Mes 20 ans

floriane

Contribution concours Feel Good ( sous réserve de changements, pas trop le temps de relire pour le moment)

Ce matin, j'ai décidé d'être une mauvaise mère ! Une très mauvaise mère !

Mes deux enfants, Paul 5 ans et Lola 3 ans, n'auront qu'à compter uniquement sur leur père.

Aujourd'hui, je prends du temps pour moi, rien que pour moi. Aujourd'hui je pense par « je » et non par « ils ».

Oubliés les petits déjeuners à préparer, les nez à moucher, les vêtements à enfiler, la deuxième chaussure à chercher sous le canapé, les histoires à raconter et j'en passe et des meilleurs.

Aujourd'hui, je redeviens la Karine de mes vingt printemps. Je n'ai plus trente-huit. Bas les pattes la quarantaine qui s'approche de moi bien trop vite !  

À peine debout, je charge mon mari de s'occuper des mouflets.

-Lève-toi !

-Quoi ? On est samedi. Et le samedi, je dors, me répond-il, encore ensommeillé.

-M'en fous ! Allez, debout !

-Qu'est-ce qui t'arrive ?

J'éclate de rire.

-Figure-toi que je me suis réveillée avec l'envie d'avoir 20 ans !

Mon homme me jette un œil mi- endormi mi- épouvanté.

-Mais tu n'as plus vingt…

-Hep ! Tais-toi ! Cesse de jouer au rabat-joie ! Maintenant tu repousses cette couette, tu poses tes deux pieds par terre et tu bouges tes fesses ! Allez ! Moi, je vais prendre  un bon bain, débordant de mousse.

Je me lève, nue, et me dirige vers la porte en sifflotant.

-N'oublie pas de donner les vitamines à la petite et surtout, pour l'amour du ciel, pas trop de céréales à ton fils car il en laisse la moitié dans le bol.

J'envoie un baiser qui vole vers mon époux et l'encourage d'une voix indulgente :

-Bon courage, mon amour.

Et je quitte le champ de tir, plus communément appeler la chambre conjugale, qui ne l'est plus tant que ça, d'ailleurs, depuis que nous avons eu la drôle d'idée de devenir parents. Fini le sexe à tout bout de champs ; à midi, à quinze heures, sur la table de la cuisine, à même le sol, dans la bagnole. Non, maintenant, je fais l'amour entre 22h et 22h30, au grand max ! Oui, car à 22 heures les enfants se sont enfin endormis et à 22 heures 30, soit la couverture de Paul s'est fait la mal, soit c'est un monstre maléfique qui fait son apparition dans la chambre de Lola. Éduquer ou coucher, il fallait choisir !

J'entre dans la salle de bains et ferme illico la porte à clé. On ne sait jamais ! Oh… quel plaisir ce bain chaud, moussant à souhait. Et ce calme, tout autour de moi ! Et cette odeur relaxante de Jasmin ! Et cette sensation d'apesanteur, de légèreté ! Et cette…
-Ahhhhh !

Une énorme araignée se balade tranquillement au plafond. Je sors fissa de la baignoire. J'attrape une serviette et m'essuie à la vitesse grand V. Ah, je déteste ces sales bêtes toute velue. Je la suis des yeux. J'enfile un soutien-gorge et une culotte mais malheur, le temps de prendre une paire de chaussettes dans l'armoire, la bête a  disparu. Ah non ! C'est encore pire quand on ne les voit pas. Elle peut être partout, maintenant ! Non, non et non ! Au secours ! Je me secoue au sautillant sur place pour être certaine qu'elle n'a pas sauté sur moi pour me dévorer ou pire, pondre des œufs n'importe où sur mon anatomie. Je ressemble à un danseur de tecktonic à gesticuler de cette façon.

Je quitte la salle d'eau, ma paire de chaussette dans les mains. Hors de question que j'entre de nouveau dans cette pièce avant d'avoir envoyé Monsieur en mission.

Le Monsieur en question, mon mari, mon époux, s'est rendormi. Ce n'est pas possible ! Et les enfants ? Il est déjà 8h34 au radioréveil, ils ne peuvent pas encore dormir ?

