Only god know why

François Roumat

Il y a le souvenir de la corne jaunie, épaisse et dure comme une excroissance ongulée sous la plante des pieds de ma mère certainement habituée à marcher sans chaussure depuis son plus jeune âge.Impressionné de la voir fouler pieds nus avec aisance la promenade de bois longeant le front de mer sans même craindre la piqure d'une écharde rebelle, elle traverse au même rythme sans un rictus ni un soupir de désagrément le parking de la digue parsemée de gravillons aux arrêtes aigues.

La surprise n'en aurait pas été moindre si elle s'était mise à franchir des braises ardentes. Tentant de l'imiter, je la suis équipé de mon trente quatre trop tendre et pas très assuré.Chaque caillasse,grain de goudron et autres "écorches orteils" trouvent le point sensible et s'enfoncent dans la peaufine et bleutée de mes pieds endoloris par les agressions à répétition.

Je reste persuadé que le même sort aura tôt fait de la voir s'arrêter, certain qu'un élément intrus se faufilera et trouvera la faille. Mauvaise évaluation,elle continue son chemin sans même lever la tête, avec sa flopée de petits pas court mais rapide typique de la démarche qu'on les asiatiques.

Non, il n'y a pas une faille à sa carapace, et lorsqu'elle s'assied dans la voiture portière ouverte, jambes à l'exterieur: Je peux voir tous les intrus fixés commes des coquillages incrustés sur la partie immergé de la coque d'un navire. D'un revers rapide, ma mère se débarrasse de ses parasites éphémères tombant sans même laisser l'empreinte de leur passage.

Combien d'heures de marche?, combien de kilomètres devait-elle avoir parcouru à travers champs, à traverser la forêt et les rizières lors d'exodes subreptices pour quitter la zone de combat, échapper aux bombardements et à la peur inspirée par ses soldats venus de loin.Traquée par la faim, à peine contenue avec la boule de riz quotidienne assaisonnée de gros sel et de quelques morceaux de chien mastiqués mécaniquement, elle fuit.

Combien de morts croisés , de corps informes aperçus pour que la douleur subi à chaque pas , transperce la plante de ses pieds et se loge au plus près de son coeur sans plus jamais pouvoir partirl.

Combien de fois ai-je vu ma mère sursauter puis restée pétrifiée au passage d'un supersonic, puis commencer à s'énerver au moindre bruit, au moindre cri.Ces faits marqueront les débuts de sa névrose allant plus tard jusqu'à nous soupçonner de pactiser avec un entourage belliqueux si par malheur nous faisions claquer une porte, tomber un objet ou si nous mettions la musique trop fort comme tout  adolescent s'évertue à faire. Personne n'aurai pu se mettre à notre place et comprendre ce que nous vivions , car nous même étions incapables de réaliser ce que nous subissions.

Quant à ma mère la réalité devenait chaque jour un peu plus abstraite, douloureuse à vivre. Son esprit était resté là-bas: Saïgon la coloniale,Dalat et Nha trang, la petite cité balnéaireau nord de la capitale. Elle nous en parle souvent au dîner que le mal du pays la tient. D'ailleurs , elle se plait à nous dire qu'elle y a ses meilleurs souvenirs de pensionnat ce qui me semble incroyable lorsque l'on a vecu un tel nettoyage par le vide.

Abandonnée par sa mère à la naissance,orpheline de père à 7 ans ,au décès de son grand-père à 12 elle devient pupille de la nation française ce qui la conduira de manière permanente à fréquenter les orphelinats religieux où elle subira la rigueur et l'intransigeance  des congrégations et  communauté diverses.

En novembre 1955 alors agée de 17 ans elle embarquera à bord d'un bateau croisant pavillon Grec, elle accostera à Marseille 3 semaine plus tard puis prendra le train jusqu'à Dunkerque.

elle découvre le froid et la neige pour la première fois , les pommes et le café et même si la chaleur des gens du nord n'est pas un mythe, le choc épidermique et les conséquences psychiques auront eu raison de son équilibre à venir.

La tempête est passé, le temps à fait son oeuvre. Les esprits se sont calmés, les rencoeurs balayées, les rancunes arasées. Il ne reste presque plus rien des fondations, juste un nom auquel mon frère et moi tenons.

Il est notre unique héritage légué, et l'avons légué à notre tour par nos unions et notre déscendance. Il ne transpire plus rien de notre passé, de la rencontre et du mariage de mon père Monsieur ROU et de ma mère Mademoiselle ROZ.

Ces 2 noms celui de mon grand père paternel et ce lui de mon grand père maternel , resteront  à tous jamais inconnus, ils ont été comme ces millions d'autres insignifiants: en age de procréer , de se marier , faire la guerre et mourir: parfois trop tôt

Quel révoluton la guerre! Générateur de sang frais et d'histoires communes parce qu'il n'y a rien d'exceptionnel à ce qu'elle ne différencie pas beaucoup des autres.    

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