MOI, CHAMPAGNE
cafourotte
MOI, CHAMPAGNE !!!!
Champagne est mon nom !!!! C’est ma jeune maîtresse Calista, une adorable gamine âgée d’une dizaine d’années qui m’a surnommé ainsi. Elle m’a expliqué que lorsqu’elle galope sur mon dos, cheveux au vent, cela lui procure la même ivresse que les bulles de champagne qui lui piquent les yeux et la langue lorsqu’elle chipe de ce précieux breuvage dans la flûte de ses parents. Elle m’a dit aussi que lorsque je suis heureux d’avoir bien couru mes yeux brillent eux aussi comme le champagne. Je veux bien la croire car elle ne me ment jamais et fait preuve vis-à-vis de moi de beaucoup d’affection.
Je ne suis pas un pur sang andalou ! Non ! Ma robe est couleur « Isabelle » donc ma crinière et le bout de mes pattes sont noirs. J’ai la chance de vivre dans une merveilleuse région « La Provence » et de partager avec ma jeune amie les folles promenades parmi les taureaux et les flamands roses et l’ivresse des grands galops sur la plage des Sainte Marie de la Mer, d’où nous rentrons tous les deux avec un goût de sel sur la langue.
Comme moi, Calista rêve d’aventure et espère toujours qu’il va lui arriver quelque chose d’exceptionnel.
Ce jour là lorsque Calista vient me rejoindre dans mon box, je la sens soucieuse, chagrinée. Elle, qui est plutôt bavarde, ne dit rien et me selle sans un mot. Etrange !!!! Voulant savoir ce qui met du chagrin dans ses jolis yeux, je pousse ma tête contre son épaule jusqu’à ce qu’elle mette ses deux bras autour de mon encolure et qu’elle me raconte.
Lors de sa promenade sur la plage avec ses copains à la sortie de l’école, elle a rencontré dans un abri entre deux petites dunes de sable, un jeune homme qui a l’air très mal en point. Calista a un grand cœur et bien sur une seule idée en tête celle d’aider ce jeune homme coûte que coûte. Je sens qu’il va falloir que je fasse preuve d’ingéniosité et de beaucoup d’idées si je veux lui être utile.
Tout d’abord, en bougeant ma tête dans le sens de la sortie, je lui fais comprendre que je veux aller voir où se trouve ce jeune homme et comment il est. Pas question que ma petite copine prenne des risques inconsidérés en ne sachant pas qui est en face d’elle. Calista s’installe sur mon dos et nous voilà partis, direction la plage !!!!
En tirant doucement sur mes rênes, Calista me guide vers un petit abri naturel situé entre deux petites dunes de sables. Là blotti dans une couverture, se trouve un jeune homme, un peu sale, pas rasé, des vêtements en lambeaux portant autour de la tête un de ces colifichets appelés bandanas. Parfois, Calista m’en met un autour du cou. Elle dit que c’est pour que je sois encore plus élégant. Je la laisse faire elle est tellement contente. Il n’a pas l’air bien méchant, plutôt un peu paumé.
Tout doucement sans geste brusque Calista s’approche de lui. Il n’est inquiet au contraire plutôt content que quelqu’un vienne à sa rencontre. Et puis Calista est douce et toute mignonne et il sent bien, tout comme moi je le sais, qu’elle ne lui fera pas de mal. Sans s’occuper de son pantalon blanc (gare maman va gronder) elle s’assoit près de lui, à même le sable et moi, protecteur je viens me placer tout près d’elle. Il est hors de question que cet inconnu fasse du mal à ma copine et au premier geste brusque je vais le mettre ko d’un bon coup de sabot.
Mais non je m’inquiète pour rien. Déjà je vois de la complicité naître entre lui et Calista dont les yeux brillent comme des étoiles tellement elle est contente. Moi, je l’avoue, suis terriblement jaloux de cette amitié naissante dont je ne sens un peu exclue et pour montrer ma désapprobation je rue un peu.
Ils ont l’air surpris tous les deux et Calista, qui a compris mon inquiétude car elle me connaît bien, met ses bras autour de mon encolure et me murmure à l’oreille « sois pas jaloux, je t’aime toi et tu vas m’aider à ramener ce garçon chez lui, et vous allez devenir amis tous les deux ». Forcément je rends les armes, sa voix est si douce. Tendrement pour confirmer ce qu’elle vient de me dire, elle tend sa main au jeune homme qui la prend sans hésiter et leurs deux mains réunies s’approchent tout doucement de ma crinière pour la caresser. J’en suis tout ému.
