Mobilité liberté
Laurent Pendarias
Un moyen de transport me conduit d'un point A à un point B. Autour de moi, neuf personnes sur dix ont leur mobile à la main ; elles consultent leur messagerie, lisent les actualités ou se divertissent avec un jeu. Notre mobilité, à la fois physique et virtuelle, nous permet d'aller partout, d'accéder à tous les contenus et, en ce sens, nous nous sentons plus libres que les générations précédentes : je peux habiter à Mâcon et travailler à Aix-en-Provence, siroter une bière en terrasse à Foix et visiter virtuellement Le Louvre ou encore me reposer dans la campagne du Périgord et me tenir informé grâce à l'application Matinale du journal le Monde. Même un français privé de vacances, faute de moyens, a encore la liberté de s'évader de son quotidien et d'aller explorer les autres pays du globe. Nous voilà mobiles !
Tel Typhon, la créature mythologique la plus puissante que la Terre ait jamais enfantée parce qu'il est sans cesse en mouvement, la France a repoussé l'offensive allemande, lors de la bataille de la Marne en 1914 grâce aux taxis parisiens, soit un support mobile inattendu. La compagnie Google a développé le concept de Mobile office, de bureau mobile : aucun employé n'ayant d'emplacement attitré, chacun est libre de travailler où il souhaite, ce qui contribue à de stimuler les échanges entre collègues et la créativité.
Mais peut-on retrouver les avantages de la mobilité sur un téléphone, une application ou encore un jeu, au prétexte qu'ils se disent « mobiles » ? Un adolescent enchainant les parties d'un jeu répétitif et coloré sur son portable, explore-t-il réellement sa liberté?
La mobilité est la liberté
Qui a grandi à la campagne sait combien compte la mobilité. Le moindre déplacement, lorsque j'étais jeune homme, posait problème. Or pour le sens commun, la liberté se définit d'abord par l'absence de contrainte. Ainsi parle-t-on d'un animal sauvage en liberté ou d'une pierre en chute libre. Il s'agit avant tout d'une liberté au sens physique puisqu'elle permet le déplacement. Le téléphone mobile démultiplie cette liberté de voyager aux quatre coins de la planète, grâce à internet.
Retrouver la maîtrise du temps
De même le mobile mobilise le temps. Certes nous sommes de plus en plus harcelés par notre téléphone et notre messagerie, lesquels semblent se liguer pour perturber notre concentration, toutefois notre mobile, grâce aux applications et autres jeux, a transformé les temps d'attente.
Autrefois, les humains subissaient l'attente, prévue ou imprévue, qui était souvent synonyme d'ennui. Qui n'a jamais pesté dans une file, un embouteillage ou une salle d'attente ? On peut ressentir de l'énervement voire de la colère quand on a le sentiment que l'organisation, ou plutôt la désorganisation de la société, nous fait perdre notre temps. Pour certains – dont nos camarades franciliens –, le temps de trajet domicile-travail s'élève à deux heures par jour. Ce n'est pas moi qui ai choisi de passer une heure dans un RER, j'aurais préféré me livrer à une autre activité.
Les jeux mobiles nous ont rendu une certaine liberté en transformant l'attente. Que ce soit dans le métro, le bus, le tramway, il est possible de faire autre chose que seulement patienter. On occupe son temps plutôt que de le perdre, et l'agacement potentiel laisse place à l'amusement.
Cinq minutes à attendre que la rame redémarre ? Petite partie de Candy Crush. Le médecin a pris trente minutes de retard dans ses rendez-vous ? Allons explorer les étoiles dans Out There. Coincé à l'aéroport pour trois heures? Et si on testait un jeu plus complexe comme Elegy for a dead world ? Cette opportunité est bien connue des parents qui voient leurs bambins demander tel jeu sur téléphone ou tablette, et non plus l'heure à laquelle on arrive.
Les yeux rivés sur notre écran, nous ne voyons pas le temps passer, et ça tombe bien : le retard de 15 minutes annoncé vient de se muer en une heure. Au lieu de subir l'ennui et l'attente, le passager peut, à l'aide du mobile, choisir ce qu'il va faire. Ce n'est plus la Fortune, le hasard, qui vous impose les coups du sort.
J'attends toujours l'application qui changera ma vie
Certes voilà un morceau d'apologie passionné ; néanmoins je ne peux nier qu'en 2015, les citoyens s'inquiètent du développement de ces programmes qui, petit à petit, grignotent notre intimité. La récente loi sur le renseignement a réveillé bien des inquiétudes concernant la surveillance des individus, à propos de l'accès de l'Etat à la sphère privée pourtant les réseaux sociaux remplacent déjà Big Brother en incitant les utilisateurs à publier leurs données personnelles. Vous laissez votre téléphone donner votre géolocalisation donc on peut savoir, à chaque moment, où vous êtes. Et que dire des nuisances quotidiennes ? Au prétexte que vous êtes joignables tout le temps, via le téléphone ou la messagerie, votre chef, vos collègues, vos proches et des indésirables vous contactent à toute heure, pour des demandes qui, selon eux, relèvent de l'« extrême urgence », et vous reprochent de ne pas avoir décroché à temps.
Les applications mobiles ne sont pas la panacée. Nous attendons encore un concept bouleversant, une nouvelle génération qui dépassera ces controverses. Plutôt que de céder à la technophobie, il convient de se rappeler que toute invention présente un danger et que l'humanité a toujours tenté de corriger ce problème : nous avons équipé nos couteaux de manche et nous isolons nos fils électriques. Bientôt nous devrons inventer des solutions nouvelles pour garantir à la fois notre liberté et notre sécurité.
Les objets connectés intègrent nos données personnelles pour s'adapter et cela ouvre la porte à des avenirs sombres ou lumineux selon les choix que nous ferons. Quand verrai-je un jeu ou une application capable de devenir mon assistant intelligent, qui me suivrait partout et tout le temps ?
Terminons en imaginant un instant des machines bienveillantes qui nous seconderaient, comme celles qui peuplent les romans d'Isaac Asimov. Des programmes, omniprésents grâce au réseau, pour assister les Humains et les protéger, sans jamais les espionner ou les étouffer, comme le font les parents pour leurs enfants.
Je trouve ce texte très instructif et ouvre la porte vers une amélioration possible des nouvelles technologies.
· Il y a plus de 9 ans ·Pauline Sonet