Le quartier où je vis est fait de petites maisons de pierre. Elles sont toutes identiques. Mon quartier, c'est un village dans la ville, les rues sont étroites, les maisons mitoyennes, les espaces verts sauvegardés, les jardins fleuris et les potagers bien entretenus.
Nos voisins les plus proches se nomment Jean-François et Michelle, ils ont deux enfants, deux petites filles. Avec les filles, on a demandé à nos parents si l'on pouvait couper la haie qui sépare nos deux petits terrains, comme cela on aurait l’impression d'avoir un jardin plus grand et l'on pourrait faire un plus grand potager. Maintenant que c'est fait, on se voit plus souvent. Même que d'autres voisins, ils vont faire pareil.
Au fond de mon jardin, j'aperçois la maison de Bernard et de Béatrice. Bernard, c'est un ancien conducteur de locomotive. Il est fort en mécanique, alors c'est lui qui vient réparer nos vélos quand y'en a un qui est crevé ou que la chaine à besoin de graisse. Et en plus, ça ne ne coûte rien. Nous on l'aide aussi pour ramasser les feuilles en automne.
Bernard il fait aussi du cidre. Une fois par an, au mois de novembre, il y a un gros tracteur rouge avec une presse à pommes qui vient se ranger sur le trottoir. C'est un peu la fête. Nous les enfants, nous sommes là de bonne heure, à peine réveillés, emmitouflés dans nos gros manteaux, des fois encore en pyjama. Ça sent bon la pomme, et le moût humide. On goûte le cidre doux, les parents demande si la récolte a été bonne, s'il n'y a pas trop de fruits véreux. Pendant ce temps, nous on fait des barrages de feuilles mortes dans le caniveau avec l'eau de lavage des pommes, on est tout crasseux.
De mon quartier quand le vent porte, on entend la ville qui se réveille.
Au bout de la rue, habite Monsieur Pierron. Il a quatre vingt ans. En fin d'après midi, vers 16h 30, quand on rentre de l'école, on entend une voix qui crie « J'ai fait des crêpes ! ! !», alors on court, sans regarder en traversant la route, parce qu'ici y'a pas beaucoup de voitures. Monsieur Pierron, c'est le roi de la crêpe, avec du beurre ou de la pâte de chocolat. Une fois ressorti, il est facile de reconnaître les mangeurs ou mangeuses de chocolat de chez Monsieur Pierron, ils ont la bouille toute ronde, et les lèvres couleur caca d'oie. Monsieur Pierron, il vit seul, on ne sait pas vraiment ce qu'il a fait de sa vie, il est un peu secret, il attend, mais il sait qu'avec nous, il n'est pas seul.
En face de chez moi, la masure est vide. Le dernier occupant est mort il y a 6 mois. Quelqu'un a posé une chaîne sur le portail d'entrée. Une fois j'ai vu de la lumière, je pense que c'est un peu la maison hantée du quartier. La végétation est abondante, les fleurs fanées, les branches cassées, les volets ne sont pas attachés, les carreaux sont sales. Le facteur ne fait plus que passer et les démarcheurs s'y cassent le nez.
Au milieu de tout ça, se trouve une petite place, un espace de verdure protégée. Quelques crottes de chiens tapissent l'herbe et les pissenlits. C'est l'endroit idéal pour apprendre à faire du vélo, ou pour crier quand on est énervé. On s'y retrouve pour jouer, pour s'aérer. Nos parents jettent un œil aux plus petits qui font des cabanes dans les arbres. Chaque été, on y organise un repas de quartier. On sort les tables de jardins, le p'tit vin et les bouteilles de cidre, la quiche et le pâté maison. Nos parents, ils parlent du petit dernier, de la dernière séance de ciné, du bouquin qu'il faut se procurer, des fois aussi ils parlent de politique, mais jamais on ne parle des programmes de la télé.
J'habite un quartier sans télé…
Au 23, loge un vieux couple de retraité, Monsieur et Madame Duvet. On dit qu'ils sont la mémoire du quartier et ça les agace. Ils se promènent tous les deux, restent un peu distants vis à vis des enfants. On se dit bonjour ou bonsoir, le plus souvent on en reste là. On trouve que c'est pas mal d'avoir choisi de vieillir ici, alors sans leur dire on fait attention à eux. On ne voudrait pas qu'ils nous quittent trop tôt parce que ils ont encore beaucoup choses à nous raconter sur le quartier.
Au début, ça m'a fait drôle quand j'ai déménagé avec mes parents ; dans mon quartier, il n'y a pas de haies. Pas de thuya ou de laurier palme qui font des murs très laids. On se parle dans les jardins, mais jamais on ne regarde chez le voisin. Y'a toujours un signe de main quand on passe dans la rue. L'été, ca ne gêne personne de voir un maillot de bain ou de sentir l'odeur des saucisses grillés, on crie plutôt bon appétit.
Dans mon quartier, je n'ai jamais vu un policier.
Bientôt, ils ont dit qu'il allait construire un éco-quartier juste à côté du notre. Avec des petits immeubles tout serrés, ils ont dit, c'est pour densifier. Et puis aussi une nouvelle route qui va traverser notre petit quartier pour que les nouveaux voisins y puissent ranger leur voiture électrique. Ils ont dit, y'aura maximum deux voitures par logement dont une obligatoirement électrique. Nous, on s'est dit c'est bien ce qu'ils font et puis comme ça on aura de nouveaux copains, mais mon père il a dit que ce sera pas si simple. Ils vont faire un mur entre les deux quartiers et puis aussi pour rentrer faudra passer par un portail avec une caméra et un mot de passe. Ils disent que c'est pour la sécurité. Ils vont faire venir des arbres déjà poussés et qui viennent de loin, alors que pour construire la route, ils vont couper trois grands arbres. Sur le terrain, ils ne vont pas pouvoir faire de potager, parce que faut installer les panneaux solaires pour chauffer les maisons et la grande piscine qui sera communautaire, mais réserver au seul habitant du l'éco-quartier. Ils vont aussi casser tous les trottoirs devant chez nous pour faire passer plein de nouveau câble pour l'informatique et la télévision numérique dans l'éco-quartier. Mais je crois que ce qui me dérange le plus, c'est que les gens qui vont venir habiter ici, on ne les a jamais vu. Ils ne sont même pas passer nous voir, pour savoir qui on était et comment on vivait, ici, bien ensemble, depuis plusieurs années.
Peut-être que mon quartier il est pas densifié, mais au moins, il a de l'intensité !