Puis Calista reprend les choses en mains et nous apprenons que notre inconnu s’appelle Julien, qu’il a 18 ans et qu’il a quitté précipitamment, pour cause d’incompatibilité d’humeur, le plateau d’une célèbre émission de Télé réalité qui emmène les gens au bout du monde pour leur faire vivre l’enfer.
Bon !!! Je me sens un peu rassuré mais pas pour autant prêt à baisser ma garde et je reste tout près de ma jeune maîtresse.
Julien lui explique, et mes oreilles se dressent afin de ne rien perdre de leur conversation, qu’il a essayé de rentrer chez lui par ses propres moyens : auto-stop, bus, passager clandestin sur un bateau. Cependant, son dernier moyen de transport, une toute petite barque, l’a jeté, épuisé, affamé sur cette plage et là il n’a plus aucun moyen de prévenir quelqu’un. Son portable est au fond de l’eau, il n’a plus d’argent et pour compléter le tout, il a du se blesser à une cheville car elle le fait terriblement souffrir.
Vraiment, il les accumule !!! Ou alors il n’a pas de chance ou il est vraiment très maladroit. Ma jalousie reprenant un peu le dessus quand je vois comment Calista le regarde, je penche pour la deuxième hypothèse et je m’en veux d’être si mauvais joueur. Mais bon c’est ma maîtresse malgré tout et là il est en train de me la chiper !!!! Bon d’accord il n’est pas mal, un peu sale, hirsute mais avec de beaux cheveux un peu longs qui lui tombent sur les yeux. Mais moi, j’ai une magnifique robe luisante de propreté, une crinière qui, lorsque je la secoue dans le vent, ressemble à des plumes et qui me descend aussi sur les yeux. Je n’ai rien à lui envier à ce jeune homme. Allez, champagne !!!! Fais-toi confiance et tout va bien se passer.
Après avoir écouté son histoire, Calista lui dit « reste là, ne bouge pas, je reviens !!! enfin plus exactement, nous revenons. » J’apprécie la nuance. Puis d’un bond elle est sur mon dos et m’ordonne « à la maison ».
Au grand galop, je file vers mon écurie. A peine sommes nous dans mon box, que Calista glisse de mon dos et file comme une flèche en me disant à moi aussi « reste là, je reviens ». Où veut-elle donc que j’aille sans elle ???? Elle est vraiment perturbée mon amie, même pas une petite caresse sur les naseaux, ni un petit mot dans mon oreille pour me remercier d’avoir galopé aussi vite. Ce jeune homme lui a vraiment fait perdre la tête et je n’aime pas ça. En secouant ma crinière, je me motive « reste vigilant Champagne » !!!!
A peine quelques minutes se sont écoulées lorsque Calista revient portant un sac plus gros qu’elle, ainsi qu’une couverture. Comme elle le peut, car elle n’est pas très grande, elle installe tout ça sur mon dos et même si je ne suis pas sur que l’idée soit bonne, je fléchis un peu les jarrets pour lui faciliter la tache. Puis elle se met en selle et m’ordonne « vite, on retourne à la plage ». Je renâcle un peu histoire de me faire prier et oh miracle ça marche. Elle noue ses petits bras autour de mon cou, me cajole et me chuchote à l’oreille « tu es mon meilleur ami, alors aide-moi et filons vite jusqu’à la plage retrouver Julien ». Evidemment, je cède. Que voulez-vous tout le monde à son point faible et bien moi c’est elle.
De retour auprès de Julien, j’ouvre de grands yeux étonnés en voyant Calista sortir de son sac des barres de céréales, du sucre, quelques gâteaux, du jus de fruit et de l’eau. Je devine qu’elle a chipé tout cela dans le placard chez sa maman et cela a du lui coûter car ce n’est pas dans ses habitudes. Puis elle retire la couverture de mon dos pour la poser avec une tendresse infinie sur les épaules de Julien qui la serre contre lui de toutes ses forces pour retrouver un peu de chaleur. Continuant à vider le sac devant mes yeux de plus en plus ébahis, elle sort un tube de pommade avec laquelle elle entreprend de masser la cheville douloureuse, puis une bande qu’elle enroule avec habileté autour du pied. Ses gestes sont doux et méticuleux, et Julien n’a pas l’air de souffrir. C’est normal, Calista peut-être d’une douceur infinie lorsqu’elle soigne quelqu’un. Je me souviens avec quelle délicatesse, elle me massait le jarret lorsque je m’étais fait mal l’été dernier sur la plage. J’aurais presque prolongé mes souffrances, rien que pour sentir ses petits doigts sur ma jambe. Alors, vous imaginez à quel point je peux comprendre ce que ressent Julien.
