Morvan ou Peuplier, arbre pliant

koss-ultane

               Morvan ou Peuplier, arbre pliant

     Quelle force formidable fallait-il pour dormir à treize mètres au-dessus du lit ? Surtout sans pouces ni bottes et les gros orteils éclatés. Lui-même en avait un air étonné figé sur le visage.

     Retraité d’E.D.F. et des pompiers volontaires de son sud natal, Georges ne s’était jamais approché d’un fil de cuivre ni ne se fut-ce que roussi les poils des avant-bras au cours de ses nombreuses interventions. “Rassure-toi, je n’avale pas la fumée” avait-il l’habitude de dire à sa femme pour la rassurer. Dans la région natale de celle-ci, il avait très vite décidé d’échapper à l’enfermement dans sa belle-famille coûte que coûte. Un beau-frère paranoïaque, persuadé que Georges le détestait en secret, et une femme, qui s’en était épanchée auprès de son aimant mari, l’avaient convaincu d’aller s’équiper chez lui de pied en cap. N’ayant aucun intérêt pour la pêche mais beaucoup pour l’isolement, Georges n’en bénissait pas moins le fait que son beauf tenait un magasin d’articles en ce domaine et non pas un sex-shop ou un élevage porcin. Qu’aurait-il dû faire alors pour rassurer le paranoïaque ? Bref.

     Sa carte sous le bras, il s’était échappé en solitaire dans le recoin le plus reculé et encaissé de la rivière la plus proche. Il avait fui comme la peste tous ses potentiels coreligionnaires, allant jusqu’à sauter dans la végétation aussi luxuriante que peu accueillante pour les dermes sensibles, au moindre son de conversation humaine. Cela faisait des années qu’il sacrifiait une quinzaine de jours à la diplomatie familiale morvandiau et qu’il avait retiré l’hameçon en bout de ligne ne désirant pas blesser un animal dont les qualités gustatives l’avaient toujours laissé plus que perplexe. Son unique bon souvenir poissonnier étant une bouillabaisse plutôt rare en Morvan profond. Ainsi, partait-il pour des journées rallongées de pêche stérile à la grande satisfaction du beau-frère imbécile.

     Cette fois-ci, le mauvais temps s’était glissé subrepticement au-dessus de lui pour son plus grand ravissement. Il se cachait du vent et ne laissait que son immense canne dépasser du bosquet dans lequel il avait élu domicile. Venait-on qu’il la relevait de ses fonctions d’apparat dans l’arbre derrière lui et disparaissait du monde des vivants. Il avait de cette manière espionné de façon impromptue plusieurs conversations de pêcheurs du dimanche ou bien de véritables mordus du coin et ses environs. Il s’en serait peut-être régalé si cela l’avait intéressé et si le Vauclusien qu’il était avait compris la langue. Cette fois-ci, le mauvais temps lui garantissait une quasi solitude ascétique. Seule une aérophagie ou une aérocolie venait de temps à autre égayer son silence et réchauffer son immédiate banlieue lui rappelant, en minutes ou en heures selon l’orifice compétant, ce qu’il avait mangé plus tôt.

     Le brigadier, après plusieurs jours de recherche vaine, avait retrouvé ses bottes ferrées aux talons et pointes troués et noircis. Etrangement, on avait enregistré qu’un seul impact de foudre à l’occasion de cet orage de mi-août. Mais un gros. Les galets sous les bottes étaient cassés. Le pliant était dans l’arbre. A trop se les tourner, on n’a jamais retrouvé ses doigts opposables si pratiques. Encore fallait-il être raisonnable dans le choix de l’opposition.

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