NATURE MORTE AU CHEVEU DANS LA SOUPE

Pierre Demorteau

Un homme rejoint l’échoppe de la pâtissière pour une baise matinale avant l'ouverture du marché. En chemin, les plaisirs qu'il a connu derrière les étals se déploient comme la vitrine d'un boucher.

NATURE MORTE AU CHEVEU DANS LA SOUPE


Je dois confesser, avec un plaisir exhibitionniste certain, une sensualité domestique de vieux maître hollandais. De même qu'on finit toujours par trouver une infime trace d'empâtement dans la nature morte la plus léchée, j'ai dû laisser, ne serait-ce que par la pensée, une trace de sperme sur l'étal de chaque maraîchère.

Dans l'enfance, ces éjaculations devant des fromages lépreux, des mouches sur les viandes sanguinolentes et des cages à bestiaux derrière lesquelles j'imaginais cachés des cul-de-jattes et des femmes à barbe étaient proches de l'effroi. J'aimais l'odeur des cuirs au soleil, les porcelaines des brocanteurs qui avaient vécu - Quelle crème avait fumé dans cette soupière ? Quels légumes coupés, quelle carcasse broyée et surtout par quelles mains ? Quelle vessie s'était soulagée dans ce vase de nuit et qui l'avait vidé ? Combien de mains s'étaient rincées sous l'eau parfumée d'une aiguière ?


Laure fait partie du gras peuple des commerçants bio. Héritière d'une longue lignée de pâtissiers, elle a convaincu papa de lui offrir un camion et de la laisser courir les marchés. Le patriarche d'abord soucieux pour la vertu de sa fille a fini par trouver l'idée lumineuse au vu du chiffre d'affaire et de la retenue de son enfant gâtée. Il faut dire que Laure, en stratège de la dignité familiale, ne sélectionne que des étalons discrets, et qu'aucun des jeunes bourgeois voyants fréquentant les quartiers réhabilités n'a pu dépasser la gentille séduction autour d'un rosé les soirs d'été.

- « Vous n'aurez qu'à passer par l'arrière, je vous donnerai le gâteau avant l'ouverture, comme ça vous ne serez pas en retard. » Cette invitation avait suinté une telle innocence que je n'avais pas imaginé qu'en fait de gâteau, elle m'offrirait son cul. Sans lâcher la poche à douilles et continuant à dresser ses religieuses elle me l'avait tendu entre de hauts bas de laine à chevrons et un tricot à col roulé. Depuis, je la baise rituellement, tous les lundis avant l'ouverture. Elle accomplit le geste délicat du bourrage de chou à la crème ou l'effilochage de la ficelle d'emballage, une langue fourrée dans la chatte.


Il est six heures du matin, les poils attendris par la serviette brûlante je m'enduis le visage de savon. Laure m'aime rasé de près. Les barbes de trois jours à la mode lui semblent aussi détestables que les fausses guenilles avec en plus ce pénible inconvénient de labourer la peau des cuisses et des joues.

A l'inverse, le contact de tissus d'une certaine rudesse virile la fait immanquablement mouiller. Elle m'a un jour avoué s'être branlée pour la première fois, dans un tram en rentrant de l'école, excitée par les frottements d'un imper d'homme contre ses jambes nues. La solide toile beige lui rappelait l'uniforme d'officier d'un grand-oncle, premier homme qui l'avait fascinée lorsqu'elle l'avait vu nu en photo, chahutant sous la douche avec d'autres élèves de l'école militaire. A chaque visite chez sa tante elle demandait les cartons et passait des heures à faire semblant de détailler les vieux clichés pour entrevoir, quand plus personne ne la surveillait, ce jeune dieu blond mouillé. Cette petite cérémonie durait suffisamment pour que le gonflement de sa vessie devienne insoutenable. Elle courait aux cabinets les joues très rouges et pissait à gros jets sans comprendre la nature réelle du picotement chaud au passage de l'urine ni celle des rêves qui suivaient ces après-midis.

