Monde ébréché

laracinedesmots

Je me suis levée à 7h, comme tout les jours d'école. J'ai attaché rapidement mes cheveux ; devant le miroir j'ai dégagé une mèche de l'ensemble. Comme d'habitude. Il me faut aller au lycée, encore et encore. Je tente de calmer les battements de mon coeur qui s'est affolé. Imaginer mon corps, mon esprit hors de cette maison est un supplice mais personne ne le sait. Cela fait si longtemps que je vis avec ce petit démon que je sais comment l'apprivoiser et l'apaiser.

Sur la route, je ne dois pas marcher sur les lignes du trottoir, je dois garder la tête baissée pour ne rien voir, rien saisir, rien comprendre. Juste marcher, flotter sur le bitume, glisser sur l'asphalte. Pendant cette marche je rêve que je vole, loin de tout, loin de cette violence, seule dans ma prison de silence.

 *

La traversée des couloirs du lycée est elle aussi un cauchemar, un rituel extrêmement important. Le risque est bien plus grand que dehors, si je le manque, les casiers s'ouvrent. Ils ouvrent leur gueule béante, ils m'arrachent, m'emprisonnent dans leur acier. J'ai peur des casiers, si peur ...

Les gens se moquent de moi, tous pensent que je suis bête, aussi simple qu'un caillou. Ils ne connaissent pas mon secret, ils ne savent pas que je vois des choses invisibles pour eux, des choses qui m'agressent. Personne ne me croit ! Ils rient de mes peurs apparentes, comme celle du casier ou celle, encore pire, des escaliers en colimaçon. Qu'est ce que ça serait si je leur avouais ma vraie terreur ? Auraient-ils peur de mes hurlements ?

 *

Il y a une fille au lycée, elle est belle ; c'est pour moi la plus belle avec ses longs cheveux roux, aussi lisses qu'une cascade. Je passe mes récréations à la regarder, à me dire que j'aimerai bien sa vie, ses rires, sa facilité, ses mains qui bougent et qui vivent. J'aimerai qu'elle me voit. J'aimerai qu'elle me sente. C'est une fille que les problèmes fuient et je me demande si elle peut colorier ma vie.

 *

On est dans un pré. Un grand pré vert, aux effluves de romarin. Il fait beau, le ciel est d'un bleu hypnotisant. Elle est là, assise par terre, simplement, le sourire aux lèvres. J'échoue à côté d'elle, tellement maladroite et pataude.

- Tu sais, souffle-t-elle, j'ai un secret.

- Moi aussi.

Elle rit. Pourquoi ? C'est drôle ce que j'ai dis ? Elle devine mon désemparement.

- Je ris parce que tu as répondu de façon si simple, si spontanée, c'est rafraichissant, m'explique-t-elle avec patience. C'est drôle parce que tu es enfin toi, sans masques.

- Quel est ton secret ?

- Je suis une fée.

*

Au lycée les casiers ne l'attaquent pas. C'est la seule vers qui ils n'ouvrent pas la gueule, ils ne veulent pas l'aspirer. C'est une fée ? Les casiers aiment-ils les fées ? Il faudrait que je me renseigne à la bibliothèque. Ou alors, cette fille-fée fait fuir et les problèmes et les casiers. Ce serait logique en fait.

*

Je triture mes mains, elles sont moites, je suis en sueur. Il pleut dans mes yeux. J'ai une crise au lycée, c'est première fois. J'ai peur, j'ai peur, les murs se rapprochent, le plafond descend, l'eau gicle, m'agresse, l'air me comprime et ...

*

Le lycée est vide. Elle est là, elle ne sourit pas.

- Pourquoi tu ne m'aimes pas ?

Sa voix douce me griffe l'esprit, ses beaux cheveux s'agitent vers moi, comme des lianes, des fouets, des cordes. Elle veut m'étrangler. Elle est la fée du lycée et le lycée veut me tuer. Comment n'avais-je pas pu faire le rapprochement avant ? Elle me veut par terre, elle me veut brisée, mangée, dépecée.

Un cri dément traverse mes lèvres, je me rue vers elle, mains en avant et

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DRRRIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIGG !

DRRRIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIGG !

DRRRIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIGG !

DRRRIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIGG !

...

J'éteins le réveil. Il est 7heures. Je me lève, j'attache mes cheveux.

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