouvoir serti de diamant. Un milieu cruel, m’avait-on prévenue.

La semaine précédente je figurais dans la liste des filles à suivre, et d'un coup de baguette, je ne fus plus rien pour ces gens. Le mois passa trop vite, la couverture fut oubliée, tout comme moi. Je n’étais plus personne pour ces gens. Mon téléphone demeurait muet et ma boîte mail vide.

Aux temps où l’argent coulait à flot, j’avais pris des risques, placé de l’argent en bourse sous les conseils d’un expert à deux sous qui contribua à ma ruine. J’avais toujours mon studio, mais je n’avais plus de quoi payer les charges.  J’étais indéniablement dans la merde et j’accouru dans les bras de ma mère et lui priai de m’aider à me sortir de ce gouffre tout aussi financier que psychologique.

Je n’avais pas de formation professionnelle, j’avais arrêté la fac de psychologie en 2^e année, je n’avais donc pas de diplôme. Ne jamais considérer qu’on peut vivre du mannequinat. On ne peut qu’en survivre.

Je ne suis qu’un joli objet qu’il ne faut pas approcher de trop près. Une fille trop fragile, trop naïve. Une coquille vide.

Tout le monde est attiré par ce qui brille. Mais mon éclat s’est éteint à l’instant où j’ai décidé de vivre de ma beauté. Je suis seule responsable de ma perte. Je ne blâmerai personne. Mon âme, tout comme mon corps, sont souillés.

Ils n’ont vu en moi que la poupée qui se pliaient à leurs envies. La poupée qui fait la moue, docile et muette. Après tout, je ne sais rien faire d’autre.

Je suis une potiche.