Mon frangin

Yannick Darbellay

Défi donné. Thème : Sort Magique / Contrainte : Utiliser dans le texte : - La secte d'Epicure - Et Charles attend - L'Emir rage - Un livre mangé par les rats

Mon frangin Pierrot, me suivait partout. Ça me cassait les pieds. Quoi que je fasse, où que j'aille, il y allait aussi de son pas calqué sur le mien, avec un sourire qui lui flottait en pleine bouille. Et puis des tas de questions lui venaient sans cesse.
-Sam, on parlera de quoi ?
-Tu verras.
-ça va durer longtemps ?
-J'en sais rien.
-Annie sera là ?
-Oui.
-Alors t'es content ?
Et il souriait. 
De toute façon, je pouvais pas m'en défaire, maman était de son côté. Elle disait « surveille ton petit frère ». Elle disait ça avant de sortir. Et je pouvais pas faire autrement. Je pouvais pas le laisser seul à la maison.
Vers les 16 heures, lui et moi on sortait. Je marchais à grandes enjambées, parce que je me réjouissais de retrouver la Secte, et que je préférais qu'on soit rentré avant la nuit. Pour ça, fallait pas trop tarder. Et lui avec ses petites jambes de petit frère, il devait bondir pour suivre mon rythme. Il ne voulait pas faire deux pas quand moi j'en faisais qu'un. Il posait le pied droit en même temps que le mien et le gauche tout pareil.
Il était fier. 
On a marché un moment sur le trottoir puis on a bifurqué dans une ruelle impraticable. D'un bout à l'autre de la voie étroite, s'entassaient des dizaines de cageots vides, mais on connaissait notre affaire. On a louvoyé entre les empilements de bois, pour aboutir dans la cours d'une fermette. 

