Mon homme au gant

Catherine Gautier

Mon homme au gant,
Ton sourire est dans tes yeux, mon amour !
Derrière ta claire carnation, mise en valeur par ta chemise blanche plissée, c’est toi qui suis
des yeux l’arc de cercle des visiteurs du musée, les admirateurs de Tiziano !
Moi, du haut de cette pyramide, je te contemple !
Et admire notre Paris, mon homme mystérieux!
Tu es sa plus belle lumière.
J’y suis resté seule, mais tu es encore partout. Je ne sais plus de quelle ombre tu viens…
Palette du Titien ? Gouffre de la jalousie ?
Ton élégance discrète, laisse, dans mon souvenir, deviner une sensibilité complexe, énergique
et mélancolique ; elle réchauffe l’absence et m’effraie tout en même temps.
Malgré cette crise, tu gardes au fond de mes yeux ton attitude naturelle presque nonchalante.
Le Louvre s’éloigne à peine que tu fais déjà carillonner Notre Dame. Nos pas s’emboîtent
jusqu’au jaillissement de la Concorde qui fait joyeusement écho à la risée frétillante du bassin
des Tuileries.
Aussi fier et droit que la merveilleuse tour de fer qui arbore crânement son âge, tu t’ériges,
touchant presque le ciel, comme nous l’effleurons ensemble quand c’est vers moi que tu
dresses ton désir.
Depuis le quartier Latin, par les immeubles d’Haussmann, jusqu’à La Défense, je file à travers
le temps comme nous cavalions tous deux à travers les rues de notre Paris.
Même les vapeurs d’échappement aiguisent mes sens. Désir de toi. Je me fonds dans le
mouvement de la ville où s’entrecroisent gaiement les péniches, les voitures, les balanciers
des horloges, ceux de tes fesses sur les trottoirs pavés, les bras qui se tendent « Là, l’Opéra,
ici, le Sacré Coeur », le gris des volutes et des fumées, les tourniquets et les manèges.
Et tu t’envoles sous ma jupe que soulève l’air chaud du métro.
Les couleurs tournent à contretemps de notre valse : celles de Montmartre se glissent dans la
fontaine Stravinsky, en ressortent rafraîchies sur les tubes de Beaubourg pour descendre
jusqu’à la Seine qui cligne des yeux devant tant de nuances.
Les clichés n’en sont plus ; ils nous appartiennent, ils sont toi ! Toi qui mords un jambonbeurre
riant aux éclats de la baguette craquante. Toi qui retournes les petits globes neigeux du
kiosque à souvenirs : Panthéon, Palais Royal, Assemblée Nationale, l’Arc, tous triomphent
sous les secousses !
Je reprends le métro, reptile articulé qui glisse bruyamment jusqu’à la rue Serpente.
Depuis la petite chambre d’hôtel, la fenêtre s’ouvre sur un Paris flamboyant, qui se déchaîne
pour me consoler de ton absence.
Moi, je m’endors dans la lueur de tes yeux, mon homme au gant.
La nuit parisienne me ramène brutalement à ton départ. Cauchemar de la vraie vie !
2
M’appuyant sur la tête du lit comme toi sur un bloc de marbre, je revois la scène.
Ton corps s'inscrit avec aisance dans l'espace malgré le cadrage serré du tableau. Une
nouvelle fois, je ne sais plus si tu es toi ou celui du gant.
L'élégance de tes vêtements, en particulier le raffinement de tes gants de cuir, ta coiffure
soignée, se superposent au jeune aristocrate soucieux d'être habillé à la mode vénitienne du
temps de Titien.
Mais celui qui m’a plaquée en plein coeur de Paris parce que je regardais amoureusement cet
homme au gant dans la galerie du Louvre, c’est toi !
Je voulais être ton peintre, mon prince.
Je ne suis qu’une femme délaissée par un imbécile !

  • Il manque deux dernières phrases qui ne se sont pas collées lors de l'édition de mon texte. Les voici :
    "Je voulais être ton peintre, mon prince.
    Je ne suis qu'une femme délaissée par un imbécile !"
    Catherine Gautier

    · Il y a plus de 14 ans ·
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    Catherine Gautier

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