Naissance du mâle (3)

mina-fauster

Vous avez raté le début de "Naissance du mâle" ? Retrouvez ici :

- la première partie : http://www.welovewords.com/documents/naissance-du-male-1

- et la seconde : http://www.welovewords.com/documents/naissance-du-male-2/

(…) Je l’ai filée pendant quelques mètres : elle s’est alors arrêtée brusquement, sans que je sache trop pourquoi. J’ai alors cru saisir un problème de talons, dans la mesure où elle a préféré se déchausser et continuer de marcher à plat. C’est vrai qu’elle déambulait pour le moins bizarrement depuis quelques mètres, ce que j’ai mis sur le compte du traumatisme de l’agression. Il faut cela dit se mettre à sa place : qui est capable de marcher sans discontinuer sur une telle hauteur sans éprouver une quelconque souffrance ? Je suis un bon témoin : j’ai moi-même souvent essayé avec les chaussures de Maman, et franchement, il faut être fou pour marcher sur ces trucs-là une journée entière. Après étude approndie, je comprends vraiment les revendications des femmes en matière d’égalité et de parité. Autant avec les sous-vêtements, on n’a pas de souci particulier, mais dès lors qu’il s’agit de marcher sur ces espèces de perches, une formation est à mon sens tout de même requise. Encore un sujet qui mériterait d’être approfondi.

Dori semblait extenuée. Le bon moment pour tenter une approche. Je me suis donc approché doucement, encore plus doucement que précédemment, et je lui ai tapé sur l’épaule, encore plus gentiment que la première fois. Elle a sursauté, m’a regardé avec un air qu’on pourrait qualifier d’eberlué, avant de crier un truc du genre “mais ça va pas, vous m’avez fait peur, que voulez-vous à la fin ?” et là j’ai encore dû lui réexpliquer le scénario de mon intervention (ce qui commençait à m’énerver un peu, quand même, je n’aime déjà pas trop parler, alors si en plus il faut répéter la même chose plusieurs fois d’affilé, ça devient un peu rageant, me semble-t-il), et là elle a une réaction bizarre. Elle m’a fixé de ses grands yeux bleu couleur océan de Stacy – enfin de Dori, je me comprends – et elle s’est mise à courir. Elle s’est mise à courir en laissant sa paire de chaussures à talons probablement trop encombrantes à mes pieds. Je n’ai pas trop saisi ce qu’il se passait, j’ai ramassé sa paire de chaussures dorées comme ses cheveux couleur de blé, et je me suis mis à courir aussi (après tout, un peu de sport ne pouvait pas vraiment me faire de mal). J’ai souri tout seul en réalisant que notre histoire n’avait pas commencé que déjà nous commencions à instaurer de petits rituels, j’ai trouvé ça plutôt drôle même si je n’ai pas bien pu en rire, ce n’est pas facile de courir, de réfléchir et de rire en même temps, ou alors je manque peut-être d’entraînement. Je suis malgré tout parvenu à la rattraper assez rapidement : elle avait beau être déchaussée, les conditions n’étaient pas optimales, sur du béton dur et urbain, pour courir de la sorte.

Arrivé à son niveau, j’ai réussi à l’arrêter et essayé de parler mais mon souffle était trop court pour articuler quoi que ce soit. Je me suis efforcé d’esquisser un sourire rassurant mais un point de côté me fendait l’estomac et m’obligeait à maintenir une posture courbée tout en affichant, j’en avais bien conscience, un rictus de douleur plus qu’évident sur mon visage en sueur. Ca a eu l’air de l’effrayer – encore ! – car elle s’est de nouveau mise à hurler de son cri strident qui m’avait fait accourir à sa rescousse à peine plus tôt. J’ai commencé à paniquer un peu : moi qui devais être son sauveur, il ne fallait surtout pas que l’on me prît pour son agresseur, je ne supporterais pas une telle injustice. Il est déjà de coutume que l’on soit relativement injuste avec moi à la maison ou au lycée (je vous passe les détails, d’autant que j’essaie moi-même de les effacer de ma mémoire), alors je n’ai pas envie que des inconnus me fassent vivre la même chose, sinon ça va commencer à devenir vraiment très rageant.