Ensuite, elle lui explique que demain, elle lui apportera encore à manger et à boire et que dès qu’il aura un peu plus de force, avec mon aide, elle le raccompagnera chez lui. Mais au fait où habite-t’il cet inconnu du bout du monde ? Je ne suis pas disposé à parcourir la France pour le ramener chez lui, Moi !!!! D’ailleurs, personne ne m’a demandé mon avis.
En quelques mots, Julien me rassure. Il habite, tout près de là. En fait à une cinquantaine de kilomètres dans une bourgade que l’on appelle Tarascon. C’est là que vivent ses parents, qui, avoue-t’il, n’étaient pas très favorables à son départ.
Calista lui promet de le ramener chez lui par n’importe quel moyen. En disant cela, elle me glisse un coup d’œil furtif. Pour lui faire comprendre mon désaccord, je secoue ma crinière de droite à gauche. Pas question de chevaucher jusqu’à Tarascon pour reconduire ce jeune homme, c’est trop risqué pour moi mais surtout pour elle. Il faut qu’elle en parle à sa maman. Calista hésite, je le sens. Elle s’est engagée vis-à-vis de Julien et veut tenir sa parole, mais elle sait aussi que ce n’est pas raisonnable et que les risques sont importants. Et puis, comment déjouer la surveillance des adultes suffisamment de temps pour faire l’aller-retour à cheval jusqu’à Tarascon ? Allons, Calista, redescend sur terre, je veux bien t’aider, mais il faut prendre un minimum de précautions.
S’installant sur mon dos, elle dit à Julien « ne t’inquiète pas, je vais trouver une solution et je serai là demain. Est-ce que ça va aller pour ce soir ? » Il la rassure en la remerciant, lui souhaite une bonne nuit et lui dit à demain. Il a confiance et sans la connaître vraiment il sait qu’elle tiendra parole et sera là le lendemain. C’est un point qui nous rapproche, lui et moi, car j’ai aussi une confiance absolue en cette petite fille. Tiens, il faut que je me méfie, nous pourrions bien devenir amis Julien et Moi et cela risquerait de me priver de ma vigilance pour protéger Calista si besoin se fait sentir. Là, je l’avoue, je me la joue un peu, car j’ai déjà bien senti que Julien ne lui ferait aucun mal. Mais il faut bien que je justifie ma présence très attentive près d’elle.
C’est au petit trot que nous regagnons la maison. Je sens que Calista a besoin de réfléchir à ce qu’elle va faire. Alors nous flânons un peu. Je me rapproche du bord de l’eau et nous trottons doucement dans les vagues qui s’écrasent sur le sable. Calista m’interroge « dis, Champagne, crois-tu que je doive parler de cette histoire à maman et lui demander son aide ? Ne penses-tu pas qu’elle va m’empêcher de retourner voir Julien et je lui ai promis de l’aider ? » Je ralentis encore ma marche afin de lui faire comprendre qu’elle doit, en effet, tout raconter et que cela ne l’empêchera pas de tenir sa promesse. Bien sur sa maman va la disputer pour avoir parlé à un inconnu mais au final, elle va l’aider et tout va s’arranger. Nous nous comprenons à demi-mot, elle et moi, et mon attitude la rassure. Elle redresse les épaules et me dit « Allez Champagne, au galop, je vais voir maman ». Mes naseaux frémissent de plaisir. Ma petite compagne a bien compris le message et a retrouvé la raison.
De retour à la maison et malgré sa hâte, elle prend le temps de me panser, de me cajoler, de coiffer ma crinière avec application comme elle le fait à chaque retour de promenade et j’apprécie même si je la sens bouillir d’impatience. Alors pour la remercier, je pose ma tête sur son épaule, délicatement car elle est toute menue et elle me gratouille les naseaux. Un moment de pur bonheur pour moi qui me fait totalement oublier Julien et notre folle aventure de la journée.
