Mon corps n'est plus une sinécure.

odeanox

Dans presque un mois j'aurai 30 ans.

Tellement de temps que j'attends ce moment.

L'occasion de dire adieu à tout ce qui reste à laisser.

L'enfance autrefois tellement détestée, désormais pardonnée.

Le deuil enfin fini, même si tu sais, Papa, des fois j'ai envie de frapper à ta porte, te raconter ma vie, tout ce qui m'est arrivé de bien, mais en fait je la trouve pas - le jour où je la trouverai je serai mal barrée. 6 ans déjà. Ma vingtaine, ça a aussi été ça : apprendre à se dire qu'on ne vit que pour soi, ni pour Papa, ni pour les autres, pour soi.

Nue dès à présent je contemple le miroir. C'est ainsi, un corps de bientôt 30 ans.

Il a beaucoup vécu, déjà. Dans les bras d'autrui, mais surtout dans les siens. A souvent se mutiler, se torturer, mais parfois aussi, se consoler. A plusieurs fois vouloir en finir, puis à décider que plus jamais. Parce que l'esprit dure l'éternité, mais la conscience du temps, unique, et surtout le corps, c'est peut-être l'occasion de découvrir ce que ça fait, vieillir, et ça n'arrive qu'une fois.

A l'extérieur assignée fille, à l'intérieur définitivement indéfini.

Tout ce que l'extérieur, pauvre corps, veut te faire subir.

Tout ce que je ne te ferai plus subir, jamais.

Mes règles, ce sentiment béni, et mon sexe en kundalini, plus jamais je ne vous haïrai.

Mon acné, preuve s'il en est que mon corps, vital, perpétuel, puissant et sexuel, plus jamais je ne te cacherai. 

Mes cheveux, dans beaucoup de pays il est dit que plus tes cheveux sont longs plus Dieu te transcende, plus jamais je ne vous couperai.

Ma pilosité, je suis assignée femme et c'en est la preuve, ma pauvre je t'ai tellement mutilée, maintenant jusqu'à la fin je te chérirai, parce que tu es preuve que mon corps n'appartient plus à personne sauf à moi.

Même si je ne saurai jamais vraiment ce que c'est d'être une femme, je suis agenre je crois en fait je ne sais pas, je pense que femme c'est un mot un peu trop galvaudé, un peu trop goût de patriarcat qui veut à tout prix que parce que née avec un utérus et capable d'enfanter je dois subir tout ce que l'extérieur veut continuer de me faire subir. Je ne sais pas. J'aime le pronom elle parce que il c'est pas mon truc mais femme, j'en sais rien. Au final guère d'importance. L'essentiel : mon corps, magnifique comme il est, puissant, noble héritier de Lilith, de plus en plus dansant.


Papa, Maman, si vous saviez comme je m'en réjouis, merci malgré tout de m'avoir donné la vie, elle est bien compliquée mais je cuisine je fais l'amour j'écoute du piano je danse et tout ce que je sais, dans le néant, et par-delà la conscience, même s'il existe un truc tout ça n'aura guère lieu d'être, parce que le corps n'est pas. Il ne sera là qu'une fois. Alors, allègrement, dans toute sa splendeur, il est plus que temps d'en profiter. Merci d'avoir bientôt 30 ans, merci de me faire vivre ça.

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