Méprise moi

pouet

La soirée en ville s’était passée de la meilleure des manières pour lui. Il avait bu avec ses collègues, puis était allé dans une boîte de nuit. La dedans, il faisait sombre, les lumières éclairaient par secousse les parties dénudés des corps des gogo-danseuses qui se trémoussaient vulgairement au rythme des basses. Il buvait et bavait devant ce spectacle, ses misérables sens en éveil. Il errait et gueulait dans la boîte, se frottant au passage à de jolies jeunes filles, leur mettant même parfois de franches mains au cul.

 Puis ses collègues l’alpaguèrent, « vient, on connaît une fille très sympa tu ne seras pas déçu ! », et le trainèrent ensuite, à moitié chancelant, à l’autre bout de la salle. La, les flashes éclairèrent le doux visage d’une jolie jeune fille. Elle était magnifique, innocente, et son apparente pureté tranchait avec la vulgarité de sa tenue, un ridicule bout de tissu. Elle ne parlait pas beaucoup, pour ne pas dire pas du tout, et se contentait d’acquiescer à chacune de ses paroles. Puis il l’emmena chez lui une fois la soirée finie. Elle ne parlait toujours pas, se contentant d’obéir.

Complètement saoul, il lui demanda de le toucher dans le taxi, tout en passant ses grosses mains transpirantes, puants l’alcool et la clope sur sa peau douce. Elle s’exécuta et mit sa petite main manucurée dans le caleçon.

Le lendemain matin, à huit heures, il se mit à lui gueuler dessus pour qu’elle se casse, il devait partir au travail. Elle voulut se blottir une dernière fois contre son torse, alors il la repoussa violemment et l’expulsa du lit, puis de chez lui.

Il se sentait bien, sa soirée avait été fructueuse, même si la moitié de son contenu s’était échappée de sa mémoire.

Sur le chemin, dans son wagon de métro taggué, dans son bus remplie et puant, il se voyait déjà arriver au boulot et se vanter de ses exploits de la veille. Mais cet espoir fut de courte durée lorsqu’à peine arrivé, ses collègues lui demandèrent comment ça s’était passé, tout en s’esclaffant, pour enfin lui avouer qu’ils étaient déjà tous passés avant lui sur ce joli petit lot.

Le soir, de retour chez lui, dans le métro, il crut voir l’espace d’un instant la jeune fille de la veille face à lui, trois rangées plus loin, en train de pleurer. Mais au moment où elle leva les yeux vers lui, les lumières du métro s’éteignirent.

Le lendemain, il repartit au travail, la tête dans le cul. Il faisait gris dehors. Les voitures se déversaient sur la route en un flot continu. Et c’est la qu’il l’aperçut, son regard fixé sur lui, sur le trottoir d’en face, puis elle disparut derrière la foule. Son cœur s’était mis à accélérer en la voyant.

Il arriva au travail à l’heure, s’installa à son poste, et salua ses collègues, notant au passage l’absence de l’un d’eux.

Puis arriva la pause de dix heures, le moment pour lui de regarder les nouvelles sur internet. Ce qu’il aimait avant tout, c’était les faits divers. Cela le distrayait. Et ce jour la, il ne fut pas déçu. A la page quatre, il était question d’un nouveau meurtre. Un homme avait été retrouvé chez lui, tailladé à plus de trois cent reprises. A la lecture de ce chiffre abracadabrant, il ne put s’empêcher d’étouffer un petit rire cynique. Puis il reprit son travail.

