Goules : le dernier souffle

Fabien Dumaitre

Emily était planquée derrière le comptoir en zinc de l’armurerie où elle avait trouvé refuge. Dehors,  la complainte gémissante des goules s’élevait dans le crépuscule encore teinté par les derniers soubresauts d’un soleil à l’agonie. Elle attrapa un morceau de chiffon qui trainait par terre et le déchira pour s’en faire un garrot. Une de ces sales bêtes l’avait mordu au bras dans sa course effrénée avec ses compagnons d’infortune pour rallier le magasin d’arme. Ils avaient tous perdu la vie durant ce raid suicidaire. Elle était seule désormais, prise au piège de ce lieu aux allures de bunker de la dernière chance. Pourtant, il était peu probable que quelqu’un vienne à son secours. De plus, elle avait été mordue et à en croire les légendes, cette morsure la condamnait à se transformer en l’une de ces immondes créatures. Elle tira fort sur le morceau de tissu puis fit un nœud à l’aide de sa main libre et de ses dents. Cela ne faisait que repousser l’échéance mais elle aurait le temps d’en dégommer quelques-uns avant de passer dans l’autre monde. Elle prit une cigarette dans le paquet situé dans la poche intérieure droite de son uniforme maculé de sang et craqua une allumette contre la semelle de sa chaussure. Elle tira sur sa cigarette longuement puis expulsa la fumée. Jamais une clope n’avait été aussi bonne. Elle regarda un peu autour d’elle. Il y avait un véritable arsenal militaire ici. Elle allait pouvoir se faire plaisir avant d’aller rôtir en enfer. Elle se leva péniblement, ce qui lui arracha une grimace de douleur. La blessure de son bras suppurait d’un liquide translucide formant par endroit une espèce de mousse blanchâtre. Elle ne saignait pratiquement pas comme si la plaie était cautérisée. Dès qu’elle fut debout, les zombies redoublèrent de violence comme attirés par la chair fraiche. Ils frappaient avec violence sur les vitres en plexiglass de la boutique à grands coups de têtes et de poings. C’était le dernier rempart entre Emily et ces zombies assoiffés de sang. Elle récupéra plusieurs armes de différents calibres et une bonne quantité de munitions puis elle revint se placer derrière le comptoir. Dehors, l’obscurité était presque totale maintenant. Seule la lune et quelques lampadaires diffusaient une lumière blafarde. Emily sortit le pendentif en forme de petit cœur de sous son T-shirt et l’ouvrit. Elle fixa longuement la photographie de son compagnon et de leur fils, Dylan. Ils étaient tous les deux morts au début de la pandémie qui ravageait toute la planète désormais. Une larme perla le long de sa joue et alla mourir sur le sol blanc nacré. Elle replaça le médaillon contre sa poitrine puis empoigna le M-60. Elle posa le trépied de l’arme sur le dessus du comptoir et regarda la meute devant elle. Au milieu de cette masse informe elle reconnut Rob, son lieutenant, avec qui elle avait lié de très forts liens d’amitié. Mais elle ne perçut rien d’humain dans son regard. Il n’était plus cet homme enjoué et plein de vie qu’elle connaissait. Il était devenu…autre chose. Une créature des enfers. Elle posa son doigt sur la gâchette et  se mit à hurler :

-         « Vous allez en prendre plein la gueule bande de sale merde ! »

