Comment Milo dut changer le nom de son attraction
Stéphane Monnet
Au pays des Manèges & Attractions, le labyrinthe du roi Minus n'était pas encore le plus renommé. Milo en connaissait chaque recoin. Le soir, quand le silence était enfin revenu dans le dédale des hauts murs blancs, il prenait son matériel et partait effacer les traces laissées par les visiteurs : flèches donnant une direction, croix indiquant un cul-de-sac... Surtout il balayait les cailloux déposés dans les allées par les apprentis Petit Poucet. Depuis que le labyrinthe était ouvert au public, il en avait tellement ramassés qu'un énorme amas dominait désormais l'attraction. On l'appelait la colline des Pas-perdus.
Milo aimait son métier. Il déversait avec soin une pelletée de galets dans sa brouette, quand il entendit des pas derrière lui. Il se retourna, vivement surpris. C'était Flint, l'apprenti du Palais de la magie.
"Milo ! Enfin je te trouve ! Faut que je te montre ça. Tu vas pas en croire tes yeux."
Milo s'écarta un peu. Flint tenait sa baguette magique droit devant lui. La dernière fois, il s'était fait brûler la moitié des sourcils et des cheveux.
"Balé Obé Balé Obé Amoi !"
Le balai de Milo se dressa d'un coup, droit sur ses poils, et, comme un automate, se mit à balayer.
"C'est le ballet du balai ! Balayons en rond ! Balayons en rang ! Tout sera propre et pimpant !"
Milo admirait ce prodige, une main sur chaque oreille. Le balai chantait horriblement faux.
"Pitié, Flint ! Fais-le taire...
Flint réfléchit un instant puis prononça une nouvelle formule magique. Le balai disparut dans un épais nuage de fumée noire.
"C'est le ballet du balai ! Tacatacatac !"
La fumée se dissipait mais le chant et le bruit étaient plus terribles que jamais. Le balai n'était plus un balai. Flint l'avait métamorphosé en marteau-piqueur... Déjà les premiers morceaux de mur du labyrinthe tombaient dans le fracas et la poussière.
"Balayons tout droit ! Fracaboum !"
Flint agitait sa baguette dans tous les sens, sans résultat. Le marteau-piqueur chanteur détruisait tout sur son passage. Milo se cachait les yeux, désespéré. Flint s'était mis à courir derrière l'engin destructeur. ZING ! BING ! SPROUTCH !
Milo écarta les doigts, jetant un coup d'œil craintif devant lui. Le labyrinthe était éventré. Et là où auraient dû se trouver Flint et le marteau-piqueur, se tenait, pesamment assis sur son gros derrière, un dragon vert aux écailles orange. Comme venue de l'intérieur de son ventre, la voix étouffée de Flint chuintait : "Laissez-moi sortir !"
Milo se mit à pleurer doucement. Son labyrinthe était fichu. Flint avalé. Qu'allait-il devenir ?
"Ne pleure pas, petit Milo", dit une voix grave et caverneuse. À travers ses yeux embués de larmes, Milo reconnut la grande barbe grise du maître du Palais de la magie.
"Je vais arranger cela... Abracadabra !"
Le magicien n'avait pas fini de prononcer le dernier "a" que les murs étaient à nouveau là, blancs, solides, uniformes.
"Oh merci ! Merci ! Mais... Et le dragon...
-Ne crains rien, il se nourrit de cailloux... Je crois que tu en as en stock...
-Et Flint ?
-Les dragons verts ne digèrent pas les magiciens, même apprentis. Il le recrachera un jour ou l'autre. Demain ou dans cent ans."
Ragaillardi par ces nouvelles, Milo courut à son atelier. On l'entendit travailler toute la nuit. Au matin, quand les premiers visiteurs arrivèrent, il achevait de fixer au-dessus de l'entrée un énorme panneau qui disait : "Labyrinthe du dragon vert Laissémoissortir." À partir de ce jour, son labyrinthe fut le plus renommé de tout le pays.