Je fais demi-tour, en jetant un œil à une susceptible tache noire mouvante sur les murs, et ouvre doucement la porte de la chambre de Paul. Il dort. Lola aussi. Non mais quoi ? Ces gosses ont un foutu pouvoir magique ou quelque chose comme ça ? Tous les samedis, je dis bien tous les samedis, ils se pointent dans notre chambre dès 7h30 et sautent sur mon ventre plus très plat pour réclamer leurs doses de lait, de céréales (attention, celles avec un certain tigre sur l'emballage) et un dessin animé qu'ils ne veulent pas louper.  Le tout en me criant dans les tympans. Et là, alors que je leur offre une journée entière avec leur papa, ces monstres n'ont pas trouvé de mieux à  faire que… dormir.  Non mais ! Je suis ensorcelée, il n'y pas d'autres explications.

Eh bien soit ! Dormez les petits et le grand ! Moi, je vais vivre ma vie de jeunette de vingt ans sans me soucier de vous ! Et toc !

Sans faire un bruit, je prends le temps de choisir ma tenue pour cette fabuleuse journée qui se profile à l'horizon. Pour une fois, je vais éviter le jean informe et le pull pratique. Au Diable le confort, bonjour la sexy attitude. Après tout, j'ai 20 ans aujourd'hui. J'opte pour une robe en laine moulante écrue que j'agrémente d'une paire de collant couleur peau et de petites chaussures à talons noires. J'abandonne les chaussettes.

Pour un peu, je sifflerai bien à mon reflet que je reluque avec contentement.

Mais il y a un hic ; impossible de me coiffer et de me maquiller puisque tout le matériel nécessaire à ces projets se trouve dans la salle de bains. Satanée bestiole ! Tant pis, quelques coups de main dans ma touffe de cheveux bruns feront l'affaire. Après tout, il m'est déjà arrivé de sortir avec du vomi sur le pantalon (merci Paul) et des gommettes collées dans mes cheveux (merci Lola). Et puis, porter les cheveux en bataille est à la mode. Si, si, je vous jure. J'ai lu ça dans un magazine abandonné chez le médecin. Bon, d'accord, il datait d'il y a deux ans mais bon… la mode ne change pas si vite, si ? Mais, j'ai une idée ! Et si je prenais rendez-vous chez le coiffeur ?

Je prends mon petit déjeuner dans le calme complet. C'est tellement rare que j'en savoure chaque miette. Et pour perfectionner l'instant, aucun garnement ne risque de renverser son lait sur moi ou sur la table. Quel bonheur !

Dès 9h00, je passe trois coups de fil. Le premier est pour mon coiffeur (le rendez-vous est pris pour 15h00 cet après-midi), le deuxième est pour ma meilleure copine (célibataire endurcie qui rêve d'un enfant) et mon troisième est pour ma mère (pour la prévenir que son gendre risque de l'appeler dans la journée pour savoir à quels degrés correspond le thermostat 6).

Ceci fait, je griffonne un petit mot à mon chéri que je mets en évidence sur la table de la cuisine. «Horrible créature à 8 pattes dans la salle de bains. Votre mission, si vous l'acceptez, est de la tuer et ce de n'importe quelle manière. Je t'aime. À ce soir. »

Un de mes plus beaux manteaux sur le dos, je quitte la maison. Le cœur léger, oui, car aujourd'hui, je suis une très mauvaise mère. Dans la voiture, j'éjecte le CD présent dans le lecteur (CD où Bébé Lilly côtoie Ilona Mitrecey et le générique des Pokémons) pour y insérer rapidement un des miens (Céline Dion, le Live). Volume à fond, je m'éloigne de chez moi sans me préoccuper si oui ou non les décibels crachés par les enceintes risquent d'abimer les oreilles de mes enfants. Même si eux, à l'inverse,  ne se préoccupent pas une seconde de mes tympans quand ils chantent à tue-tête La Reine des Neiges.

Plus tard, je prends un plaisir évident à fouiner dans les rayons d'un magasin de vêtements. Sans chercher quelque chose de particulier et surtout, sans mouflets à surveiller, où à aller récupérer à la caisse centrale parce que je les aurais perdus de vue une petite seconde. Oh oui, c'est tellement bon la liberté !

Au moment de régler mes achats (une écharpe et un joli pantalon dont je doute de pouvoir rentrer dedans), alors que je me sens si légère, si bienheureuse, voilà que cette petite chose maléfique m'indique que le paiement est refusé ! Non, non et non ! C'est quoi cette connerie ? J'ai des sous, merde !

