Mon collègue s'appelle Reviens

Mathieu Jaegert

Il s'appelle Reviens et est revenu de tout...

Mon nouveau collègue s'appelle Reviens. Pour dissiper les doutes, je l'ai illico cuisiné sur son parcours. Avant qu'il ne se mette à table, j'ai voulu le passer à la moulinette. En vain. Avec un prénom pareil, mieux vaut se munir d'une casserole. Ou d'une poêle. Et le faire revenir.

Le gars est parti de rien, la fleur au fusil. Evidemment, il avait d'autres préoccupations que choisir une variété de coquelicot ou de tulipe à flanquer au canon de son arme. D'ailleurs, il ne possède pas de fusil. Il est donc parti de nulle part, ce qui revient au même. D'un endroit éloigné situé entre rien et trois fois rien. A peu de choses près. Tout ça pour dire qu'il a débuté sans grands moyens tout en dissuadant le premier venu d'aller vérifier. Mais moi, je ne suis pas né de la dernière pluie, ni des précédentes. Mes parents ont toujours affirmé que le soleil cognait à ma naissance. En tout état civil de cause, j'ai vite cerné le type. S'il est parti de rien, il est surtout revenu de tout. Et mal barré avec moi. Un arriviste aux dents longues qui rayent le parquet. J'ai exhorté mon patron à changer de revêtement de sol fissa. Moquette, carrelage, ou linoléum feraient l'affaire. Il y a urgence à dévier les crocs de mon collègue de leur entreprise de démolition. C'est un homme pressé. Sans crier gare, il a déjà tout chamboulé à l'organisation de l'open space. En réalité, il a crié aéroport, ce qui témoigne de son envie d'aller vite.

Le parquet remplacé par une moquette nouvelle génération, c'est-à-dire moche mais pratique, Reviens n'a pas mis des plombes à faire étalage de ressources insoupçonnées. Plus coriace qu'imaginé, le bougre ! Son ambition ne peut s'arrêter à une moquette, déchiquetée en une semaine. Huit jours après, il a encombré son PC de raccourcis, puis de raccourcis de raccourcis, avant de se résoudre à ne jamais fermer dossiers, fichiers et ordinateur.

Le temps c'est de l'argent, assène-t-il en permanence comme s'il venait d'inventer l'expression. Il s'appelle Reviens et ses yeux indiquent revenus. En euros, en dollars ou en yen. Peu importe la devise, la sienne semble immuable. Il n'a pas une minute à perdre et le fait savoir. A mon grand dam, il a la cote dans l'entreprise. En deux « temps c'est de l'argent » et trois mouvements de paupières, il a entraîné dans son sillage des collègues qui se découvrent une dentition semblable, leurs canines s'allongeant et leurs incisives devenant plus…incisives. Les dentistes du coin n'allaient pas chômer ! Les carreleurs et moquettistes non plus.

Ils s'appellent désormais tous Reviens. Et se rebaptiseront Revenus sous peu.

Reviens est parvenu à ses fins.

Un parvenu.

Et moi, je n'en suis pas revenu…

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