Mon ex me harcèle...

Caïn Bates

                      "Tu me manques."

      J'ai commencé à recevoir des messages seulement environ un mois après avoir acheté mon téléphone. C'était le premier message d'un numéro inconnu que je recevais, et ça disait simplement: "Tu me manques." J'ai d'abord été troublé, drôle de manière de se présenter, non?! 
        Environ un an plus tôt, j'avais rayé de ma vie mon ex petite amie. En y repensant, je peux affirmer sans me tromper qu'elle n'était rien d'autre qu'une grande enfant. Je n'aurais pas dû rester avec elle aussi longtemps, foutue belle gueule, mais une fois que j'ai repris mes esprits, je l'ai mise à la rue, comme toutes ses autres mecs/victimes l'avaient fait avant. Ma supposition était qu'elle me stalkait sur Facebook, ou alors qu'elle avait poussé mes amis à lui donner mon nouveau numéro. Après tout, ce n'était pas la première fois qu'elle essayait de reprendre contact avec moi, et je me suis dit que ça ne serait pas la dernière.
     Au final, j'ai choisi de ne pas répondre. D'une, je savais qu'elle voulait juste essayer de me manipuler si je lui en donnais l'occasion, comme à son habitude. De deux, ça me donnait une petite satisfaction de la laisser se sentir ignorée. En principe, j'essaye de ne pas être mesquin, mais parfois une occasion aussi parfaite est vraiment séduisante.

      Les mois suivants ont semblé confirmer ma déduction. Ses attaques n'étaient pas constantes, mais étaient toujours de vagues réclamations qui semblaient indiquer qu'elle avait besoin de profiter d'une nouvelle personne, et qu'elle n'arrivait pas à en trouver une. Ce n'était pas surprenant qu'elle essaye de me contacter le premier, vu que j'avais été sa plus longue relation, la plus loyale... J'étais la cible parfaite.
   Les messages étaient toujours dans le même esprit, et sont vite devenus pénibles.

      "Tu me manques." "J'aimerais pouvoir te voir..." "J'ai cru te voir dans la foule aujourd'hui, mais ce n'était qu'un rêve."  Pathétique.


      Une nuit, environ huit mois après avoir eu mon téléphone, j'ai dérapé. Je dois l'admettre, j'avais bu. Ça a commencé par une bière pour me détendre après le travail, et ça a vite tourné en beuverie solitaire. J'étais complètement bourré quand j'ai reçu un message plus long que d'habitude. 

     "Tu me manques tellement. Je sais que tu ne lis pas ça, mais aujourd'hui plus que jamais, j'ai besoin que tu saches à quel point je t'aime. Je ferais tout pour te voir encore une fois..."

    "Aujourd'hui plus que jamais?!" me suis-je questionné. J'ai essayé de réfléchir malgré mon cerveau en bouillie. Dès la première pensée que j'ai eue, j'ai compris. "Aujourd'hui ça aurait sûrement été notre anniversaire." Certainement, pourquoi pas?! C'était l'occasion parfaite pour un peu de manipulation. C'était une connasse, mais un peu trop intelligente.

    Et puis, j'ai eu une idée.

    "Elle veut jouer?! Ok, on va jouer. Mais je vais changer les règles." ai-je juré en bafouillant.

     J'ai commencé à écrire et mon correcteur a lutté pour clarifier mes propos malgré mon ivresse.

     "Si tu veux venir me voir, alors pourquoi tu ne le fais pas?!"

    Et puis, en prime, je lui ai fait savoir que je savais qu'elle m'avait stalké.

       "Tu sais où me trouver." J'ai envoyé, et avec ça, j'ai changé le destin.


     Quand je me suis réveillé le matin suivant, j'avais treize appels manqués. J'ai essayé de me souvenir, malgré mon mal de crâne, de quelles conneries j'avais fait la nuit d'avant. J'ai gémi quand mon historique de messages a répondu à ma question.

    "Ok, au moins, j'ai pas répondu aux appels" ais-je pensé.

  J'ai silencieusement prié pour qu'elle ne m'envoie plus de message ou ne rappelle pas, mais je craignais de l'avoir simplement encouragée à continuer. À mon grand soulagement, elle s'est arrêtée de m'envoyer des messages. Pendant environ une semaine, mon téléphone a été libéré de ses assauts. J'étais secrètement satisfait, félicitant l'ingéniosité de l'ivrogne que j'étais la veille.


      La semaine suivante, on a frappé à ma porte. Je l'ai ouverte et j'ai vu un policier, avec un visage solennel et un uniforme bleu, se tenant parfaitement droit dans la lumière du jour. Son partenaire se tenait derrière lui, son visage aussi dur que de la pierre. J'ai senti une drôle de froideur couler dans mes veines, pendant qu'ils me fixaient.

