SENSUELLE SÉANCE
mysterieuse
Elle ne savait rien de J.M et ne le connaissait qu'au travers de leurs échanges épistolaires et pourtant, mot à mot, par petites touches, elle avait du portrait impressionniste fait une image bien réelle. D'abord lunaires parce que auréolés de mystère et de sensibilité, les courriers étaient rapidement et intimement devenus solaires tant leur univers se recoupaient. Cette troublante et singulière similitude construite sur leur unicité ressemblait à chaque lettre davantage à un entrelacement de leurs émotions étayées des citations littéraires , images , ou toiles de peintres connus et reconnus .Cet attachement particulier à la culture dont il parsemait chacun de ses mails associé son goût prononcé pour la solitude avait poussé naturellement D. à lui proposer une invitation au cinéma .
« A single man », premier film de Tom Ford, tiré d'un roman éponyme de Christopher Isherwood était diffusé depuis peu dans les salles obscures. J.M avait accepté la proposition, tant par gourmandise de lecture et de culture, que pour le plaisir bien réel de pouvoir enfin la croiser, ne fut ce que dans l'obscurité d'une salle de cinéma.
La croiser tout simplement, parce que privilégiant la déambulation à la destination, elle avait posé une seule condition toute particulière à sa requête.
« Je me propose d'aller voir « Single Man » au cinéma. Il n'y a guère que deux salles qui le diffusent en ce moment en version V.O. Je vous propose de vous rendre à la séance du soir dans l'une d'elle où je serai. Ce sera quitte ou double, Si cela vous convient, nous échangerons par la suite nos émotions » l'avait irrémédiablement décidé à accepter. L'enjeu était à la hauteur de ses fantasmes, peut être aurait-il l'occasion de la côtoyer sans qu'elle ne le soupçonne. Si tel était le cas, il s'enroberait de sa féminité, de ce mystère dont elle aimait jouer derrière son écran. Il l'espérait, elle la femme, et son espoir était décuplé par la fébrilité engendrée par son hypothétique présence
De D. Il n'avait qu'une photo, celle de son corps et l'empreinte de sa fragrance dont elle lui avait révélé le nom « Opium » d'Yves Saint Laurent Uniquement guidé par ces deux sensuels et précieux codes, il s'était dirigé vers l'une des deux salles à l'heure qu'elle avait choisie. Serait-il capable de s'intéresser au film, en la sachant présente restait cependant à démontrer.
Il avait préféré arriver dans la salle déjà plongée dans le noir, espérant, à la lueur de la torche de l'ouvreur, apercevoir une âme solitaire, élégamment vêtue s'il s'en référait aux indices qu'elle lui avait fournis au sujet de ses toilettes.
Deux femmes pouvaient répondre aux critères, la plupart des spectateurs cinéphiles étant en couples ou plus âgés.
Tous ses sens en éveil, il s'était faufilé au milieu d'une rangée à égale distance entre les deux silhouettes féminines.
Tour à tour il enrobait d'un regard attentif chacune des deux femmes. Dans ces conditions il lui serait difficile de se concentrer sur l'écran. Mais un courant de sensualité qu'il ne parvenait pas à réprimer l'avait enclin à porter son attention sur la silhouette qui se tenait à sa gauche. Pourquoi celle-ci en priorité s'était –il questionné intérieurement ?
Une attitude, un port de tête, une nuque gracile et dégagée en étaient la réponse, de longues jambes dévoilées sous les pans de la fluidité d'une robe.
Dès les premières images, elle s'était plongée dans un quasi recueillement, en totale symbiose avec l'ambiance feutrée du scenario. Il n'avait ressenti, aucune fébrilité chez cette femme, rien qui ne puisse laisser suggérer qu'elle se sente épiée. Naturellement, elle s'était laissé glisser confortablement dans le siège, s'était mise à l'aise en retirant un gilet de laine. Aucune émotion particulière sur son visage n'avait convaincu J.M. Certes, elle semblait subjuguée par l'écran, mais pas vraiment émotive. Son élégance s'était soudain faite incertaine, plongeant J.M dans le doute quand à l'identité de la première femme. Doucement, son regard avait quitté la créature séduisante pour se focaliser sur la toile.