Un molosse noir s'est mis à aboyer, s'étranglant au bout de sa chaîne, et Pierrot s'est collé contre moi. Tout près, tout près. Je lui ai passé un bras autour des épaules pour le rassuré, et je dois dire, ça me rassurait aussi. 
S'agissait de pas s'attarder. On a galopé à toutes jambes sous les aboiements infernaux de la bête, dans l'odeur de fumier et de volaille, pour parvenir de l'autre côté de la cours. Là, on s'est faufilés sous une barrière vermoulue pour disparaître dans des broussailles denses.
-Salaud de Cerbère ! J'ai gueulé.
-Sale eau de cerf Baire ! A répété mon frangin.
À une fenêtre, on a vu un rideau bougé, alors, pouffant de rire, on s'est enfui à travers les fourrés, puis entre les hautes tiges d'un champs de maïs avant d'accéder à notre cabane, une remise abandonnée à l'orée du bois.
J'ai frappé trois coup, comme ça, bien nets. Toc, toc, toc ! 
-Qui c'est ? À fait une voix aiguë venue de l'intérieur.
Dans un chuchotement j'ai articulé le mot de passe en tâchant d'être aussi audible que possible, pour que mon frère l'entende une dernière fois :
« Les mirages... »
-C'est bon tu peux entrer.
La porte s'est entrouverte et je me suis faufilé dans la grange. Pierrot a voulu me suivre.
-Tut, tut. Toi tu restes dehors. T'as pas donné le mot de passe. A grondé Thibaut.
-Mais...
-Tu dois frapper avant de t'annoncer. 
Puis Thibaut a refermé la porte. À l'intérieur, j'ai aperçu Annie qui me souriait. J'ai rougi.
« Toc, toc, toc ! »
-Qui c'est ?
« L'Émir rage ! » A crié mon frère pour se faire entendre et parce que, resté seul de son côté de la porte, il avait un peu la trouille.
-Oh ! moins fort ! T'es trop bête. Le mot de passe doit rester secret !
Annie et moi on a rigolé tandis que Thibaut, mécontent, tirait la lourde.
-On va devoir changé de mot de passe, maintenant. T'es malin.
-Pikachu a proposé Pierrot.
-T'es vraiment trop nul. 
« Les Charlatans ». J'ai avancé.
On s'est regardé. Ça convenait à tout le monde. J'étais content. Thibaut a ouvert un livre mangé par les rats, et y a griffonné quelques notes, puis il a annoncé :
-La Secte d'Épicure est rassemblée pour sa cinquième séance !
-Pourquoi l'insecte des piqûres ? A soufflé mon frère ? 
-Tais-toi. J'ai dit.
Dans la foulée, Thibaut a allumé une bougie, une autre, puis nous a dévisagé tour a tour. Y avait du sérieux dans son regard.
-L'heure est grave. Il a commencé. Le sujet du jour ce sera : Cerbère !
Le nom a claqué comme un coup de fouet dans la pénombre poussiéreuse de la cabane. Le silence a succédé à ses mots. On se sentait plus tellement rassuré, les uns les autres. 
Pierrot a glissé sa menotte dans la mienne. Et je l'ai serrée, et Annie s'est rapprochée de moi, en douce.
-Vous l'avez vu en venant ? Elle a murmuré.
-Bien sûr ! J'ai répondu. Il aboyait, et il bavait, et il avait les yeux rouges. Il est possédé par les forces du mal !
-Il crachait des femmes ! A ajouté mon frère. 
Personne ne l'a repris.
Annie, avec sa petite voix de moineau, a proposé qu'on mette en œuvre l'un de nos Sorts Magiques pour sécuriser les alentours de la cabane.
-C'est une bonne idée ! Le sceau de protection !
-Le sot de quoi ?
On est sorti. On devait disposer, autour de la cabane, cinq pentagrammes équidistants. Pour ça on avait besoin de cailloux. Alors on s'est mis à descendre dans la forêt, par le sentier des fougères jusqu'au ruisseau. Là on a trouvé de quoi faire. On se déchaussait pour avancer dans l'eau glacial où l'on récoltait des galets lissés par le courant. Fallait que je secoue mon frangin qui voulait rester jouer au bord de l'eau. Il chassait les têtards et faisait des bateaux avec les larges feuilles des châtaigniers. J'aurais bien joué avec lui. Mais enfin on avait du boulot. Il a traîné des pieds pour remonter à la cabane, et je suis arrivé avant lui.
J'avais relevé mon t-shirt en besace, pour retenir les cailloux à l'intérieur. Je les ai versés en tas près du dernier pentagramme que confectionnait Thibaut. Annie l'aidait.
-Demain, le mot de passe sera « Dissensium ». Il a affirmé.
-Mais on avait dit « Les Charlatans »...
-Je préfère « Dissensium ». C'est plus cool.
J'ai pas répondu, j'étais déçu, quand même. Annie m'a souri. Puis mon frère est arrivé. On se sentait tous fatigué, et le ciel s'assombrissait. Le crépuscule annonçait qu'était venue l'heure de rentrer.
Une fois que le dernier pentagramme a été achevé, on a marché les uns derrière les autres jusqu'à la barrière de bois. On disait plus rien. Planqués dans les fourrés, on apercevait Cerbère en arrêt, les oreilles dressées qui reniflait dans notre direction. Fallait se jeter sans hésiter. Pas d'autre choix. J'ai tapé sur l'épaule de Pierrot et je lui ai murmuré :
-En avant.
Je me suis levé, puis mon frère a fait de même, et tous les quatre, on a détalé à travers la cours où s'époumonait le monstre furibond. Une vraie course olympique.
Retournés dans la rue. On a pris le temps de souffler puis on s'est séparé.
-A demain ! A salué Thibaut.

