« Myriam, ou quand le destin a décidé de te faire chier. »

briseis

C'est l'histoire d'une fille, qui ...

        Il y a des journées, comme ça, où on aurait mieux fait de rester au lit. Myriam se leva, un jeudi matin, avec la nette intuition qu'elle aurait effectivement mieux fait de rester au lit, avec le type qu'elle avait ramené du club la nuit précédente. C'était quoi, déjà, son nom ? Mathieu, Maxime ... Marc ! Oui, ce devait être Marc. Elle avait laissé un petit mot sur le frigo, avec les clefs de l'appartement. Avec un peu de chance, ce n'était ni un voleur, ni un psychopathe qui profitait de son absence pour transformer son salon en salle de mise à mort. Elle sourit à cette idée : elle avait trop regardé Dexter. Coincée dans les embouteillage avec sa petit Clio, elle commençait sincèrement à en avoir ras le bol. Elle avait réunion avec son supérieur hiérarchique - elle détestait le terme "patron", trouvant ce mot trop associé à "employé" qu'elle trouvait franchement dévalorisant. Ainsi donc, elle avait réunion. Réunion manquée, visiblement, puisqu'elle était censée débuter à huit heures pile, et qu'il était sept heures cinquante-huit. A moins qu'un astéroïde ne libère la route encombrée d'automobilistes pour la laisser passer, et qu'un réacteur de fusée ait été subtilement placé à l'arrière de son véhicule, elle n'avait absolument aucune chance d'arriver à l'heure. Elle alluma la radio. Elle tomba, bien sûr, sur une chanson qu'elle détestait. Elle éteignit la radio. Elle voulut se consoler en se disant qu'au moins, il faisait beau. Raté. Le ciel était caché par d'épais nuages gris, et d'ailleurs, il se mit bientôt à pleuvoir. « Une sacrée journée de merde » pensa-t-elle. Elle n'avait pas tout à faire tort. Malheureusement, ce n'était que le début. Et un début très gentil, comparé à ce qui l'attendait en arrivant au bureau.
D'abord, il n'y avait plus de café. En plus d'être franchement désagréable, c'était mauvais signe. Quand il n'y avait plus de café, cela signifiait la plupart du temps qu'il avait été entièrement bu par Lucien Dérette - son patron. Et quand il avait fini le café, il était de très mauvaise humeur. En somme, il était à peu près dans le même état d'esprit que Myriam, à la différence près que lui, avait le pouvoir de rendre la journée merdique des autres encore plus merdique.

« Vous êtes en retard, Valère.

- Bonjour, monsieur Dérette.

- Grouillez-vous de vous mettre au boulot, vous n'êtes pas payée à glander. Bauvon ne devrait pas tarder et vous avez la maquette à présenter à quinze heures.

- Bien, monsieur Dérette.

- En plus, nous avons dû nous passer de vos services au conseil d'administration, et je suis passé pour un con ! Et j'ai horreur, de passer pour un con. »


       Même accueillie par cette espèce d'ours mal léché aux cheveux gris, mademoiselle Valère restait polie, et tâchait d'être souriante. Elle ouvrit la porte vitrée de son bureau, laissa tomber son sac à main sur un fauteuil en velours noir, et s'assit enfin derrière son bureau. Lorsqu'elle baissa le nez, elle s'aperçut qu'elle avait deux chaussures différentes aux pieds. C'en devenait insupportable. Elle alluma son ordinateur, ouvrit son agenda, vérifia son emploi du temps. Elle se rappela, à la dernière minute, forcément, qu'en plus de devoir se farcir un briefing avec Thomas Bauvon, elle devait aussi se le coltiner pour le déjeuner. Non pas qu'il soit désagréable à regarder avec ses beaux yeux gris, ses traits fins et sa musculature de dieu grec, mais il était vraiment écœurant. Myriam lui reprochait d'être beau, et de le savoir. Et surtout, de le faire savoir aux autres. Il ne manquait jamais une occasion de draguer toutes les femmes baisables de vingt à quarante-cinq ans, bien qu'il soit marié à la fille de Lucien. Ça aussi, elle avait du mal. Le pire, c'est qu'il ne la draguait pas, elle. Elle était jolie, pourtant. Et même carrément très belle. Bien plus canon que sa godiche d'épouse, Vanessa – qui en plus, portait un prénom de série minable américaine. Rousse, la peau diaphane, mince mais ronde, souriante, bref, adorable la plupart du temps. Elle songea qu'il devait lui garder rancune de l'unique fois où elle l'avait repoussé. En même temps, à l'époque, elle était fiancée, amoureuse, prude, voire un peu coincée. Quoique non, pas coincée. Elle avait juste le sens de la fidélité, dont Thomas devait probablement ignorer jusqu'à l'existence de ce mot. « Fidélité ». Mais quelle idée !
Etrangement, les seuls à ne pas être au courant, se trouvaient être Vanessa, et sa famille.

