Mémoire d'un coup d'soleil

unrienlabime

 La matinée...




"Ne marche pas sur mes carreaux Le sol n'a pas encore séché, Ya ouled habbess !!!! ". Si elle pouvait à ce moment précis le transformer en statue, elle l'aurait fait. Ses yeux lançaient des flammes qui atteignaient le pauvre diable et le figeaient. Djanina tordait la serpillière comme elle lui aurait tordu le cou, elle s'empressait de finir de laver le sol avant midi, l'heure de pointe de son mari. Il avait horreur de rentrer et de la trouver en plein ménage, il fallait que les sols soient propres et que la maison soit rangée à son entrée. Il fallait que sa femme l'attende, soit entièrement disponible pour lui, que le repas soit prêt et chaud, que la table soit mise. Djanina était bavarde, très bavarde, entre deux tâches elle trouvait toujours le temps de discuter avec khalti Zhor la voisine du 13 ème qui remontait du marché, qui vantait son marché du jour et la taille des poivrons verts qui paraît il étaient plus grands que son bras. Il y avait toujours un moment où Djanina regardait l'horloge, la djebba légèrement retroussée sur les côtés par un geste furtif et machinal des deux mains qui coince la "djebba" sous la culotte, "El tegchita" geste qui annonce le départ des tâches ménagères, geste presque guerrier qui lance le top départ du ménage quotidien, matinal. La djebba bien rivée à la culotte, elle n'avait pas besoin de se retrousser les manches, la plupart de ces robes d'intérieur dans ce pays où il fait toujours beau et chaud, dans ma mémoire, étaient sans manches. La matinée passait tellement vite, d'abord il y avait l'ultime moment du choix du plat du jour, dès le réveil, à croire qu'elle en rêve la nuit, sa première préoccupation est le repas du ftour, il s'agit de trouver un plat qui satisfasse son mari d'abord et avant tout, les enfants étaient presque secondaires, n'était ce pas lui qui remplissait les sacs de son dur labeur, donc il était juste logique et indispensable pour elle de le nourrir, de satisfaire ses envies gustatives entre autres, ensuite il fallait trouver un plat qui soit en adéquation avec les étals du marché, les légumes du jour, de telle sorte qu'au 222, l'immeuble au 88 familles et à la vue sur mer, en arpentant les cages d'escaliers, on se laissait imperceptiblement surprendre sans trop de surprise par les odeurs de cuisine et vite en passant d'un étage à un autre on découvrait le plat du jour, et on en déduisait qu'à ce jour précis il y a eu un arrivage de sardines dans le quartier puisque l'odeur de la Dolma sardine ou des sardines grillées" be derssa" nous poursuivait dans tout l'immeuble on pouvait même penser que tout l'immeuble ou "El batema" ne formait qu'une seule et grande famille avec un plat unique aux mêmes saveurs à quelques détails près. La journée de Djanina commençait donc par le choix cornélien du ftour. Déjà la veille, elle y pensait sans y penser. Seule, maîtresse de sa cuisine, chef d'orchestre et orchestre en même temps, elle connaissait sa partition par cœur, tant elle l'a répétée, jour après jour, mois après mois, année après année. La complexité de ce choix venait du fait que chaque partition pour peu qu'on puisse comparer la cuisine à la musique, devait être différente de celle de la veille et de celle de l'avant veille, il fallait redoubler d'ingéniosité et d'inventivité chaque matin que dieu fait pour nourrir sa famille et faire que chaque repas soit une nouvelle fête. Tous les jours elle réunissait autour de la table de la cuisine les chères têtes de son mari et de ses 4 enfants, les contenter était sa mission première, les satisfaire son bonheur. Pouvait elle même s'imaginer d'autres sources de bonheur que le régal des papilles gustatives de sa famille. Au 222, il existait un moment magique, celui de la symphonie des "mahrez", à peu près au même moment, toutes les mères de famille, sans se donner le mot préparaient leur derssa avec des piments rouges séchés, des gousses d'ail et du sel. Il n'y a que le pilon du mortier en cuivre qui pouvait grâce à la force et l'acharnement de ces mains besogneuses arriver à transformer ces trois ingrédients en pâte parfaitement lisse prête à accompagner tous les plats en sauce et leur donner ce goût sublime de piment et d'ail. Et ces coups réguliers et énergiques du pilon sur le cuivre du mortier battaient le carrelage des 88 sols de cuisine à en faire trembler les murs. Lynda

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