Midi
Christel Belle Des Champs
Midi, le mi-temps, l'entracte, l'arrêt, la pause.
Dans sa voiture, il s'agace d'être immobilisé. Bloqué dans le trafic. Coincé dans ce temps suspendu.
Entre deux lieux, entre deux actions, deux obligations. Entre deux cigarettes. Non trois, il vient d'allumer la troisième.
Il scrute comme il peut la file devant lui. Se tord le cou. Voudrait estimer la longueur de l'attente. Il cherche le feu rouge à l'origine de l'immobilisation générale mais ne le trouve pas.
Il s'agace sans raison, allume la radio, cherche une station sans savoir laquelle, zappe et zappe encore. Puis il éteint la radio. Il récupère son téléphone dans sa poche intérieure, vérifie l'absence de mails, de SMS. Contrôle son agenda, ses rendez-vous du jour. Il va finir par être en retard. Mais sauter son déjeuner, c'est au-dessus de ses forces.
Il regarde les voitures devant, derrière lui, dans le rétroviseur. Estime les conducteurs.
Devant, une mère de famille, sans sa Twingo ancienne génération, avec son môme à l'arrière. L'enfant semble très prolixe. La mère lasse.
Derrière, un papy à casquette, dans une Volvo flambant neuve. Calme, immobile, sûre du temps qui passe et qui ne l'atteindra pas.
A gauche, le slogan du flan d'un camion lui saute au visage : « Toupargel, la garantie du transport par gel ». Il relit le slogan, une fois, deux fois. Ça ne veut rien dire. Bandes de cons !
A droite, une femme au volant, au téléphone semble nerveuse. Ses cheveux mangent son profil. Elle se ronge les ongles d'une main, tient son téléphone de l'autre. La discussion est animée. Elle s'énerve, fait des grands gestes, crie. Il croit entendre : « Mais putain, tu ne comprends rien ! »
D'un mouvement rapide, elle relève ses cheveux, et… nom de dieu, il croit reconnaître le profil de Carole Bouquet ! Il n'en revient pas. Discrètement – enfin, discrètement… - il la regarde plus attentivement. Il ne savait pas qu'elle avait les cheveux si longs et si bruns. En même temps, la coupe de cheveux de Carole Bouquet ne fait pas partie de ses préoccupations majeures.
Il attend un nouveau mouvement pour confirmer son intuition, sa vision. D'un seul coup, elle se retourne vers lui, toujours au téléphone et en larmes. Il n'en revient pas : c'est bien elle !
Toujours en pleine discussion, elle lève les yeux, implorante, et ils se retrouvent face à face, les yeux dans les yeux. Lui, il lui sourit. Lui, comme un con, il lui sourit. Au moment où il réalise l'incongruité de son air béat, la file de voiture redémarre et Carole Bouquet échappe à son champ de vision.
Putain, quand il racontera aux copains qu'il s'est retrouvé, yeux dans les yeux avec Carole Bouquet, à un mètre cinquante l'un de l'autre…
Mais au fait, quel est le con qui fait pleurer Carole Bouquet ?
J'aime vraiment bien. Regarder ces petits bouts de vie, ces petits bouts de quotidien. Et puis qui peut bien faire pleurer Carole Bouquet?
· Il y a plus de 10 ans ·Marion B
J'aime beaucoup ce que murmure la conclusion, ce petit décalage qui se crée et transmet comme un petit message avec beaucoup de finesse.
· Il y a plus de 10 ans ·hel