A l’heure du déjeuner, un collègue vint le chercher, la mine déconfite, le journal dans la main, « T’as vu ça ? »

« Ouais j’ai vu ça pourquoi ? »

« C’est de lui dont on parle dans le journal, c’est pour ça qu’il n’est pas la ce matin. Les flics m’ont appelé pour avoir des renseignements, ils ne vont sûrement pas tarder à t’appeler. »

Effectivement, les flics l’appelèrent dans l’après-midi pour lui poser tout un tas de questions. Puis il reprit le travail, et rentra chez lui. D’abord la marche, puis le bus, puis le métro. Son wagon était rempli de monde, mais il réussit, en jouant des coudes, à avoir une place assise. Le métro se mit en route et s’enfonça dans l’obscurité. Il souffla, enfin posé. Ses yeux se fermèrent, puis se rouvrirent dans la foulée, le regard plongé dans la vitre lui faisant face. Il cria, la bouche grande ouverte, ses membres se raidirent. Elle était la, se tenant debout dans son dos, son regard lui faisant face dans le reflet de la vitre. Il tourna la tête pour la voir, mais elle n’était plus la.

 Les personnes assises à ses côtés le regardèrent, comme s’il était fou. Lui cherchait simplement à se calmer et à reprendre ses esprits. Mais voila qu’il la revit, debout, face à lui, à l’arrêt d’après. Il voulut l’attraper, mais elle sortit du wagon et disparut sur le quai.

« Quelle petite pute ! » se disait-il, « si elle veut jouer au con avec moi, elle va être servie, je ne la louperais pas la prochaine fois ! ». Ses réflexions étaient un mélange immonde de colère et de peur. Enfin il arriva chez lui. Son ex-femme lui amena son fils âgé de six ans à son appartement, car elle était de garde à son hôpital le mercredi soir. Cette présence enfantine lui apporta du réconfort. Il fit à manger, regarda la télévision avec lui, et le mit au lit.

Il eut un peu de mal à dormir, et prit donc un somnifère, qui fit effet.

Le lendemain matin, il se leva quelque peu rassuré. Ce n’était que de la fatigue, et puis la mort de son collègue avait du le troubler. Une nouvelle journée commençait et tout irait bien !

Il alla réveiller son fils qui dormait paisiblement, enfouit sous sa couette.

« Bonjour papa ! »

« Ca va fiston ? »

« Oui j’ai bien dormi, et toi papa ? »

« Très bien ! »

« Papa, c’était qui la femme toute nue qui est venue dans ma chambre cette nuit ? »

« Hein, de quoi tu parles ? Il n’y avait que toi et moi ici hier soir ! T’as du rêver. »

« Non, elle est restée debout dans ma chambre, sans parler pendant un moment, elle avait l’air triste. Je lui ai demandé pourquoi elle était triste, puis elle est partie. »

Cette révélation le plongea dans un état de panique intense. Il courut jusqu’à la porte d’entrée, cette dernière n’avait pas été fermée à clef, n’importe qui aurait pu entrer. Il prit son fils dans ses bras et le serra fort contre sa poitrine. Puis il lui demanda si elle l’avait touchée, ce à quoi le gosse répondit par la négative. Il accompagna son fils à l’école et partit au boulot sans rien pouvoir avaler, terrifié, n’osant plus regarder son reflet dans les vitres, progressant tête basse. Le bus et le métro furent une véritable torture. Un sentiment profond d’insécurité et de détresse s’était emparé de son esprit.

Une fois arrivée au boulot, il se sentit quelque peu en sécurité. Des visages connus l’entouraient maintenant. Mais un autre de ses collègues de beuveries manquait à l’appel. Cette fois ci, il n’eut même pas le temps de lire le journal que la police l’appela. Il était mort, comme l’autre hier, le corps scarifié, déchiqueté, planté à d’innombrables reprises. Une sauvagerie sans nom. Ils l’avaient retrouvé ce matin, gisant dans une mare de sang, nu, sur le sol de son salon. L’interrogatoire se fit plus incisif. Il était clairement devenu un suspect à leurs yeux, et en eut la confirmation lorsqu’avant de raccrocher, ils lui dirent, presque comme un ordre, de ne pas quitter la ville.

Alors il leur raconta tout ce qui s’était passé ces derniers jours, et l’intrusion de la jeune fille chez lui. Comment ils avaient baisés cette fille, chacun leur tour, pendant de longues semaines. Comment ils l’avaient traités, avec mépris et indifférence une fois leurs couilles vidées. Ce ne pouvait être qu’elle, elle était leur point commun.