- « Tu sais le matériel militaire a une odeur d'huile et de cirage qui me rendait dingue. C'était comme du très vieux cuir. Je m'imaginais être mariée à cet homme et devoir repasser ses pantalons avec l'angoisse qu'il me punisse si les plis n'étaient pas impeccables. Il est mort bien avant ma naissance mais il y avait un vieux coffre kaki dans le grenier et un sac à paquetage avec tout son matériel. Je baissais ma culotte et je m'asseyais sur la toile tendue à craquer, je crois même qu'il y avait des piquets de tente. J'étais tellement insupportable après ça qu'une fois sur deux je me prenais une fessée. »


Douché, parfumé, j'enfile un costume clair et corrige le nœud d'une cravate de soie bleue en tricot. Pour Laure j'incarne un avatar décadent de son ancêtre, une sorte de parfait gentleman salace à la gueule d'angelot et aux chaussures bien cirées. Elle prend son pied en s'imaginant petite Lolita, épinglée vivante dans une boîte à fantasmes.


- « Je vais te travailler au détail mon petit porc. » La charcutière m'avait surpris un jour, reluquant par la porte ouverte du camion ses jambons bronzés et sa vulve en crête de coq. J'avais attendu la fin du marché, sachant qu'elle devait se changer avant de rejoindre les autres au bistrot. C'était l'été, la moité de mon sexe sortait de mes slips devenus trop étroits et je me caressais, main dans la poche, à longueur de journée. Elle m'avait saisi par le coude et traîné vers le billot. J'étais effrayé, je redoutais, à cause d'une mauvaise traduction de Juvénal, qu'elle ne se serve d'une des queues de bœuf de sa devanture pour me donner la raclée qu'elle me promettait. Plus que la douleur je craignais les traces de sang que ce morceau de boucherie aurait laissé sur mes vêtements. Assise sur un escabeau, elle me déculotta sèchement et me fit mettre à genoux. -  « Maintenant mon garçon, tu vas être très gentil avec maman. » Elle écarta les pans de sa robe qu'elle n'avait pas encore boutonnée et m'enfonça la tête entre ses jambes. J'avais toujours imaginé la vulve comme un large triangle bien dessiné, à peine fendu et sentant la mer. La chatte de la charcutière n'avait rien à voir. Deux excroissances rosées, chiffonnées comme des chanterelles, pendaient au milieu d'une toison qui lui couvrait jusque l'intérieur des cuisses. Le tout me semblait étonnement sec et sentait la pisse. Elle me tint par les cheveux et me dirigea vers le haut de la fente, ses lèvres s'écartèrent sous l'arête de mon nez. Je garde un souvenir confus de la suite des événements : un goût de bouillon, de vagues phrases où il était question de Petit Poucet et de fève à trouver.


Un marché déploie, sur quelques mètres carrés, l'équivalent de la Psychopathia Sexualis du bon docteur Krafft-Ebing. En dehors même des vendeuses qui, suivant le tempérament et les proportions, incarneront les divinités mineures ou les figures centrales de mythologies personnelles, c'est toute l'armature parfaitement usinée du monde sous-terrain et crapuleux des quincailliers (robinets cuivrés, bondes retenant les cheveux et très féminines serrures, rotules de l'intimité) qui s'y trouve réunie pour cravacher nos fantasmes.


La place est calme comme un lit au carré. Les auvents des remorques clos. Je longe l'écrin bleu de la poissonnière. Je n'étais, dans le ronflement de la pompe de l'aquarium, qu'un homard aux pinces liées entre les doigts de la très brune Pauline. Ses cheveux sentaient la marée et la glace pilée. Elle me faisait d'abord la baiser debout, coudes au comptoir, jupe relevée, son cul blanc encadré de bleu, ses larges bottes la claquaient aux mollets. Je jouissais rapidement agrippé à la laine chiffonnée et la regardais, une main sur sa large touffe, courant se laver le cul, accroupie, dégouttant de sperme, ses longs poils se balançant un moment dans l'eau, puis, en suspension sur les cuisses, torchant ces algues frisées et alourdies, pendantes au dessus du seau. Ces ablutions glacées marquaient la deuxième partie de nos jeux, nue comme un ver elle mordillait ma queue comme un hameçon, la nettoyant avec un soin maniaque. M'agrippant les couilles d'une main soignée, elle se relevait en riant, arrondissait sa bouche parfaite passée au baume norvégien et soufflait une douce haleine de gland au travers de ses lèvres roses.


