Née un 8 août 1943

Eloïse N

Et ce RER A qui n’avance pas. 10 minutes entre Vincennes et Châtelet. Je ne serai jamais à l’heure pour le déjeuner.

Mamie qui m’attend.  3 semaines que je lui ai promis de venir à midi. 

Long changement. Tapis roulants. Escaliers.

Pourquoi les gens ne gardent ils pas leur droite. Quelle lenteur….et pourquoi elle n’avance pas celle là ? 

Enfin le quai de la ligne 7. Métro dans 4 minutes.  Je prends un Direct Matin qui traine sur le siège. Feuillette rapidement en attendant le métro.  Après si je marche vite, j’arriverai rapidement au n° 16 de la rue de la Glacière.

Ma grand mère habite là. Immeuble années soixante. Un jardin. Un petit bac à sable que seuls les chiens vont visiter. 

Elle  habite seule, au milieu de ses livres, journaux empilés, de vieux fauteuils tout défoncés mais où il fait bon s’asseoir.

Sur la commode en marqueterie dénichée je ne sais où, un bougeoir recouvert de cire, des photos de moi petite. Une vue de Jérusalem.  

Et une vielle photo, noir et blanc. Déchirée sur les côtés, jaunie. Deux adultes tenant un bébé. Ils sourient. Semblent heureux.

C’est la seule vieille photo qu’elle possède de l’ancien temps comme elle dit. 

Ma grand mère Madeleine est une rescapée de la Shoah.  Pas des camps, non, elle était bien trop jeune. Un bébé de quelques mois quand ses parents ont été emenés. Son prénom, son nom lui ont été « racontés » par les éducateurs de l’OSE, l’orphelinat pour enfants juifs.  Sa date de naissance a été décidée par l’administration. 8 août 1943.  Tout ce que je sais c’est qu’elle y a grandi jusqu’ ‘à ses 18 ans, parmi les centaines d’enfants sans passé. Sans souvenir. Sans nom parfois.

Alors quand je regarde cette photo, du temps « d ‘avant »,je me demande si elle ne l’a pas trouvé dans quelques brocantes, mise dans un cadre, histoire de donner une image à son enfance.  

« Ma chérie, tu ne veux pas un peu plus d’œuf mimosa ? Mange un peu, tu as à le visage tout creusé. Tu es dans la lune aujourd’hui. Qu’est ce que tu regardes ? Le bougeoir ? C’est la voisine, Mme Ingeborg qui me l’a donnée pour me remercier d’avoir nourrit son chat pendant son hospitalisation.  »  

"Je regarde la photo Mamie. Dis moi, comment est ce que tu l’as eu ? " 

Si ma mère était là, elle m’aurait fusillée du regard pour avoir évoqué l’époque dont on ne parle pas.« Tu ennuies Mamie, laisse la tranquille. Sinon, Maman, comment vont les Brauer, leur fils se marrie n’est-ce pas ? » . Mamie aurait lâché du regard la photo pour lui raconter sans transition et avec vivacité les détails du mariage. Du pedigree de la jeune fiancé, au choix douteux de la salle en passant par le nouveau job dégoté par le fils Brauer. 

« Ma chérie, cette photo c'est ma mère qui me l'a donnée". Enfin c’est ce que l’éducatrice de l’OSE m’a dit. ça c’est passé avenue de la République.Je n’étais qu’un nourrisson lorsque la police a raflé tous les habitants juifs, en vitesse ils ont embarqué les gens, dont mes parents. 

Ma mère m’a donnée a une passante qui regardait la scène. « Elle s’appelle Madeleine Duval », lui a t elle crié. "Madeleine Duval."  La passante m’a prise dans les bras. Un peu malgré elle.
Les policiers ont enfourgué tout le monde. Fermé les portes des camions alignés dans l'avenue. Et mes parents sont partis.

Dans mes langes il y avait cette photo. A la fin de la guerre, la passante m’a remise à l’OSE. Avec la photo. Et mon nom.
Je me suis toujours persuadée que c’était moi le bébé sur cette photo. Avec mon père, ma mère. Si Fringuants, si souriants. Evidemment cela pourrait être un couple d’ami, de cousins, des parents... 

Après la guerre, je n’étais qu’une petite fille de 3 ans. Une éducatrice s’est rendue plusieurs fois au Lutecia pour regarder sur les listes de survivants s’il y avait le nom de mes parents. Duval. Rien évidemment. Sinon nous ne serions pas que toi, tes parents et moi à Hannoucka !

Mais j’aime bien penser que quelque part il y a un bout de famille que existe encore et qui m’attend. Peut être à New York tiens ! Ca ferait un beau roman.

Mais c’est ce que tous les enfants de l’orphelinat se disaient à l'époque. 

Allez, maintenant finis ton assiette. Je vais apporter le reste du manger." 

"J’aime bien penser que quelque par il y a un bout de famille qui existe encore et qui m’attend"… Retour sur les sièges de la ligne 7. Dans les couloirs du changement pour le RER. Sur les tapis roulants, dans les escalators je pense à cette phrase de ma grand mère. Un bout de famille. Juste un bout. Pour mettre des mots sur son passé, son lieu de naissance. Le prénom de sa mère. De son père. 

Trois mois plus tard je pars à Londres pour faire un échange dans le cadre de mes études. Mon coloc, Callum, travaille pour le Sunday Times. Aux petits annonces, notamment celles de l ‘édition du Week end. Un gros pavé comme on en a pas en France et qui, si on devait le lire entier prendrait toute la semaine ! Travel&Art, the Sport Review, Business news….6 ou 7 journaux en 1!

Ce jour là,  je  ne sais pas pourquoi, je lui ai demandé s’il pouvait insérer une petite annonce avec photo. J’ai scanné la photo toute jaunie, avec comme unique légende : Who knows Madeleine DUVAL?  Je pouvais au moins faire ça pour Mamie Madeleine.  Le Sunday Times du week end est lu par des millions gens dans le monde. Entre la version papier et Web. Il y a peut être quelqu’un qui aura une information. En même temps, Callum  a raison. Qui prête attention aux pages petites annonces au sein de cette masse de magazines ?  

02h30, un dimanche soir à  St Johns Wood, NE London.

Philippe, professeur de français retraité du Kings College de Londres n’arrive pas à dormir. L’insomnie, ce n’est pas son habitude. Mais ce soir, impossible de fermer l’œil. Peut être le café de 17h?.  Où le 80eme anniversaire qui arrive à grand pas ?

Il descend dans la cuisine, se sert un verre d’eau.

Non décidemment le sommeil ne viendra pas de sitôt. Il prend au hasard l’un de cahier centraux du Sunday Times. Celui des petites annonces. Il le feuillette, à la recherche du sommeil.

Page 15.

Il se lève d’un coup. Le verre d’eau lui glisse des mains et se brise sur le sol. 

Il prend le téléphone. « Allo ? Je suis bien à la permanance du Sunday Time ? »

« Oui bonsoir. J'appelle pour la photo. Il y a une erreur, c'est DEVLAL et non pas Duval.  C’est moi qui ai pris cette photo ».

  Deux jours plus tard. Mamie Madeleine rencontrait le frère de son père. Un bout de famille, enfin réunie.

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