Les policiers étaient moyennement convaincus, mais cela méritait de mener l’enquête.

La journée fut un véritable enfer. Son cerveau n’avait de cesse de créer des scénarios, de réfléchir à une issue, tout cela sans rien trouver de probant. Son corps était régulièrement parcouru de frissons, et de grosses gouttes roulaient sans cesse sur son visage. Il ne voulait et ne pouvait plus quitter le bureau.

Puis arriva l’heure de partir, rentrer à la maison. Le gardien vint le prévenir qu’il allait tout fermer et tout éteindre. Il acquiesça, prit son sac et commença son périple, terrorisé. La nuit était tombée sur la ville. Les immeubles, les rues, les visages, tout étaient gris. Il tournait la tête et en une fraction de seconde il la voyait apparaître sur telle vitre de voiture, telle fenêtre d’appartement. Son regard était de plus en plus pénétrant à chaque apparition. Elle n’était plus très loin, ses yeux étaient grands ouverts et le regardaient bien en face. Plus de trace de tristesse, juste de la haine, du mépris.

Il arriva enfin chez lui, après avoir finit le trajet en courant à toute vitesse, sans rien regarder d’autres que ses pieds. Il ouvrit la porte aussi vite qu’il put, les mains tremblantes sur son jeu de clef, et la claqua derrière lui, n’oubliant pas de la verrouiller à double tour. Il alluma ensuite toutes les lumières, et prit un calmant tout en se servant un verre de whisky. N’ayant pas faim, il fila devant sa télévision, pour essayer de se changer les idées et zappa jusqu’à tomber sur une série idiote, devant laquelle il se détendit enfin, réussissant même à s’assoupir.

En se réveillant, une petite heure plus tard, il se sentit un peu mieux, comme si cette sieste lui avait fait oublier tout ses soucis. Il éteignit la télé et se dirigea vers sa salle de bain, pour prendre un bon bain chaud avant d’aller dormir.

Il se déshabilla puis se regarda dans le miroir, ses traits étaient tirés et ses yeux injectés de rouge. Il remarqua avec stupeur et angoisse qu’une fine touffe de ses cheveux était devenue blanche, sur le côté droit de sa tête. Durant l’instant sur lequel il fixait son regard sur cette touffe, apparut derrière son épaule la jeune fille, nue, trempée. Elle était tête basse, de telle manière que ses longs cheveux blonds mouillés cachés son visage. Elle tendait ses minces poignets déchiquetés vers lui, le sang dégoulinant sur le carrelage blanc étincelant. Très rapidement, une petite flaque se forma à ses pieds. Lui ne pouvait plus bouger. Il la regardait dans le miroir, paralysé par la terreur. Elle fit un pas vers lui, qui émit un petit gémissement. Elle leva la tête, il vit son regard, ses yeux cerclés par son maquillage noir qui avait coulé sous l’effet des larmes. Puis elle disparut.

Il s’écroula sur le sol, et craqua nerveusement, pleurant à chaude larme sur son carrelage froid et humide.

Son téléphone se mit à sonner et le fit sursauter. Il marchait, à bout de force, vers le combiné. C’était la police, ils l’avaient enfin trouvée. En allant dans les bars dans lesquels elle traînait, ils avaient finis par trouver son adresse et se rendirent chez elle. Elle habitait avec sa mère, dans un petit appartement se trouvant dans un quartier insalubre, dégueulasse et glauque. L’atmosphère y était poisseuse, les murs noirs, les poubelles débordantes d’aliments en décomposition et de rats. Ils tapèrent à sa porte, personne ne répondit, retapèrent, idem. Il était temps d’enfoncer la fine porte en bois, couverte de tags. Une puanteur insoutenable s’empara de leurs narines une fois la porte ouverte. Le couloir d’entrée était jonché d’objets en tout genre, notamment des seringues et autres élastiques. Ils progressèrent jusqu’à la cuisine. La mère, ou plutôt ce qu’il en restait, baignait dans son sang, formant une sorte de bouillie humaine. L’un des flics vomit à la vue de cette ébauche de cadavre. Une odeur âcre emplissait la pièce. Ils continuèrent la « visite ».