D’une pression du majeur, la sulfateuse se mit en marche crachant de grandes gerbes de feu. Les vitres explosèrent dans un bruit cristallin puis le sang de ses monstrueuses créatures gicla en tous sens dessinant d’improbables arabesques écarlates sur le sol d’un blanc laiteux. Elle tirait à mi-hauteur. Les ventres des goules explosaient dans un mélange de tripes et de boyaux. La première ligne s’affala à terre fauchait par la mort. C’est du moins ce qu’elle pensait. Il ne fallut pas longtemps pour que les créatures se relèvent péniblement sous les yeux effarés d’Emily. Ca n’était pas une légende alors. Il fallait leur tirer dans la tête pour les tuer. Elle avait toujours cru que les morts-vivants n’existaient que dans les films et que toutes les techniques de destruction  qui leur étaient attraits, n’étaient que fadaises. Elle pointa le bout de son arme sur les crânes défigurés des goules. Leurs bouches dégoulinaient de sang et leurs yeux respiraient la mort. Elle appuya sur la gâchette et les balles fusèrent dans la pièce. Les têtes des créatures explosèrent aspergeant le sol de cervelle. Une nouvelle vague de zombies s’infiltra dans le magasin par la vaste brèche ouverte dans la vitrine. Emily saisit une grenade accrochée à sa ceinture, la dégoupilla et la lança devant elle. Elle se coucha derrière le comptoir et se boucha les oreilles. L’explosion fut violente. Elle empoigna le fusil à pompe posé à ses côtés et se releva à la hâte. Une masse immonde de chair baignant dans le sang gisait juste devant elle. Des lambeaux de chair tapissaient les murs de la pièce. D’un geste du bras, elle chargea le fusil puis tira sur la première tête venue. Celle d’une vieille dame au teint livide et aux yeux injectés de sang. La femme tomba à genoux puis le haut de son corps bascula en avant sur les rangers d’Emily. Elle décocha un violent coup de pied dans la carcasse inerte et continua de canarder les zombies. Soudain, une petite fille s’approcha d’elle avec le même regard inexpressif que ses congénères. Emily la regarda avec de grands yeux tristes. Son cœur battait à tout rompre. Elle pointa l’arme vers le visage de la gamine. Celle-ci s’approchait toujours à pas lent et hésitant. Le canon de l’arme se colla sur le front de la môme. Emily hésita un court instant puis tira. Le crâne de la fillette se dispersa un peu partout dans la pièce. Elle saisit le fusil mitrailleur qu’elle avait patiemment mis de côté puis sauta sur le comptoir. La foule de zombies était immense. Ils y en avaient à perte de vue. Elle déchargea une rafale de balles dans le premier rang qui s’affala lourdement à terre. Les autres créatures se frayaient un chemin tant bien que mal dans l’amas de viande fraiche qui gisait au sol, trébuchant par moment sur un bras ou une jambe. Glissant sur un œil. Emily eut un moment de déconcentration. Son bras la faisait souffrir. Un mort-vivant en profita pour s’approcher et la mordit à la jambe. Elle hurla avant de lui décocher un grand coup de ranger dans la mâchoire qui se brisa nette. L’homme, plutôt massif, recula d’un bon mètre et tomba sur le dos. Emily descendit du comptoir et regarda sa blessure. Elle était salement amochée. Sous son pantalon déchiré apparaissait une plaie large et profonde d’environ deux bons centimètres. Elle courut en boitillant vers l’autre bout du comptoir où l’attendait un pistolet mitrailleur. Elle comptait s’en servir pour faire une trouée dans la foule et tenter de fuir. Maintenant, ça allait être difficile jambe en piteux état. Elle vida le premier chargeur sur les nouveaux arrivants qui approchaient d’elle. Une violente envie de vomir la prise. Elle éructa un flot de sang  à ses pieds. Elle était infectée, elle en avait la certitude maintenant. D’ici peu de temps, elle allait se transformer en l’une de ces abominables créatures sanguinaires et sans âme. A l’aide de ses bras, elle se traina jusque dans les toilettes  laissant une bande de sang sur le sol blanc. Elle ferma la porte et s’adossa sur le mur d’un gris terne. Sa bouche était pâteuse. Elle se hissa sur sa jambe valide et mit sa bouche sous le robinet du lavabo et but de longues gorgées d’eau. Derrière la porte, les créatures tambourinaient. Le bruit, lancinant, lui faisait mal à la tête. Une fois finit de boire, Emily se rassit par terre. La douleur dans sa jambe la lançait.

-         « Voilà, c’est fini. Je sais ce qu’il me reste à faire maintenant si je ne veux pas devenir comme ces sales bêtes… » se dit elle pour elle-même.

Elle porta la main à son ceinturon et fut surprise de voir que le pistolet ne s’y trouvait plus. Elle n’avait plus d’arme sur elle. Comment allait-elle faire pour abréger son calvaire. Elle regarda alentour. Il n’y avait rien hormis un extincteur et une hache. Elle n’allait tout de même pas se trancher les veines avec une hache !!!

Résignée, elle laissa tomber sa tête en arrière et se mit à sangloter. Elle avait mal à la poitrine désormais. Son souffle se faisait de plus en plus rapide et irrégulier. Elle prit la dernière cigarette dans son paquet et la porta à sa bouche. Elle chercha dans ses poches et en sortit la petite boite d’allumettes mais elle était vide. Ca y est…c’était fini. Elle prit le petit pendentif en forme de cœur et l’ouvrit. Elle contempla la photographie pendant de longues minutes puis son bras tomba à terre. Sa respiration se stoppa net. Ces yeux devinrent vitreux…inexpressifs. Dehors, le bruit cessa. Emily fut prise de convulsions qui la secouèrent violemment puis tout son corps s’immobilisa…Quelques minutes plus tard, ses doigts se mirent à remuer. Elle se leva difficilement et ouvrit la porte. Il n’y avait personne derrière. Pas âme qui vive. Elle avança en trainant des pieds et poussa un gémissement plaintif qui n’avait rien…d’humain…

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