Il est parti, puis Annie m'a déposé un baisers sur la joue, que je me suis frottée en fronçant les sourcils.
-T'es amoureux ! A rigolé Pierrot, tandis que l'on marchait vers la maison.
-C'est pas vrai. Et tais-toi !
À la maison, j'ai mis nos assiettes au micro-onde et l'on a mangé en silence. Pierrot piquait la viande comme je le faisais, au bout de son couteau. Puis quand je buvais, il buvait. Il faisait tout comme moi.
Enfin maman est rentrée. On avait déjà revêtu nos pyjamas dinosaure. Pour ça, elle était contente. Elle était vraiment fatiguée aussi. Elle a demandé si on avait fait nos devoir. J'ai dit oui, et Pierrot a dit non, puis oui. Heureusement elle a rien entendu, mais il s'est quand même pris mon coude dans les côtes. Ensuite il a pleuré, et maman nous a fait monter dans nos chambres.

Le lendemain, après l'école, Pierrot et moi, on a enfilé nos habits d'aventuriers. Par hasard, on avait choisi des shorts identiques. Il était ravi. 
-T'as vu Sam, on est des jumeaux ! Il m'a fait remarquer.
J'ai rien répondu. Je lui ai filé une tranche de tarte au citron, j'ai refermé le frigo, et on est sorti. Il faisait un ciel gris, un peu. Il allait pas falloir qu'on traîne pour rentrer, parce qu'il ferait nuit plus tôt que d'habitude. 
On avançait au même pas. Droite, gauche. Comme ça jusqu'à la rue aux cageots.
-T'es prêt ?
Il a acquiescé.
-Tope-là.
Il a topé.
-Un... Deux... 
À trois, on s'est mis à courir à toute bombe. Le chien n'était pas là. 
Ça sortait des habitudes.
-T'arrête pas. J'ai glissé à Pierrot.
Puis du coin de l'œil, j'ai regardé la ferme, et j'ai vu quelqu'un se découper dans l'embrasure de la porte. Et j'ai entendu aboyer.

Le Sort Magique n'a pas fonctionné.

On a plongé dans les fourrés. Sous la barrière. Et dans la panique, je me suis cogné à une planche qui s'est cassée dans un craquement sec. Mon frangin hurlait de trouille. On décampait comme des furieux dans le maïs. 
Moi, j'avais pris de l'avance.
Arrivé à la cabane, j'ai lancé « Dissensium ! »
La porte s'est ouverte. Lâchant un soupir de soulagement, j'ai bondi à l'intérieur puis je me suis retourné pour attendre mon frangin. Mais Thibaut a refermé la lourde. 
Pierrot n'était plus qu'à quelques mètres de nous. Je l'ai vu. Mon frangin arrivait avec le monstre à ses trousses. J'ai vu ça, avant que la porte ne se referme, j'ai pris ça en plein dans mes yeux large ouvert de surprise et de peur. Et j'ai gueulé après Thibaut. 
-Rouvre-la !
Il a pas compris pourquoi.
- « Et Charles attend! » S'égosillait Pierrot, d'une voix rendue stridente par la terreur. 
-C'est pas le mot de passe. On a changé hier !
Et j'ai gueulé :
-Ouvre ! 
On a entendu un bruit sourd contre la porte, un choc, puis le râle de la bête. 
Pierrot a encore lancé :
-Sam ! Comme un au secours. 
Puis plus rien. Juste le râle de la bête.

  • T'es pas tendre, tu balances tout ce qu'il faut juste pour qu'on ait envie d'avoir le même petit frère tellement il est adorable, tu balances tout ce qu'il faut juste pour qu'on imagine la tendresse et le sentiment de responsabilité qu'a Sam envers le bout de chou qui lui colle aux basques, et puis vlan, tu fous tout par terre, et tu nous laisses juste avec une espèce de culpabilité partagée, d'impuissance ravageuse, comme si on était complice.

    J'm'en vais aller cuver ma rage un peu plus loin tiens.

    · Il y a environ 10 ans ·
    Dsc03904

    loua

  • Parfois je hais vraiment les fins ouvertes

    · Il y a environ 10 ans ·
    Writeinacity

    bibounou3411

  • oh mais nooooooooon :'(

    · Il y a environ 10 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

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