D. avait eu raison de lui proposer cette invitation. Il se dégageait de ce film une ambiance particulière dont le moteur était le désir. Ce désir omniprésent avait exacerbé celui de J.M. Le charme de Colin Firth avait opéré sur lui comme celui d'une femme .Sous cette emprise, il avait tenté un regard à l'encontre de la femme assise à sa droite.
Elle semblait plus exaltée que la précédente, témoin le galbe de ses jambes qu'elle croisait et décroisait régulièrement, infligeant une véritable torture à J.M devinant le crissement du soyeux de ses bas et plus haut cette frontière entre le nylon et la douceur de sa peau. Il aimait, cette façon particulière qu'elle avait de passer sa main dans ses cheveux, cette main qu'il avait soupçonnée d'une esquisse de caresse intime, sur le cliché qu'elle lui avait fait parvenir par courrier.
La photographie… Elle était là la clef de l'énigme. Dans un effort de concentration, il essayait de se remémorer un détail qui aurait pu la confondre. Fermer les yeux…
La première image se portait sur le galbe de ses seins cernés de dentelles, la seconde fatalement sur sa main entre ses cuisses, peut être glissée sous le tissu de sa jupe. Intensément, il réclamait en son for intérieur, un flash, un indice. Amateur d'art, il ne pouvait échapper au détail qui fait toute la différence d'une œuvre, sa particularité. Une minute s'était à peine écoulée, les yeux fermés, une minute qui lui avait paru une éternité, enfermé qu'il était dans une bulle sensuelle.
Une réplique de Georges, le héros, avait inspiré un rire léger à l'inconnue dont il se mettait à espérer de plus en plus qu'elle était elle. Le son cristallin de sa gorge, l'avait ramené à la réalité Une énième fois, elle glissait ses doigts entre ses mèches, l'accompagnant avec douceur derrière l'oreille. Cette main devenait obsessionnelle, quant tout à coup son esprit triompha. A son poignet gauche, une gourmette en or, à l'identique de la photographie. Il en était convaincu à présent, c'était bien D., mais il ne pourrait en avoir la confirmation que dans les effluves de son parfum.
Il s'était à nouveau concentré sur le film, ignorant totalement sa voisine de gauche, mais laissant de temps à autre s'égarer quelques farouches œillades à l'encontre de La D. présumée. Elle avait l'air totalement envoûtée par la merveilleuse interprétation de Colin Firth et ne prêtait que peu d'attention à son environnement.
La savoir assise à côté de lui représentait à ses yeux un doux calvaire, le charme supplémentaire du parcours aventureux d'une quête de l'état amoureux. Dans le feutré d'une salle obscure, l'érotisme planait déjà, tant par l'ambiance cinématographique que par la clandestinité d'un instant partagé.
Avant même que la lumière ne revienne, elle s'était envolée, peut être lui donnerait-elle par la suite une explication à cette fuite soudaine. Il la suivait jusque dans le hall d'entrée du vieux cinéma, s'en approchait au plus près pour en respirer les effluves. Le dernier voile de ses doutes venait de s'envoler dans le sillage troublant de son parfum provocant et sensuel. Elle était femme « opium ».Il ne résistait pas à enrober sa silhouette d'un regard discret, tout en enfilant son manteau. Une pensée lui effleurait l'esprit, elle était la sensualité faite femme. Il ne l'aborderait pas, il la laisserait partir car tel était son plaisir, faire durer le charme du mystère et du désir.
Il la précédait lorsqu'elle sortit, et en gentleman qu'il était lui tenait la lourde porte de verre. Ses grands yeux verts lui répondaient merci avant même qu'elle n'ait ouvert ses lèvres, puis d'un pas décidé, s'éloignait non sans lui avoir souhaité une bonne soirée…
Avait-elle deviné ? Il l'avait espéré, tout en souhaitant qu'elle ne trahisse pas ses intuitions…
Son allure félinement chaloupée, son regard clair enjôleur avait peaufiné l'impudeur de sa féminité. Le mystère restait entier.
