Murmures au vent
hel
La joie est un petit bond, un sursaut du ventre, un presque orgasme du cœur.
C'est fébrile, vif, soudain, ça a de la force dans les paumes et ça puise et creuse à vous soulever des vagues au-dedans.
Et puis ça emporte, et puis ça s'envole, loin, loin, loin et vite. Déjà, il ne reste plus rien, qu'un goût de songe aux bords des lèvres.
Ça ne se contrôle pas, la joie. Sinon je le saurais, sinon je me serais empêchée et guérie.
La joie est comme le début de quelque chose que je ne sais pas. Ou que j'aurais oublié.
Entre deux bonds, des dégringolades et des vertiges. Des silences grands comme des courants d'air. Des entre-deux portes, entre-deux mondes, entre-deux tout et rien. Du vide qui se brasse et s'interroge.
Et puis des baffes que je me colle, comme pour me guérir.
La joie je bondis. La joie j'ai cinq ans, gamine et merdeuse. Balançoire et ritournelle.
Les fossés que la joie creuse : immenses et insensés.
Je crache ma bouillie, je me sors la joie du ventre, je patauge les morceaux que j'expulse, et je regarde étrangère ce que je couve là sans rien comprendre. Quand je serais grande, je saurais l'ordre des mots, l'ordre des choses et la raison, les ranger à leur place et dire, et faire en conséquence. Mais je suis gamine à nouveau et aujourd'hui je ne sais rien d'autre que des petits bonds et des grands vertiges qui suivent.
La joie c'est l'ombre d'Antoine qui me frôle, le bruit de ses pas quand il surgit, sa respiration comme fantôme que je devine. Je tais bien sûr, je me tiens dans un coin, je baisse la tête les yeux, ne plus rien voir, ne plus rien sentir, je me dissimule, j'enfouis, et j'occupe mes mains qui occupent ma tête, qui occupent les heures, et qui parfois n'occupent plus rien et quand je n'y arrive plus alors je pousse quelques cris dans son dos. En silence, pour me défaire, quelques logorrhées au vent, et il me semble vaguement qu'Antoine se retourne sur ce que personne d'autre n'entend.
***
Antoine quand il revient, il a quelques fils qui se débobinent de la bouche.
À peine quelques-uns, là au rebord, qui laissent passer quelques mots.
Mais quand il parle Antoine, pour de vrai, c'est surtout avec des intentions et des pudeurs. Et des malices de gamin tout plein.
L'on devine plus qu'on ne sait, comme un rien, comme un reflet.
Et déjà le silence reprend l'espace.
***
Il est des autres femmes que je croise comme des souffles.
Il y a chez madame Simone, des femmes qui vont et viennent, d'autres qui trainent et s'oublient, autant de sages que de décadentes. Autant de mortes que de vivantes, on pourrait dire même si c'est plus compliqué qu'il n'y parait. Les mortes savent qu'elles sont mortes, même quand elles se mentent, et qu'elles mettent des rires et beaucoup de sucre dessus. Elles savent et elles ignorent, elles ont renoncé à comprendre, renoncé à mettre des mots. Tout est plus fort avec des mots, moins facile à gommer et à oublier dans un fond de poche.
Elles courent, les mortes, elles s'agitent, elles occupent leurs mains et le reste.
Les mortes on voudrait les bercer un peu, et coudre des baisers à leurs cheveux. Trop de gris. Elles rendent tristes, avec des silences qui chuchotent tellement fort que ça en est évident.
On ne voudrait pas y ressembler, et parfois, pourtant, et parfois, souvent, on a les pieds entre deux camps, le corps scindé en deux, et la tête qui mouline au-dessus. Où se ranger ? Quelle place ?
Au fond à y regarder, elles ne sont pas différentes des autres, les femmes toutes se rejoignent quelque part, à l'endroit du vide et des choses du ventre. Et parfois l'une s'oublie, et d'autres fois l'une se rappelle.
Il y a autant de grands sauts que de renoncements. Et c'est tout ce qui se brasse chez madame Simone en permanence. Elle s'est fatiguée aussi, madame Simone, elle a froid pareil et ce n'est pas du sucre qu'elle met par-dessus ses regrets et ses rêves échappés, plutôt des liqueurs, des brûles langue, des brûles gorge. Le feu et l'ivresse plutôt que rien du tout.
Moins droite, quand le gosier a absorbé, elle murmure…
Qu'il faudrait rester enfant toujours, cœurs légers, balancelle, limonade et ritournelle. Et je l'écoute, et je me penche sur les cheveux des enfants respirer des douceurs qui apaisent. Et la joie en grand bonds, plus évidente, plus facile à saisir. Et puis vite relâcher, pour ne pas étouffer.
Je reviens à madame Simone.
Madame Simone n'a plus le temps de changer de camp, plus la force, et pourtant à sa bouche on voudrait bien y coudre du printemps, on le verrait bien danser dans les sillons, encore, comme un dernier entêtement. En soi Madame Simone c'est déjà une réponse.
Mais je cherche encore, j'interroge, des yeux seulement. Y aurait-il une plus grande parmi toute, une que j'écoute, une qui sache mieux, il me manque comme une pièce, comme une voix par-dessus les autres.
L'évidence : la femme toujours cherche les jupes de sa mère.
Re et re !! tu es vraiment trop forte pour exprimer les sentiments et ressentiments de tes personnages, c'est plus que parlant, c'est vivant, splendide !!
· Il y a plus de 8 ans ·marielesmots
Merci Marie toujours de lire et dire avec cet entrain.
· Il y a plus de 8 ans ·hel
oh je suis en colère. Je t'avais écrit un commentaire complétement spontané, très riche d'affect, et mon ordi a planté. Je peux pas recommencer. Tes mots sont pour moi une évidence. je trouve ton texte splendide et je dis que moi aussi je vis grâce à cette idée de la joie. j'ai la sensation d'exister d'ailleurs dans tes mots c'est étrange.
· Il y a plus de 8 ans ·elisabetha
ah je connais ça, ça m'est déjà arrivé, je suis contente si on peut s'y retrouver, que ça puisse être peut-être par bout l'histoire de chacun et de personnes, au-delà de l'histoire tissée, je dis ça un peu en charabia, mais merci encore.
· Il y a plus de 8 ans ·hel