La caissière, jolie blonde à forte poitrine, me demande si j'ai un autre moyen de paiement. À moins qu'elle accepte les bonbons, un paquet de lingettes intimes, quelques surprises Kinder moisissant au fond,  bah nan, je n'ai rien d'autres dans mon sac à main. Ça ne se voit pas à ma tête, là ? Je suis dégoutée et catastrophée. Deux minutes plus tard, je ressors de l'enseigne les mains vides. L'écharpe et le pantalon vont retrouver leur rayon respectif et la planète sera épargnée par le sac plastique que j'aurai eu l'audace de me débarrasser.

Je rejoins ma voiture l'air abattu. La journée ne fait que commencer et je suis à présent certaine d'avoir été ensorcelée durant la nuit. Je n'ai pas eu de chance jusqu'à maintenant  mais que peut-il bien m'arriver de pire ? Je souris à mon reflet dans le miroir du pare-soleil et enclenche la première, bien décidée à ne pas me laisser submerger par ce faux-départ.

-Allez Karine, me souffle ma petite voix de mauvaise mère, oublie ces fausses notes (les gosses qui ne se lèvent pas, l'araignée dans la salle de bains et la carte bleue qui refuse de coopérer) et repars. Rappelle-toi, tu as vingt ans et tu n'as pas d'enfants jusqu'à ce soir !

Ne voulant pas vexer ma petite voix, me revoilà prête pour de nouvelles aventures, ragaillardie. Il est 10h30 quand je me gare devant la petite maison de ma meilleure amie, qui attend ma venue. Excitée par la perspective de boire café sur café sans vérifier que Paul ou Lola ne casse un des chats en porcelaine que collectionne assidûment Maria, je frappe à la porte.

Maria m'ouvre et me reçoit avec profusion de bisous  et de sourires.

-Wouah ! T'es sexy aujourd'hui ! s'exclame-t-elle.

-Merci !

Je souris de toutes mes dents, ravie de ce compliment. D'ordinaire, on me complimente sur la coiffure de Lola ou sur la parfaite cuisson de mon rôti.

-Alors, quoi de neuf ? je poursuis en me débarrassant de mon manteau et de mes chaussures (aïe aïe, on perd vite l'habitude de marcher avec trois centimètres de talon) et m'affale sur le canapé du salon tout de blanc peint.

Nous papotons comme au temps où aucune graine n'avait encore jamais germer dans mon ventre, au temps où nous étions toutes les deux célibataires. Comme avant, pendant les deux heures qui suivent, nous blablatons, nous critiquons, nous commentons des sujets divers et variés, nous nous querellons gentiment pour savoir qui est le plus beau de Deep ou DiCaprio. Bref, de la légèreté et de l'insouciance à volonté.  J'ai de nouveau vingt ans, quoi ! Tout se passe comme je l'avais imaginé ce matin ; une discussion sans prise de tête, des éclats de rire à foison. À plusieurs reprises, je manque de faire pipi dans ma culotte tant je ris comme une ado (ça m'apprendra de ne pas suivre les séances de kiné prescrites par mon gynéco après mes accouchements).  Jusqu'au moment où, mon amie, ma meilleure amie, en vient à parler de son désir d'enfant. Tout mais pas ça ! Non ! Alerte rouge ! Bientôt, elle va encore sortir son mouchoir, me répéter que son horloge biologique tourne, que si elle ne trouve pas un homme bien vite fait, elle ne sera jamais mère ! Une litanie ben rodée.  J'ai comme une envie de lui crier dessus ! La mauvaise mère que je suis aujourd'hui aurait envie de lui dire : mais merde, tu ne te rends pas compte de la chance que tu as ? Ah nan, elle ne se rend pas compte. Maria ne connait pas les neuf mois à enfler comme un poisson-globe, les douleurs de l'enfantement, les montées de lait inopinées qui font que tes tee-shirts se retrouvent avec deux horribles auréoles, les courtes nuits où tu n'es pas sûre de revoir ton oreiller avant le lever du jour, le nombre de couches à changer, les innombrables visites chez le médecin pour un vaccin ou 38.1 de fièvre, les heures passées à se bousiller les genoux à quatre pattes pour faire la course avec le petit alors qu'on serait tellement bien assise sur le canapé devant les Feux de l'Amour. Et après, après…

Mais être une mauvaise mère me suffit amplement pour aujourd'hui, je ne veux pas en plus être une piètre copine, je dis donc d'une voix douce :

-Maria, tu rencontreras bientôt un homme bien, ne t'inquiète pas.

-J'espère que tu as raison.

-Bien sûr !

« Et dans cinq ans, c'est toi qui viendra frapper à ma porte avec l'envie de redevenir pour quelques heures une femme libre, de la compote de pomme séchée sur la manche de ton pull et des cernes sous les yeux », je continue in petto.

