Mécanique
zoulikha
La nuque penchée, elle restait immobile. Ses yeux traversaient la pièce mais son regard était vide.
Elle ne sentait plus l'espace, ne sentait plus son corps, ne sentait plus la vie.
Dehors, le vent balayait les feuilles. Parfois, la force d'une bourrasque la réveillait de son inertie. Elle parvenait alors à pencher légèrement la tête pour quelques minutes seulement, et vérifiait le cadran de l'horloge. L'aiguille se déplaçait ; mécaniquement, le monde avançait.
La lueur du jour faiblissait peu à peu et elle devait plisser les yeux pour observer le lit safrané s'étendre sur le pas de sa porte. Bientôt tout ne serait que désert blanc, sous l'emprise d'un épais manteau de neige, et elle regarderait le cycle inviolable des saisons.
Il lui fallait lutter pour ne pas fermer les yeux, pour ne pas s'oublier entièrement, et laisser le temps s'écouler sans elle. Sur le rebord de la fenêtre, près d'une plante sèche, la flamme d'un chandelier se reflétait sur les carreaux. La cire était figée, elle entourait la coupole comme la glace enferme les gouttières des maisons ; glace tranchante, pointue comme un pieux, cire flexible et malléable que les doigts créent, défont et recréent. Le faible scintillement de la bougie ravivaient en elle ces instants passés près de la cheminée l'hiver, où alors, on s'enroulait dans des couvertures et on s'endormait près du feu, jusqu'à ce qu'il meurt et qu'il ne reste que la cendre froide. Lorsque le sommeil n'était pas assez lourd pour supporter le froid, il fallait aller couper du bois, affronter la noirceur de la nuit et le silence statique de la forêt de sapins.
Ce soir, elle laissa la flamme s'éteindre.
Lentement, elle se leva du tabouret qu'elle avait placé devant la fenêtre et avec des gestes alanguis, elle le rangea sous le piano. Elle n'avait plus ressenti l'ivresse de la musique depuis de longs mois, ses doigts n'avaient plus effleuré le clavier que désormais seule la poussière recouvrait.
Elle se posta près du grand miroir qui ornait le couloir. Dans la pénombre naissante, elle fixa son visage, confronta son propre regard pendant de longues minutes et se noya dans une nébuleuse. Elle passa ensuite la main sur la surface lisse du miroir et dessina les contours de son corps avec son index.
Elle était nue.
Son corps n'était plus pour elle qu'une image, simple reflet d'une vacuité. Elle observait les mouvements réguliers de sa respiration, son ventre se balancer, en essayant de caler son souffle sur la mécanique de l'horloge. Elle retira sa main du miroir pour la poser sur son ventre, caressa sa peau lisse un instant puis y dessina doucement des cicatrices éphémères avec ses ongles. Elle imagina des blessures strier son corps.
La pièce plongée dans l'obscurité, elle se dirigea vers sa chambre, à tâtons. Elle se coucha sur son lit, sur les couvertures, et ferma enfin les yeux. Ce n'est qu'alors que se réveillaient ses démons. Peu à peu ses mains se crispaient, enserrant fermement ses cuisses, tandis que derrière ses paupières closes défilaient les scènes de son infidélité. Ses doigts lacéraient sa peau blanche, comme les corps, dans ce lit noyé de sueur, s'entremêlaient dans une danse charnue et bestiale qu'elle revoyait chaque soir. Elle regardait son buste pressé contre la poitrine d'une autre femme ; son emprise sur ses hanches se faisait pressante, elle le regardait posséder le corps d'une autre.
Son étreinte autour de ses cuisses se resserrait un peu plus, le mal être faisait courber son corps jusqu'à ce que la force la quitte. Dans une léthargie retrouvée, elle laissait alors les larmes rouler sur ses joues, tandis que s'éteignait le dernier soupir de leur ébat.
Franchement, bien. J'ai beaucoup aimé la lente progression sur l'acmé et la chute parfaite. Pas d'allusion directe au thème du concours ou alors suffisamment fugitive pour ne pas être ennuyeux. Ce qui est remarquable c'est l'installation du paysage, de l’environnement qui met le lecteur dans un état d'interrogation sur ce qu'il va se passé, la description n'est pas rébarbatif, elle est même agréable. On se plonge dedans. Je n'aurais vraiment rien à dire. Même en cherchant bien. Ca, c'est une nouvelle comme on les aime ! :)
· Il y a presque 11 ans ·Albert Laurizan