Mes mémoires d'Outre-Tombe

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Mes mémoires d'outre-tombe


A Chateaubriand (le steak naturellement...)



Salut tout le monde !

Oui JE SAIS ça peut vous paraître surprenant, mais je vous écris du fond de ma tombe...

Évidemment, je suis lucide, je sais qu' encore une fois on ne me prendra pas au sérieux, je ne suis qu'Arthur Roubignolle, mais par contre quand c'est Chateaubriand qui le dit, tout le monde le croit lui!

Deux poids deux mesures comme d'habitude ! Chateaubriand avait des relations, il connaissait des journalistes, des gens du monde, il était introduit dans les milieux littéraires de son époque, alors c'était facile pour lui, il savait que même mort, ses textes post-mortem seraient pris au sérieux...

Voilà bien l'éternelle injustice de n'être point connu !

Quand c'est Chateaubriand qui écrit ses mémoires du fond de son trou, tout le monde le croit sur parole, et moi naturellement on va croire encore que c'est une blague...

J'imagine déjà les commentaires des lecteurs « Oui, comment peut-il écrire alors qu'il est mort ! »

«  Et comment fait-il pour faire parvenir à la surface ses textes ? »

« Il nous prend un peu pour des billes le Arthur... »

Etc etc...



Que je vous explique un peu ...

Juste avant de mourir j'ai pris soin d'emporter avec moi un carnet et un stylo, enfin plusieurs stylos, on ne sait jamais, une fois qu'on est en bas, il n'y a plus moyen d'aller se fournir chez le marchand de stylos...


Le principal problème quand on écrit ses mémoires d'outre-tombe, c'est l'humidité. On ne peut s'imaginer comme une tombe est humide, c'est un fléau  contre lequel on doit lutter en permanence...  Surtout quand on est enterré comme moi en Bretagne, car j'ai tenu à reposer moi aussi en face de Saint-Malo, sur un îlot rocheux, tout comme  Chateaubriand...  C'est un minuscule îlot, à peine un cailloux, je n'ai pas les moyens de me payer plus grand comme le prétentieux auteur des mémoires soi-disant d'outre-tombe... 

 En Bretagne, rester au sec est une préoccupation de tous les instants. J'ai d'ailleurs inventé un proverbe à ce sujet, lorsqu'il fait beau en Bretagne je ne dis pas "Il fait beau", mais "Tiens il continue d'arrêter de pleuvoir aujourd'hui!"


Mais j'ai résolu le problème de l'humidité grâce à mon sens de l'organisation, et grâce aussi au petit héritage que m'a laissé ma pauvre mère qui m'a dit, au moment de mourir : « J'espère que tu utilisera bien cet argent, que tu ne le dépensera pas avec les filles comme tu as fait toute ta vie !  Sois raisonnable je t'en prie, promet-moi d'être enfin un bon fils et je pourrai mourir en paix ».


Je fis le serment solennel à ma mère de ne plus voir de femmes, de femmes faciles veux-je dire... et la pauvre femme expira dans mes bras, un sourire de bonheur aux lèvres...


Juste après l'enterrement et les formalités familiales, (recevoir les condoléances éplorées des cousins, cousines, oncles, tantes qui pendant trente ans ne s'étaient jamais souciés de savoir si ma mère et moi allions bien) , je fonçais chez le notaire qui me remit un confortable pécule. Cela représentait les cinquante années d'assurance-vie que ma mère avait laborieusement épargné, mettant chaque jour, sou après sou, au prix de privations incroyables, tout ce qu'elle gagnait à la sueur du front de mon père...


Quand je dis que ma mère se privait de tout, je rectifie un peu, il serait plus exact de dire que ma mère ME PRIVA de tout, pour qu'à sa mort je ne manque de rien !


Pour économiser, je ne fus nourris que de patates et d'endives... Je reçus mon premier vélo seulement à l'âge de trente ans, et encore, seulement pour me récompenser d'avoir réussi mon concours d'entrée à l' École Polytechnique, ou je me préparais à une brillante carrière d'ingénieur (C'est moi qui construisit le pont sur la rivière Kwaî, le second naturellement, pas le premier...)


Enfin bref, je ne vais pas vous raconter ma vie...

Grâce à la fortune que ma mère avait amassée en ne satisfaisant pas mes besoins essentiels, j'avais de quoi me construire une tombe adaptée à la rédaction de mes mémoires d'outre-celle-ci...


Étant ingénieur, il me fut aisé de réaliser les plans d'une tombe-modèle que je fis exécuter par d'habiles artisans.


Les parois de ma dernière demeure étaient en béton de fibre de carbone vitrifié, recouvert par trois couches de chaux calcifiée de catégorie HLN, la chaux étant un excellent régulateur d'humidité...


Pour les communications avec la surface, je fis aménager un conduit vertical à l'intérieur duquel un système hydro-pneumatique me permettait de propulser mes textes hors du trou...


Ainsi, j'étais assuré de pouvoir écrire mes mémoires d'outre-tombe en toute sérénité. Je savais que mes textes seraient recueillis en surface.

Il se trouverait bien quelque passant mélancolique venu faire une promenade dominical au cimetière et qui serait intrigué par ces textes jaillissant soudain d'une sépulture.

Il les transmettraient certainement à qui de droit...


Et si vous êtes en train de lire ce texte, c'est que mon système à parfaitement fonctionné...


Merci de votre lecture en tout cas, excusez-moi je n'ai pas trop le temps, j'ai un tas d'autres textes à rédiger, car, depuis que j'ai l'éternité pour moi et que je ne suis plus dérangé, c'est fou comme je suis devenu prolixe, je n'arrête pas d'écrire et tout un tas d'idées formidables se bousculent dans ma tête...


Mais croyez si vous voulez Chateaubriand et pas moi, ça m'est égal...


Chateaubriand n'avait pas les moyens techniques dont je dispose, et à mon avis, il a écrit ses mémoires d'outre-tombe de son vivant...


Je l'ai toujours soupçonné d'être un peu un faiseur et un tricheur...









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