D'accord, je pousse peut-être le bouchon trop loin en dépeignant ainsi la maternité. J'avoue. Mais je suis une exécrable mère aujourd'hui, je le rappelle. J'ai le droit à toutes les incartades, à toutes ses pensées peu flatteuses. Demain, lorsque je reprendrai mon statut de mère qui-fait-tout-son-possible-pour-ses-enfants, j'aurai tout oublié.

Pour l'heure, mon masque de marâtre qui refourgue ses gosses à leur père est toujours bien en place. Après le sempiternel discours à Maria (oui, tu auras des enfants et blablabla), nous passons à table. Ou devrais-je dire, nous restons sur le canapé. Un gentil livreur nous apporte deux superbes pizzas ; une aux quatre fromages pour Maria, l'autre au chorizo et Harissa pour moi (on épice sa vie comme on le peut). Maria se contente d'accumuler des chats en porcelaine dans une vitrine ! Chacun son truc, cela dit !

À cet instant, j'aurai pu affirmer être complètement sereine. Seulement, deux secondes après,  ma jolie robe écrue se retrouve maculée de sauce Harissa. Non ! Bordel !

-Merde et merde !

-Va frotter avec de l'eau, propose Maria.

-Surtout pas ! Les taches, ça me connaît ! Je ne parle pas de toi, hein, bien évidemment !

-Merci de le préciser, ronchonne mon amie.

-Tu as du savon de Marseille et du jus de citron ?

-Non.

-Alors c'est foutu !

Un soupir s'échappe de mes lèvres. Ce n'était pas comme ça que j'imaginais cette journée en me réveillant ce matin. Me faire chouchouter chez le coiffeur m'apparaît maintenant comme une île en plein océan. Un repos au milieu d'une tempête de déconvenues.

 

Comme j'avais raison ! Le coiffeur, un petit nouveau qui remplace mon habituel (le malheureux a dû quitter précipitamment le salon pour cause de gastro-entérite) me masse le cuir chevelu avec dextérité et habilité. Quel bonheur ! Un massage capillaire et mon esprit vogue loin, loin, loin… quelques coups de ciseaux (le coiffeur a eu l'obligeance de ne pas remarquer que je ne m'étais pas passé un coup de peigne aujourd'hui)… la chaleur du sèche-cheveux jusqu'à ma nuque… oh là là, l'odeur de la laque… j'ouvre les yeux et là… c'est un CAUCHEMAR !

Qu'a-t-il fait à mes cheveux, ce salopard ? Horrifiée par mon reflet, je retiens un cri d'effroi. J'avais dit juste les pointes ! Juste les pointes ! Où est passée ma longue chevelure brune de ce matin ? Je baisse les yeux et la réponse est là : par terre. Il m'a coupé au moins 20 centimètres, cet affreux jojo ! J'ai juste envie de pleurer, là…

-Ça vous plait ?

Quoi ? Cet hurluberlu a le culot de me demander si je suis satisfaite ? Je n'en crois pas mes oreilles (on les voit bien maintenant, je ne les imaginais pas si pointue). Eh bien non, pas satisfaite et pas remboursée, par-dessus le marché. J'avais tort tout à l'heure en me disant qu'il ne pouvait rien m'arriver de pire. Je règle la facture (Maria m'a prêté du cash) et m'enfuis en courant hors du salon. Je retiens difficilement les larmes qui menacent de couler.

Dans ma voiture, alors que je me regarde dans la glace du pare-soleil, il n'y pas plus rien de la Karine joyeuse et émancipée de ce matin. Il n'est qu'un peu plus de 17h et pourtant, je n'ai qu'une envie : rentrer chez moi retrouver mes enfants.

Avisant quelques pièces de monnaie dans un vide poche, je décide de m'arrêter à la boulangerie avant de rentrer. Un Paris-Brest (350 kcal pour 100g) ; du bon et du gras pour tenter de me consoler de cette journée catastrophique.

La pâtisserie joliment emballée dans un papier en plastique, je repars à ma voiture. Je tire sur la clenche mais la porte ne s'ouvre pas. J'essaye toutes les portières mais rien. Je pose ma douceur sur le toit et m'approche de la vitre pour regarder à l'intérieur. J'ai laissé la clé sur le contact. Et cette maudite centralisation qui, une fois de plus, a fait des siennes. Trop c'est trop. Je fonds en larmes.

