Moi, chômeur de la République
elsa-levy
Moi, chômeur de la République, je ne suis pas, de mon propre chef, le chef de la majorité ni de la minorité, je suis un numéro.
Moi, chômeur de la République, je ne suis pas un numéro de loto, ni un numéro de téléphone mais un mauvais numéro. Un numéro à sept chiffres qui ne peut pas faire son numéro mais seulement taper sur le 3949 (partiellement gratuit puisque le fixe me taxe).
Moi, chômeur de la République, je ne traite pas le premier ministre de collaborateur, je ne traite d'ailleurs personne de rien, j'ai trop peu de voix, je suis voué à me taire et à laisser parler les chiffres.
Moi, chômeur de la République, je ne participe pas à des collectes de fonds pour mon propre parti, je me contente de toucher le fond avec toutes mes parties.
Moi, chômeur de la République, je fais fonctionner la justice de manière indépendante, en effet je n'attends rien d'elle, je la laisse faire son travail tranquillement puisqu'elle en a. Je n'ai aucun droit sur elle, juste quelques devoirs, alors je me contente de lui ressembler: à défaut d'être demandé je suis demandeur, je suis parfois bafoué, souvent manipulé, de temps en temps recherché mais jamais saisi.
Moi, chômeur de la République, je fais en sorte que mon comportement soit en chaque instant exemplaire puisque je m'actualise chaque mois en double exemplaire sur un site en tant qu'exemplaire numéroté et invendu. Je rends des comptes que je ne compte plus, je donne des entretiens à défaut de m'entretenir et des justificatifs pour éviter de perdre celui d'un domicile.
Moi, chômeur de la République, je ne cumule pas mes mandats pour me consacrer pleinement à ma tâche, je cumule juste mes dettes, mon stress et la détresse de tous les autres non mandatés qui font tâche.
Moi, chômeur de la République, j'essaie d'avoir de la hauteur de vue, et ce n'est pas compliqué vu que tout le monde me prend de haut.
Moi, chômeur de la République, j'ai le souci de la proximité avec les français, en effet, j'ai environ 6 millions de personnes qui savent de quoi je parle.
Enfin, moi, chômeur de la République, je ne meurs pas, mais c'est chaud puisque on me fait vivre dans la raie publique.
Mais moi, chômeur de la République, je me relis. Et, comme on prend un chiffre au hasard, comme on justifie, comme on liquide, je me demande si moi, travaillant, cotisant et trimant, mon sentiment n'est pas le même, mon discours semblable et mon anaphore plus générale « Moi, citoyen de la République »?