De retour dans son univers douillet, D. avait tiré les lourdes tentures des fenêtres calfeutrant un peu plus son intimité. Rapidement, de manière éparpillée, elle s'était libérée de toutes tenues vestimentaires. Son impudeur habituelle lui avait valu quelques désagréments avec son voisinage le plus proche l'accablant ni plus, ni moins du terme réducteur d'exhibitionniste. Était-ce sa faute, si elle aimait se promener toute nue dans ses appartements à la tombée de la nuit, à l'heure où le jour déclinant vous transporte dans cette ambiance particulière de l'entre chien et loup. Mais partant du principe que sa liberté entravait celle des autres, elle avait fini, à force de raison, à se confiner le soir venu derrière les rideaux fermés.
Encore empreinte de l'atmosphère sensuelle de « A single Man » elle s'était octroyé le loisir de se servir un verre de Chablis. Naturellement elle s'était dirigée vers son ordinateur encore ouvert sur la page de ses mails, mais aucune trace de J.M.
Elle resongeait à l'inconnu lui tenant poliment la porte dans le hall du cinéma et ne pouvait s'empêcher de penser qu'il pouvait être lui. Vêtue de rien, elle en avait éprouvé un trouble, délateurs ces frissons électrisant son échine et cette sourde fièvre réchauffant son bas ventre. Se remémorant la scène, elle portait toute sa concentration cérébrale sur son regard clair, un regard gris vert proche du sien. Dans la fébrilité de la rencontre, elle n'avait eu le temps de le dévisager, ni même d'entendre le son de sa voix, d'ailleurs s'était-il adressé à elle ? Elle n'avait souvenance que de ses yeux, d'un regard empreint paradoxalement de douceur et de dignité.
En cette soirée plus solitaire qu'à l'ordinaire, elle s'était servi un second verre de Chablis, avait posé un cd sur la platine et s'était installée confortablement dans le grand canapé. Elle s'était endormie.
Alors que D. avait sombré dans les bras de Morphée, de l'autre côté de l'écran, J.M s'attardait un moment sur les images que D. lui avait faites parvenir, associant à présent un regard, un sourire un visage à ce corps artistiquement floutée par la photographe qui n'était autre qu'elle-même. Secrètement il avait espéré qu'elle lui fasse parvenir une nouvelle image d'elle. Mais dans chacun de leurs échanges n'apparaissait jamais une quelconque prière ou requête. De l'évolution de leur relation épistolaire se détachait une troublante complicité intuitive que ni l'un, ni l'autre ne tenait à corrompre par trop d'empressement. Aucune explication ne pouvait élucider cette étrange rencontre, si ce n'étaient cet amour des mots et cette quête aventureuse de désir. Mais était-il besoin de trouver une interprétation rationnelle à leur rapprochement ?
« Bonsoir D.,
Cette nuit, j'ai regardé les deux photos que vous m'avez envoyées. Il me revenait comme un leitmotiv les mots d'un de vos billets pour illustrer la vidéo de Hopper : « sexe fendu et seins ronds ». J'ai fermé les yeux et j'ai violemment cherché à atteindre la sensation de mes doigts sur l'ourlet de votre lac d'amour. Je n'y suis pas parvenu. J'en ai ressenti une légère tristesse. Alors je me suis souvenu que la peinture avait déshabillé les femmes, qu'elle avait montré leurs corps désirables et rendu le spectateur voyeur de leur beauté sanctifiée dans la séduction et le plaisir. Vous étiez alors dans ma nuit, une Vénus attendant que le plaisir l'inonde.
J'éprouve un plaisir quasi physique à nos échanges épistolaires. Ils se sont « positionnés » naturellement. En espérant qu'ils demeurent et amplifient l'ardeur de nos attentes.
Plus terre à terre, je m'absente la semaine prochaine, je serai donc moins présent. De grâce, ne m'oubliez pas …Je vous désire !
C'est votre cou que j'inonde de mes baisers pour mieux m'effacer dans votre chevelure
J.M »