« Bonjour beauté. »


Ah, finalement, il n'était peut-être pas si rancunier.


« Comment va ?

- Manque de café, soupira la jeune femme.

- Personne n'a pensé à en refaire.

- C'était à prévoir.

- Pourquoi ?

- C'est une journée de merde. Personne ne pense à faire du café, pendant les journées de merde. »


    Elle s'empressa de commencer à préparer leur présentation. Ils étaient censés parler à des japonais de leur extraordinaire nouvelle collection de cosmétiques. Myriam avait essayé les nouvelles crèmes. Elles donnaient des boutons. L'horreur. Elle avait retiré ses escarpins dépareillés et marchait pieds nus sur la moquette grise du bureau. Thomas la regardait, amusé, disposer différents tableaux de statistiques, affiches publicitaires et graphiques sur le sol. En réalité, il regardait surtout ses formes se trémousser dans la pièce et trouvait le spectacle particulièrement attrayant. Il regrettait que les murs de tout l'étage soient transparents. Il aurait bien tâté la marchandise de ses grandes paluches de coureur de jupon. En réalité, c'était un type un peu vulgaire. Mais juste un peu. Il était rarement trop entreprenant à en indisposer la gente féminine. Il savait doser.
En levant les yeux vers son collègue, Myriam comprit immédiatement où son regard était posé.


« Je sais que ce pantalon me va vraiment bien ... Mais aurais-tu l'obligeance de cesser de fixer mes fesses de cette manière ?

- De quelle manière, exactement ? fit-il, en suivant des yeux le déhanché qu'elle avait effectué pour se retrouver face à lui.

- Celle-là. Lubrique, perverse. Je ne veux même pas imaginer ce que tu étais en train de penser.

- Arrête de me prendre pour un obsédé sexuel ! »


      Elle lui décocha un sourire mi-moqueur, mi-exaspéré. Il laissa échapper un léger rire. Quelques images fort peu catholiques lui avaient effectivement traversé l'esprit, mais enfin, pas de quoi en faire toute une histoire. Ils se remirent au travail, malgré le manque de sérieux du mâle. A midi et demi, Bauvon décréta qu'ils étaient prêts, et qu'ils pouvaient aller manger. Bonne nouvelle, il avait réservé au Dixy's, un restaurant italien – comme son nom ne l'indiquait pas - que la jeune femme appréciait beaucoup. Manque de bol, lorsqu'elle commanda un risotto au champignon, on lui répondit qu'il n'y en avait plus. Elle demanda alors une part de lasagnes végétariennes : bien sûre, les dernières le dernier plat venait d'être englouti par un touriste obèse qui avait laissé un gros pourboire à la serveuse. Lorsqu'elle voulut prendre des tortellinis au pesto, on l'informa qu'il ne restait plus que des spaghettis et des pennes. Elle était absolument dégoutée. On lui conseilla de prendre un veau Marengo : évidemment, elle était végétarienne. Elle dût se rabattre sur une salade composée. Devant son air dépité, Thomas eut pitié et lui colla dans la bouche une fourchetée de sa tourte au fromage. Surprise, elle sursauta et se piqua le palais avec les pointes de la fourchette.


« Oh mon Dieu ! Tu vas bien ? S'enquit le blond, contrit.

- Oui, oui, ça va ... »