J’ai invité Dori à se calmer, en lui signifiant mes bonnes intentions, mais elle était très agitée et paniquée et j’étais vraiment au bout de mes possibilités. Je ne suis pas un grand négociateur : j’ai beau être plutôt bon en enchères en ligne, je n’ai dans ce cas-là ni à parler ni à présenter d’arguments particuliers, il me suffit de renseigner un chiffre dans une case, plus élevé que l’enchère en cours, du coup c’est beaucoup plus facile que lorsqu’il s’agit de convaincre quelqu’un de quelque chose, a fortiori de ma gentillesse et de ma volonté d’être utile. Des larmes – de tristesse ou de colère ou d’un peu des deux – ont commencé à piquer mes globes : j’avais beau réfléchir aussi vite que je le pouvais, je voyais bien que j’étais dans l’impasse avec Dori, et j’ai commencé à trouver ça franchement insupportable. Ca m’a rappelé la fois où Maman m’avait acheté un petit chat (il s’appelait Minou, évidemment, Maman a de ces idées parfois) et qu’il préférait aller jouer avec Michael qu’avec moi. Les animaux aussi préfèrent-ils les gens beaux ? Puis ça m’a aussi rappelé les nombreuses fois où j’ai eu l’impression que sans moi, ce serait mieux qu’avec moi, et ça a achevé de me rendre franchement triste.

Dori ne tenait plus en place malgré mes tentatives pour la retenir. De la même manière que sans me prévenir, ma main avait tout à l’heure lâché la barre de fer destinée à maîtriser la bande de jeunes à peine plus âgés que moi, il s’est de nouveau produit quelque chose de très étrange. Je ne parviens toujours pas à me l’expliquer : la même main, qui tenait alors l’une des chaussures dorées que Dori avait abandonnées sur le trottoir (la droite, si je me souviens bien), s’est subitement levée, doucement, au dessus de ma tête. Mes doigts se sont retractés pour la maintenir bien fermement entre ma paume et mes doigts, le talon vers l’extérieur, et ma main l’a alors lourdement abattue sur la tempe de Dori, transperçant sa chair avec un mélange de force et de douceur assez étonnant. Du sang a commencé à gicler, du sang rouge et pur, beaucoup plus abondant que lorsqu’il vient d’un petit animal par exemple, et Dori est tombée doucement de mes bras pour s’étaler sur le sol. J’étais un peu embêtée de l’évolution de la situation mais content qu’elle se calme enfin un peu. Je me suis dit que son silence était ma victoire, et que maintenant, elle allait peut-être être un peu plus conciliante et comprendre enfin que moi je voulais juste qu’elle m’admire et qu’elle m’aime et que nous nous aimions pour toujours.

J’ai observé son corps un petit moment, tout en essayant d’organiser efficacement son rapatriement à la maison. A l’évidence, je ne pouvais pas la laisser en une seule pièce, tant pour la transporter que pour ensuite la ranger convenablement et discrètement. J’ai tout ce qu’il faut niveau outillage, Papa a une flopée d’ustensiles dans la petite cabane du jardin. En revanche, c’est niveau conditionnement que les choses se compliquent : j’allais avoir besoin de beaucoup de formol et ce n’est pas si évident que ça à trouver… Mais bon, comme je n’en étais pas encore là pour le moment, je l’ai cachée avec soin sous un tas de détritus près d’une série de poubelles peu visibles depuis la grande avenue. Puis j’ai décidé de rentrer dormir un peu, car tout ça m’avait tout de même bien épuisé et il fallait que je reprenne un peu d’énergie pour la suite. Je savais cependant, au fond de moi, que j’étais désormais plus fort : maintenant, moi aussi, j’avais mon trophée. Comme Michael. Il me semble qu’il était tout de même grand temps.

  • ah oui je dirais...que la logique qui est la sienne est tout a fait fascinante!!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Suicideblonde dita von teese l 1 195

    Sweety

  • De plus en plus glaçant... très bonne description de ce glissement vers la folie, et du raisonnement apparemment tout à fait rationnel qui sous-tend les actions du "héros". Bravo !!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Jos phine nb 7 orig

    junon

  • Merci beaucoup Mathieu, je suis ravie que cela t'ait plu et touchée de ton retour. Je vais relire "La Conjuration des imbéciles", je ne m'en souviens pas très bien. L'inspiration est peut-être très inconsciente et très lointaine, mais très probable tout de même :)

    · Il y a presque 12 ans ·
    Profile pic mina fauster 92

    mina-fauster

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