Mes escaliers : un début...

Yeza Ahem

De l'envie d'assumer mon esprit d'escalier...

Il existe toutes sortes d'escaliers : des petits, des grands, pleins ou à claire-voie, en bois ou en béton, en colimaçon ou droits. On les monte ou les dévale, on en sort ou on y entre. Les escaliers sont confinés ou extériorisés. On s'y arrête aussi parfois. On y rencontre ses voisins, ses collègues, ses amours aussi, des fois.

Pérec voulait inventorier les lits de sa vie, comme autant de marqueurs spatio-temporels de son existence en mouvement. Je voudrais, quant à moi, parler de mes escaliers : les persos et les pros, les réels et fantasmés.

Mon premier escalier est en bois sombre. Il mène de la cuisine à la chambre de mes grands-parents. Il est droit et se compose de 24 marches de presque 16,3 cm de hauteur. Dessous, il y a un cagibi qui renferme, derrière sa porte bloquée par un loquet, des gamelles, poêles et faitouts bien ordonnés, accrochés à des clous fichés dans le bois de l'escalier. Au pied des marches, un petit espace laisse s'ouvrir les portes du vaisselier, calé contre le mur. A gauche, la porte vitrée des toilettes, dépolie heureusement, mais peu garante d'une quelconque intimité. A droite, la cuisine : une table et ses trois chaises, un plan de travail, un évier surmonté d'une fenêtre, et une gazinière. L'escalier a, pour toute rambarde, une planche qui permet de s'aider pour ne pas perdre l'équilibre à la descente, pour faire une pause à la montée.

Cet escalier est le poste de vigie que j'ai adopté. Assise sur ses marches, embrassant le montant de sa rambarde, j'observe et me dissimule. Je ne suis dans les pattes de personne, et vois tout, sens tout, entends tout. Très vite on m'y oublie, on ne me voit plus, et alors j'assiste aux rites des adultes : discussions, organisations et cuissons. J'y ai passé des heures. J'allais aussi parfois dans le cagibi pour attraper la petite casserole, celle du fond, en émail rouge. Non, pas celle-là, l'autre à gauche... l'autre gauche ! Mais aussi pour me cacher des gens : envie de disparaître, d'espionner, de me cacher, de faire peur, à moi, à eux, dans le noir... et si quelqu'un refermait le loquet ? L'air passe entre les planches de l'escalier. Mais c'est étroit, et puis si on m'oublie ? Je ne retiens plus la petite porte en biais, je la ré-ouvre doucement. Personne ne me voit. Vite, je m'échappe et m'éclipse !

Je sens encore le bois, entre mes bras. Je le revois. J'entends aussi le craquement de la 6e, 9e et 17e marche. Cet escalier-là fait partie de moi.

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