Ce qui s’est passé ce soir là entre Calista et sa maman, je ne le sais pas vraiment. Mais lorsque Calista vient me dire bonsoir comme elle le fait quotidiennement, ses yeux sont rouges et le bout de son nez aussi, preuve qu’elle a du pleurer. Elle a malgré tout murmuré à mon oreille « c’est bon demain matin, on y retourne, toi et moi !!! » et derrière les larmes restées dans ses yeux brillent des étoiles. Je secoue la tête en tout sens, faisant voler ma crinière afin de manifester ma satisfaction et pour mon plus grand bonheur, je réussis à la faire rire.
Le lendemain matin, il est à peine huit heures lorsque Calista débarque dans mon box. Elle n’est pas seule. Sa maman l’accompagne. Je me sens un peu fautif d’avoir aidé Calista hier mais en même temps je sais que je l’aurais protégée si quelqu’un avait voulu lui faire du mal. La maman de Calista sait tout cela. Elle flatte mon museau et me dit « aujourd’hui encore prend soin d’elle, je te la confie pour ramener ce jeune homme chez lui puisque tel est le désir de ma fille. Je sais que je peux te faire confiance »
Je n’ai pas de mots pour vous dire ma fierté. Que Calista me fasse confiance est déjà miraculeux, mais que sa maman me la confie alors que c’est ce qu’elle a de plus précieux alors là je n’en reviens pas et à ma fierté se mêle un peu d’émotion. A ma façon, je lui fais comprendre que je serai digne de cette confiance.
Calista et sa maman installent sur mon dos un grand sac et une fois la petite demoiselle en selle, nous voilà partis. Direction la plage !!! Nous avons rendez-vous avec Julien.
Il est là debout comme s’il nous guettait, appuyé un peu plus faiblement sur le pied qui souffre mais un grand sourire aux lèvres. Elle est revenue pour lui, il va enfin pouvoir rentrer chez lui. Il lui fait un petit bisou qui me fait frémir de jalousie et comme il l’a senti, il vient près de moi et me flatte l’encolure et les flancs d’une main experte. Il n’a plus l’air d’avoir peur de moi et j’avoue ne plus le craindre pour Calista. Pour sceller notre amitié toute neuve, je lui donne un petit coup de tête qui le surprend et fait rire Calista aux éclats. A cet instant précis, tous les deux nous nous immobilisons. Le rire de Calista est comme des petites billes de cristal qui roulent dans un escalier : léger, aérien, musical et ça dure, ça dure ……
Mais très vite, il faut revenir aux choses sérieuses afin que nous puissions partir. Julien mange, boit. Calista refait le pansement de sa cheville, puis tous les deux la petite fille entre les bras du jeune homme, ils s’installent sur mon dos.
Ce jour là, de mémoire de provençaux, on vit passer le plus étrange des moyens de transports : un cheval, la tête bien dressée, fier d’être là, crinière au vent, portant sur son dos une gamine et un jeune homme et faisant le chemin des Sainte Marie à Tarascon afin de ramener ce dernier chez ses parents.
A notre arrivée devant la maison de Julien, ce dernier descend avec Calista et tous les deux sonnent à la porte de la petite maison. Je reste devant la grille, respirant avec délectation les odeurs de lavande, de basilic, d’olives qui émanent du petit jardin entourant la demeure. Lorsque les parents de Julien ouvrent la porte, leur première réaction bien normale est de serrer leur fils dans leurs bras avec moultes embrassades. Puis découvrant la petite fille et le cheval, ils s’interrogent. Alors brièvement Julien leur raconte son aventure à laquelle nous avons participé tous les deux. Les parents de Julien n’en croient pas leurs yeux. Ils embrassent tendrement Calista et viennent eux aussi flatter mon encolure en me disant des mercis qui me feraient rougir si je le pouvais.
Bien sur, tout le monde promet de se revoir. Puis Calista reprend la place qui est la sienne sur mon dos et nous repartons, elle un peu triste malgré tout de quitter son nouvel ami. Moi, plutôt content d’avoir mené ma mission à bien, de ramener ma jeune maîtresse sans encombre et surtout, surtout d’être débarrassé pour le moment du moins de mon encombrant rival : Julien.
Je serai là, demain et les jours suivants pour elle et nous reprendrons nos promenades sur la plage, cheveux et crinière dans le vent, nous enivrant d’odeurs marines, même si bien sur de temps à autre, mais pas trop souvent, elle rend visite à Julien.
FIN
P.S. J’ai rédigé cette histoire, mais l’idée originale est sortie de la tête de deux enfants, Killian et Calista, jumeaux âgés de 10 ans.