Mauvaise humeur

Florence. Seg

Une seconde a suffit, mais on admet volontiers que l’évènement était prémédité. De toutes façons, même notre capricieuse mauvaise foi n’est pas dupe. C’est cette minute cruciale à laquelle les doigts engourdis esquissent une désactivation du réveil qui a loupé, condamnant à elle seule, omnipotente, les –désormais- miettes de ce qui avait été conçu comme étant une journée. A la place nous a été fourni un ersatz de félicité. ‘Manquait que la notice. Faute de mieux, on a fait avec, la bride d’une effusion de sentiments docilement calée sous le bras.

 Ingurgité avec une passivité feinte, le café avait le goût âcre d’une fin de vacances : brûlant, indécemment sucré, trop peu perfectible pour être avoué. Pure convenance, on penche pour une mimique de dégout, peut-être pour se donner bonne conscience, justifier cet accès de fureur ; personne n’en fera les frais mais elle nous enveloppe, son mépris ouaté est une solution de facilité, alors on s’y abîme. Après quelques pirouettes que justifie notre dit planning, on saute à pieds joints dans la béance du monde réel, et le bégaiement journalier accède au trône.

 Dès lors, plus rien n’est à sa place. On perd cet équilibre précaire face aux regards acides, aux phrases dont l’intonation convexe  nous aigri. Les minutes s’entassent sur nos épaules rachitiques et donnent à ces 24 heures une profondeur quasi-morbide. Et on s’en veut terriblement d’être soi-même lorsque la seule issue serait le glissement dans un corps subalterne, dans une tête autrement mieux faite et qui vivrait pleinement cette existence de parisien trop plein d’orgueil.

 Alors on endure.

 Tant bien que mal, on crispe les sourires, on parodie les bises, on fait mine de serrer les mains. On s’en tient au strict minimum car l’impolitesse dispense un goût amer dans notre gorge lunatique. La faute à papa-maman. Encore une fois.

 Et puis vient enfin la délivrance, unes à unes, toutes les cases on été cochées et une perspective aux contours radieux se dessine : on rentre à la maison. Si le trajet est long, très long, trop long, c’est un ami qu’on tutoie volontiers, et complices on rentre ensemble, sa main ténue dans la notre.

Le bruissement salvateur de la porte que l’on referme panse la blessure de notre solitude contrefaite et à la question fatidique on lancera lascivement un vague « Oui et toi ? », en toute légalité. On est soulagé de se glisser dans la mollesse synthétique des draps couleur de rire, et on bat des paupières comme on aimerait qu’il en soit de son cœur.

Demain, c’est décidé, la bonne humeur est notre otage.

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