J'arrive devant l'échoppe de Pierre Guerland, maître pâtissier à Livrade. Un trait de lumière chaude encadre le volet blanc, à en juger par l'odeur, Laure prépare un moelleux portugais. J'enjambe les trois marches métalliques, elle porte une robe imprimée de coton très léger et chantonne en fouettant les jaunes d'œufs. Elle a les mains très soignées, trait qu'elle partage avec la marchande de primeur aux ongles impeccablement rouges avant que la terre ne lui colore les cuticules. Un fin bracelet d'or suit l'agitation de son poignet, j'observe les légers tremblements de ses mollets nus, les taches de rousseur sur sa nuque dégagée. Elle a déposé sur le comptoir un slip de dentelle violet semblable à ceux que je regardais en coin, tendus sur des cintres ronds, à côté des bas dont le haut, bourré dans le creux des jambes en plastique formait un trou étoilé couleur chair que j'imaginais semblable au vagin et qui provoquaient chez moi de violentes érections pubertaires. La fripière vicieuse les calma un jour, lors d'un essayage,d'un coup d'aiguille sec. Je regarde Laure s'exhiber en pesant le sucre. Elle me montre ses cuisses et ses fesses nacrées, éclatantes comme la cuvette de faïence des chiottes. J'embrasse son cou et m'accroupis devant son cul. Le dessus de la raie est humide et rosé, son anus se serre sous la première pression de mon index. Je l'enfonce lentement pendant qu'elle tamise la farine. Un peu de fleur tombe à nos pieds. Je me relève rapidement. Serait-elle déjà en train de perdre les pédales le gâteau à peine commencé ? - - « Alors ! On découperait d'habitude Hansel et Gretel sans sourciller et on perd toute contenance pour un petit doigt dans le cul ? » - « Tais-toi, idiot, et passe-moi le café. ». Pendant que je le verse sur les œufs sucrés, Laure déboutonne le dessus de sa robe. Je pince ses aréoles de rousse et défait son chignon. Elle joue avec mon gland d'une main tout en incorporant la farine. Comme elle, la crémière était une formidable branleuse athlétique et ronde, au pubis dur comme de la soie de porc. Elle empoignait ma queue comme un trayon, me traînait en laisse jusqu'au bout du camion et frottait vigoureusement ses lèvres rasées. Les repousses pileuses m'irritaient, elle me faisait jouir sur son ventre, le méat enflammé, enduisant ses seins de sperme. Son plaisir passait alors par une branlette régressive où ma cuisse remplaçait l'oreiller de son adolescence. Je serrais son grand corps blond et poisseux de flamande en la traitant de petite fille et elle jouissait en commentant le calibre de mes œufs.

Laure beurre un moule à manquer et regarde ma queue, un rien déçue : - « Tu es trop dur pour m'enculer maintenant », elle se retourne et me saute au cou - « Alors tu vas me baiser debout ». Je sens immédiatement ses longs poils fins contre mon ventre et ses lèvres baver autour de mes couilles. Elle me fourre sa langue dans la bouche et je commence à la bourrer solidement. On frappe à la devanture du camion. - « Merde, j'avais oublié la vieille ». Je me glisse sous le comptoir et Laure reboutonne sa robe en ouvrant l'auvent. - « Madame, une tarte aux abricots, c'est ça ? » - « Tout à fait. Mais choisissez-la bien cette fois, la semaine dernière il y avait encore un cheveu dessus et ce sont les vôtres, ils sont roux. »


PIERRE DEMORTEAU



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