Elle était allongée dans sa baignoire, l’eau était rouge. Ses petits poignets sans vie pendaient nonchalamment de part et d’autre de la baignoire. Un rasoir de barbier, à l’ancienne, était posé ouvert sur le sol, en dessous de sa main droite. Son corps s’était affaissé et sa tête était plongée dans l’eau. Ses yeux étaient ouverts.

 Elle ne pouvait donc être la meurtrière, car elle s’était suicidée plus de quarante huit heures auparavant. Ils lui dirent aussi qu’il allait avoir de sérieux ennuis avec la justice, car la jeune fille, qui vivait encore chez sa mère, une camée notoire, n’avait que seize ans et se prostituait. Elle n’était qu’une adolescente. L’enquête continuait. Ils raccrochèrent, et lui se mit à sangloter sur son parquet.

Ensuite, il retourna dans sa salle de bain et prit place dans la baignoire, prêt à en finir en plongeant son visage sous la surface. L’eau chaude lui fit le plus grand bien. Il pencha la tête en arrière et ferma les yeux. C’est alors qu’il la vit apparaître comme un flash dans son esprit. Pris de panique, il se redressa instantanément, foutant de l’eau un peu partout.

« Ce n’était rien », se dit-il, « tout va bien », tenta –t-il de s’auto-persuader. Mais son rythme cardiaque lui, n’y croyait pas. Il se rallongea et posa ses mains dans l’eau. Elles entrèrent en contact avec quelques choses de filandreux. Il sortit sa main de l’eau et se mit à crier en voyant une touffe de longs cheveux s’entremêler dans ses doigts. L’eau commençait à tourner au rouge. Il voulut sortir en vitesse de sa baignoire, et se faisant, il glissa en arrière, se fracassant sur le carrelage. Il rampait maintenant sur le dos, les yeux exorbités, faisant face à ce qui allait sortir de l’eau. Il vit tout d’abord les cheveux apparaître, puis une main, dégoulinante de sang, puis l’autre, tenant un rasoir, puis son corps tout entier, se dressant face à lui. Son petit corps d’adolescente, frêle et fragile, maintenant il s’en rendait compte. Tout en sanglotant, il la supplia de l’excuser. Elle enjamba la baignoire, ses pieds touchèrent le carrelage. Il criait maintenant « Au secours ! Au secours ! ». Il tentait de reculer avec ses mains mais ses dernières glissaient sur le sol mouillé. Il tenta de se mettre debout, en se mettant d’abord sur le ventre, pour fuir, mais elle s’approcha et son rasoir vint tailler ses deux tendons d’achilles. Le sang s’écoula à toute vitesse. Elle en avait jusque sur son visage, qui restait impassible. Lui criait, de douleur et de terreur. Il rampait maintenant pitoyablement, ses larmes se mélangeant à son sang. Elle le suivait de près, sans se précipiter. Il arriva jusqu’au salon, dos à un mur. Alors il se remit à crier, de toutes ses forces. Elle s’approcha, il tendit ses mains pour la retenir. Son rasoir vint alors trancher profondément ses poignées. Le sang gicla de nouveau. Elle le fixa, et s’approcha de son visage, posant une main sur sa bouche. Puis elle voulut écarter ses lèvres, ce qu’il refusa de faire. Elle trancha alors sa mâchoire, de telle sorte que le bas pendait. Elle attrapa sa langue et la coupa. Il commençait à s’étouffer avec son sang qui s’écoulait dans sa gorge. Il ne bougeait plus, il avait abandonné. Alors, sans même le regarder, elle commença, comme une machine, à enfoncer sa lame dans toutes les parties de son corps. Elle plantait, déchiquetait, tranchait, avec indifférence, avec mépris, comme si cet homme n’était qu’un tas de chair, un vulgaire tas de chair et d’os, sans âme, sans sentiments…

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