Je n'ai plus qu'à avaler les 2 kilomètres qui  me séparent de mon domicile à pied. Mon portable est dans mon sac à  mains qui lui est enfermé dans la voiture.

Première partie du trajet. Je marche vite, énervée.

Je hais les araignées.

Je hais les cartes bancaires.

Je hais la sauce Harissa.

À mi-chemin. Je marche plus lentement, déprimée.

Je hais les chaussures à talons.

Aïe.

Je hais les coiffeurs.

Je hais la technologie des nouvelles voitures (je veux une 2CV).

Aïe.

Dernière partie du trajet. Je marche mes chaussures dans une main, mon Paris-Brest de l'autre, et ce qui me restent de cheveux totalement hérissés sur le haut de mon crâne. Je ressemble à une sorcière, là, sur le bord de la route, totalement seule et désespérée.

Je hais être loin de mes enfants. Pardon, mes bébés ! Maman arrive. Dans un sale état mais maman arrive. Pardon.

Enfin, je pousse la porte de mon cocon familial. Je laisse tomber mes chaussures et pose le papier de ma pâtisserie sur le meuble de l'entrée.  Mon fils accoure vers moi mais s'immobilise à quelques mètres. Il me regarde avec défiance et horreur.

-Papa ! finit-il par crier. Tu vas engueuler maman, elle a joué avec une paire de ciseaux !

-Tu fais un gros câlin à maman ? je demande d'une voix implorante.

Paul s'approche de moi et passe ses bras autour de mes hanches. Je prends une grande  inspiration et me penche pour respirer l'odeur typique de ses cheveux. Oh, que c'est bon de rentrer à la maison ! Je me dirige vers le salon, où je trouve ma petite fille accrochée au cou de son père ! Pour un peu, je ressentirais bien comme une pointe de jalousie traverser ma peau ! Après une journée comme celle-là, je pense que j'en ai le droit, non ?  

Mon mari esquisse un sourire mi-taquin mi-effaré. Il est vrai que je n'ai plus rien de commun avec la femme qui a quitté la maison, ce matin.  

Comme avec Paul tout à l'heure, j'embrasse tendrement ma fille, en humant son odeur. Je roule une pelle à mon mari.

-Comment s'est passé ta journée ? je trouve la force de m'enquérir. (À voir leurs têtes, je comprends qu'elle s'est mieux déroulée que la mienne).

-Super ! Et toi ?

-Ho, moi ! je souffle en affaissant mes épaules.

-Pas facile d'avoir 20 ans, hein ?

Je laisse le silence s'installer, seulement troublé par l'écho d'un dessin animé qui passe à la télévision.

-Est-ce que je vous ai manqué ? Un petit peu ? j'ajoute en faisant le geste d'un petit espacement entre mon pouce et mon index.

-Qu'en pensez-vous les enfants ? continue mon époux.

-OUIIII ! crient mes enfants en chœur.

-Vous me pardonnez de vous avoir laissé en plan ?

-Oui, je crois.

-Seulement si on va à la patinoire, s'exclame Paul.

-D'accord. Sauf que la voiture est restée en ville. J'ai malencontreusement oublié de retirer la clé en allant m'acheter un gâteau.

Je me fais toute petite comme prise en flagrant délit de stupidité.

               

                Cette drôle de journée n'est pas terminée. Cependant, je sais d'avance que cette partie sera la meilleure, la plus belle. Il est vrai que parfois, on aimerait retrouver nos vingt ans, notre liberté d'alors, notre insouciance d ‘antan. Mais rien, je dis bien rien, ne vaut l'amour qu'on porte à nos enfants, et celui qu'ils nous portent. Si entier, si prompt à tout nous pardonner. Alors moi aussi, j'ai décidé de leur pardonner ; la fois où Lola a brisé un vase à lequel je tenais tant, les fois où je n'ai fermé un œil de la nuit, la fois où Paul a fait pipi en plein milieu du supermarché… et même mes vergetures sur mes seins. Je pardonne tout car sans eux je ne suis rien.

 

                Le lendemain, comme promis, nous sommes allés à la patinoire. Et vous savez ce qui m'est arrivé ? Non, non, je ne me suis pas cassé de jambe. Il m'est arrivé de vivre un moment parfait : voir mes enfants en pleine santé, la joie gravée sur leurs minois, m'a fait comprendre que la vie est plus belle à quarante qu'à vingt ans.

 

2014 © Floriane Aubin

 

 

 

               

 

 

 

 

 

                                                                         

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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