        Ils finirent de manger en silence, sans se quitter du regard. Finalement, il était moins désagréable de manger avec ce cher Thomas, que de travailler avec. Un peu plus, et Myriam l'aurait presque trouvé sympathique. Sauf que, pour le dessert, ils prirent une glace à l'italienne en rentrant à pieds au bureau, et il écrasa la sienne sur le tailleur de la jeune femme après s'être emmêlé les pattes. Bien sûr, ce n'était pas de sa faute, mais il avait d'un seul coup perdu tout son charme. Avec son chemisier tâché, ses chaussures même pas assorties, Myriam comprit qu'elle devait rentrer se changer à la maison et se dirigea directement vers le parking souterrain de l'immeuble. Elle fouilla dans son sac, sans trouver ses clefs : elles étaient restées dans le bureau. Elle fut donc obligée de traversée le hall d'entrée, de prendre les escaliers - parce que l'ascenseur était en panne - jusqu'au cinquième étage, tout cela sous le regard railleur de ses collègues de travail. Ses clefs récupérées, elle redescendit, la honte marquée au fer rouge sur son front. Elle ouvrit la portière, s'installa au volant, et démarra sa petite Clio beige. Elle se tapa à nouveau tous les embouteillages de treize heures. Elle se gara à l'arrache sur le trottoir, devant son immeuble, pensant naïvement qu'elle ne prendrait pas longtemps à se changer. Elle avait tort. En ouvrant la porte de son appartement, elle se rendit compte d'abord qu'elle n'était pas fermée à clef. Elle comprit ensuite que Marc n'était pas parti. Il l'accueillit calmement, presque jovialement, assis sur son canapé à lire le quotidien. Très élégant, chemise propre et jean, il lâcha son journal pour la rejoindre. Il avait fait le ménage, la vaisselle, et la lessive. Myriam en était bouche bée.


« Je me suis permis de faire un peu de rangement ... J'ai pensé que ça te ferait plaisir. »


       Sur le coup, la jolie rousse oublia son entière matinée pourrie, et décida que c'était en réalité un des plus beaux jours de sa vie. Elle embrassa langoureusement l'homme parfait, qui loin d'être gêné, répondit au baiser. Elle le poussa sur le canapé, ôta ses vêtements salis avant d'arracher sauvagement le haut de Marc, qui prenait son pied à la laisser faire. Jusqu'à ce qu'ils soient interrompus par un « bip-bip » émanant de la poche arrière du pantalon de Marc. Il fut bien obligé d'interrompre ce qu'ils n'avaient pas encore commencé, pour se rhabiller et filer à toute allure. Il était sans doute désolé, mais il n'avait pas eu le temps de le dire. D'ailleurs, il n'avait pas non plus dit qu'il avait gardé le double des clefs de l'appartement.
Myriam, en plus d'être de mauvaise humeur, était frustrée. Elle se changea rapidement, ferma la porte à clef, et descendit retrouver son automobile. Forcément, un policier lui avait laissé une jolie contravention.

 

« Merde. » dit-elle à haute voix.


       Il n'y avait en effet pas d'autre terme.
Elle retourna au boulot. Elle trouva Bauvon assis sur son bureau, à fouiner dans son téléphone.


« Tu avais oublié ça sur la table du restaurant.

- Tu ne pouvais bien sûr pas me le rendre avant de chercher je ne sais quoi dedans.

- J'ignorais que tu étais une adepte des sextos.

- Je t'emmerde. »


        A quatorze heures trente, elle n'avait plus la force de répondre autre chose, ni même de réclamer qu'on lui rendit son bien. D'un autre côté, elle s'en foutait pas mal, qu'on regarde les messages coquins qu'elle avait pu envoyer à deux ou trois ex. Elle observa Thomas de haut en bas, se répétant quelques instants que « Putain, qu'est-ce qu'il est bien foutu ! ». Il n'était cependant pas plus sexy que Marc, qui dans son genre, était aussi plutôt beau mec. Bref, dans tous les cas, elle n'aurait ni l'un, ni l'autre pour la consoler de cette journée vraiment pourrie. A quinze heures, il y avait la fameuse présentation avec les japonais. Pour faire court, Myriam se planta royalement. Ils eurent tout de même le contrat grâce à quelques bons tours de son partenaire, et malgré cette maigre consolation, la jeune femme était dégoutée. Elle préféra donc rentrer chez elle, plutôt que d'aller à un dîner ennuyeux chez l'une de ses amies mariée. Elle s'écroula sur son lit, avec la faim au ventre, mais la flemme de se faire à manger, puisqu'il n'y avait aucun reste dans le réfrigérateur.
Marc la réveilla, environ une demi-heure après qu'elle se fut endormie : il était vingt heures, et il ramenait des plats végétariens de chez le chinois. Il était tellement charmant, que sur le coup, Myriam se demanda s'il n'était pas gay. Après qu'ils eurent fini les derniers grains de riz et légumes sautés, Marc lui prouva qu'il n'était définitivement pas homosexuel.
       La journée de merde s'acheva sur une note positive.

  • Donc, parce qu'un homme est charmant, il sera gay ?
    Et une fille un peu masculine, lez ?
    La Briséis de votre pseudo semble avoir semé un joyeux désordre dans la Grèce antique !
    Yes ! je plaisante !

    · Il y a presque 7 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

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