    "Euh... Bonjour, messieurs. Quelque chose ne va pas ?" ais-je demandé.

    Après une courte présentation, ils se sont invités à l'intérieur. Je les ai laissés rentrer, sans être sûr de ce qu'ils cherchaient, convaincu qu'ils ne trouveraient rien. J'ai supposé qu'ils avaient fait une erreur, et j'ai été encore plus surpris quand ils ont commencé à me poser un tas de questions.

      "Connaissez-vous quelqu'un du nom de Silence Elisa?!"

    J'étais perplexe, complètement déconcerté.

      "J'ai bien peur que non... Pourquoi?! 
- Nous avons trouvé une série de messages qui vous étaient destinés dans son téléphone. Nous avons vu seulement une réponse de votre part."

    Le plus jeune officier a sorti une liste imprimée des messages que j'avais reçus, suivis de ma réponse ivre. La réalité a commencé à me rattraper quand le plus vieil officier m'a demandé:

      "Avez-vous reçu ces messages?! 
- Oui... ai-je répondu. J'ai rapidement ajouté: Mais ils venaient d'un numéro inconnu. Je pensais qu'ils étaient de mon ancienne copine.
- Et c'est pour ça que vous avez envoyé cette réponse?!"

    Je transpirais nerveusement.

   "Eh bien... Ouais. J'ai pensé que ça l'arrêterait."

     Je n'ai pas pu me taire.

   "J'avais un peu bu, donc peut-être que ce n'était pas la meilleure décision..."

   Le plus jeune officier est sorti pendant que le plus vieux a soupiré.

    "Il semble y avoir eu un accident plutôt malheureux...
- Qu'est-ce que vous voulez dire?!"

     Il a pris une grande respiration, et a ouvert la bouche...


    Elisa avait eu une première année très difficile à l'université. Les cours étaient durs. Ce n'était pas fait pour elle. Sa vie était un mélange de stress et de papiers. Et, juste quand elle pensait que ça ne pouvait pas être pire, sa meilleure amie d'enfance a perdu la vie dans un accident de voiture. Elle était morte sur le coup. Elisa s'est refermée sur elle-même pendant que le semestre continuait. Sa famille et ses amis ont pleuré la perte de Raquel, bien sûr, mais ils ont continué leur vie, comme les gens ont coutume de faire. Elisa, d'un autre côté, ne pouvait pas se résoudre à oublier son amie. Elle a essayé de faire avec, vraiment, elle a essayé. Elle sortait, elle essayait d'avoir l'air heureuse quand elle allait en cours. Mais elle a doucement sombré dans une obscurité qui semblait inévitable. Et quand cette obscurité était vraiment épaisse, suffocante, insupportable, elle envoyait des messages à l'ancien numéro de Raquel. Un geste inutile, mais parfois ça lui apportait du réconfort. Et à l'anniversaire de la mort de Raquel, quand elle était au plus bas, elle a finalement eu une réponse.

    "Si tu veux venir me voir, alors pourquoi tu ne le fais pas?! Tu sais où me trouver."

   Elle a essayé d'appeler mais elle ne tombait que sur le répondeur par défaut. Donc, elle a fait la seule chose logique qu'elle pouvait faire. Elle est allée chercher le cutter qu'elle avait pris au travail, et elle s'est ouvert les veines.


     J'ai fait une terrible erreur cette nuit-là, une erreur qui a mis fin à la vie de quelqu'un qui luttait désespérément. Son père m'a pardonné, mais, peu importe combien de fois je me suis excusé, sa mère n'avait rien d'autre que de la haine envers moi. Je comprenais ça. Pour elle, j'avais été le coup de grâce pour sa fille. La police m'a répété encore et encore qu'Elisa a mis fin à sa vie d'elle-même et que je n'étais pas à blâmer. Mais au fond de moi, la culpabilité grandissait comme une mauvaise herbe que je ne pouvais pas déraciner.

      L'année a été longue et dure. J'ai réussi à me remettre sur pieds et à continuer ma vie, même si la mort d'Elisa s'accrochait à moi comme une ombre. Peu importe ce que je faisais, je ne pouvais juste pas l'oublier, quel que soit le temps qui me séparait de cet incident.

    Hier, c'était son anniversaire. J'ai fait de mon mieux pour passer cette journée, faisant semblant de ne jamais avoir entendu ce nom, de ne jamais avoir entendu cette histoire. Ça allait, jusque 22h cette nuit, quand j'ai reçu un message. Un message du numéro que j'avais désespérément essayé d'oublier pendant la totalité de l'année.

                         "Merci!"

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