Mes petits secrets. 1

laurencemarino

Certains petits secrets doivent restés secrets, d'autres moins….

La première fois que cela s'est produit, j'étais confortablement installée dans ma voiture. Un Bordeaux, Dinard, cinq heures de conduite en solo. J'avais démarré au petit matin. Des jeunes sortaient de boite, je prenais la route. Il faisait froid, j'avais monté le chauffage à fond. Sur le siège passager, une bouteille d'eau et des gâteaux pour passer le temps et la faim. Un week end de fête à l'arrivée. Mes amis m'attendaient vers midi pour déjeuner, j'avais la possibilité de rouler tranquille. La route j'adore. Je suis commerciale et j'arpente les autoroutes du Grand Ouest depuis trois ans.

Ma compagne préférée se nomme radio depuis longtemps. Mais pas n'importe quelle station. Je ne supporte pas celle qui chante, j'aime celle qui parle. Celle qui débat, pose des questions, écoute les réponses, témoigne et rigole.

Donc ce matin de janvier, j'étais installée sur France inter et la douce voix des infos de cinq heures me tenait en éveil. L'émission suivante n'était pas très alléchante et ma main gauche a attrapé le bouton. Passées en revues les stations d'infos, zappées celles de musique matinale agressive. Mon doigt a rippé et soudain dans les enceintes une voix cristalline. Enfin c'est aujourd'hui que j'utilise cet adjectif pour vous raconter. Ce matin là j'ai juste tendu l'oreille et suis restée la bouche ouverte. Radio Classique. 92.20.

Côté culture musicale, j'ai été élevée au son de Léonard Cohen et  Hubert-Félix Thiéfaine. Durant mon adolescence mon catalogue de bruits s'est développé et j'ai pu découvrir le top 50, la new-wave, le punk, le ska et autres chinoiseries. Le classique ? Jamais. C'était la musique des riches et des blonds du type Petit Lord Fauntleroy. Pas la mienne, pas celle de mon appartement du 8ème étage rue Mauri.

Est ce la nuit noire ? Est ce le manque de sommeil ? La perspective d'un week-end entre potes ? Tout ce que je sais, c'est que la voix dans la radio m'a émue. Durant toute la route, j'ai laissé les musiques d'opéras, les morceaux de piano et d'autres instruments envahir mon habitacle.

J'écoutais aussi les voix qui expliquaient, présentaient, s'extasiaient. Et puis une voix. « Mon cœur s'ouvre à toi » Elle s'appelait Maria Callas. Samson et Dalila, je connaissais l'histoire.  C'est parti de ma gorge, c'est descendu dans mon ventre par les tripes pour atterrir en comète brulante entre mes cuisses. C'était chaud, agréable, doux et ahurissant. La musique entrait et était absorbée par mon épiderme. J'avais des frissons et je restais collée à mon fauteuil sans pouvoir bouger.

Comment expliquer ces sensations incontrôlables ?

J'avoue que depuis cette première fois, j'écoute seule la musique classique. Lorsqu'un morceau s'échappe et que je suis entourée, je m'éloigne.

Les opéras romantiques ont ma préférence. Ils me font atteindre un point de bascule comme personne d'autre.

C'est mon petit secret. Celui enfermé dans ma voiture.

Fin

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