NETTOYAGE A SEC

Isabelle Revenu

Je finissais par ressembler au gorille femelle qui me servait de femme de ménage. Pas rasé, le cheveu gras et compacté de pellicules. J'étais en train de me servir un pet..heu..grand verre de Gewurztraminer, quand mon portable entonna "Just singing the blues and nothing else" des Silver Surfers.

Un nouveau contrat m'échoyait. M'échoyait? Non pas choyé et pas de foyer...des interpositions ça et là, sans trace légale,  sans empreinte délaissée.

Une couleuvre silencieuse.

Un must du camouflage. Quel âge ? En ce moment, un peu plus que l'âge de mes artères. Je me terre dans cette chambre noire comme un boulet de coke de Sarreguemines. Mine de déterré...

Je n'avais pas bossé depuis..oh..depuis que j'avais refait connaissance avec l'alcool, mon bât qui blesse, mon ordonnance,  ma seule compagnie. Mon double avec ou sans glaçons.

Le gars que j'avais dessoudé en dernier était une pauvre tache, un de ces types dont on regrette qu'il ait frappé à la porte de l'humanité, un pourri, un assassin. C'est là que j'ai commencé la picole. Je me sentais serré à l'intérieur, en descente plombée. Déjà seul, je m'enterrai vivant dans des degrés d'alcoolisation défiant toute concurrence. Et dans un ésotérisme que n'auraient pas renié les adeptes des causes perdues.

Ma femme s'était barrée avec mon secrétaire. A l'époque, je dirigeais une agence de détective privé.

En ce temps-là, j'avais une double identité, j'étais patron de bar de nuit..la nuit, ce qui me permettait de savoir l'activité des flics, dont les descentes dans mon établissement étaient plus célèbres que celle de Cécile Sorel au Moulin rouge...

Quand on est ami avec la bouteille, tout est proche de l' éclatement permanent.

En premier, la tête en plomb mais jamais d'aplomb, toujours penchée du côté où ta vie va tomber. Ensuite les idées qui suivent le même chemin. Le plus dur, c'est quand les mains commencent à entamer une java endiablée, où le verre que tu te sers en guise de petit déj se vide plus vite qu'au remplissage,  la faute à la danse de Saint Guy incontrôlable.

La punition commence.

Le moins glorieux, c'est qu' imbibé sans cesse de liquide brûlant, il t'en faut encore et encore, jusqu'à absorber l'eau de Cologne du coffret de Noël... Et dégueuler ton soûl dans les chélidoines des ruelles cradingues. Plus rien de solide ne se cramponne dans ton estomac, ton foie lutte comme il peut et se gonfle , attendant la cirrhose avec bénédiction, comme une délivrance ultime. La chute est en nous comme un glissement de terrain,  une coulée de boue insidieuse et létale.

Je connaissais par coeur les troquets qui fermaient bien après le mien en dépit de la législation en vigueur. J'allais faire un poker ou un backgammon dans la foulée me frottant éventuellement avec les branleurs qui essayaient de me blouser.

J'avais d'un coup perdu ma femme et ma foi en Dieu. Et gagné douze kilos. L'alcool m'avait bouffi les traits et mon mauvais caractère, je devenais arrogant, plein de morgue. Ce qui était normal pour un nettoyeur...

Un con...

Je me foutais pas mal maintenant de ma moitié,  du tiers, du quart et même du car de flics qui m'avaient alpagué Cours de la Marne. Pas de permis, pas d'assurance et refus de décliner mon identité. Zou, en comparution immédiate, tape sur les doigts.

J'ai pris six mois ferme... et je l'ai fermée pour pas aggraver mon cas.

Drrrrriiiiinnnnnggggg!!

Un nouveau contrat à respecter si je le veux..Ce message m'autodétruira dans ..une heure environ, juste le temps de comprendre et de prendre le large....

Suivre le patron d'une industrie pharmaceutique et le descendre fissa sans anicroche.

- Vous trouverez un Berreta et son silencieux dans la seconde poubelle rue Mirassou, dans un sac jaune...

J'ai péniblement descendu les six étages sans ascenseur et sans beaucoup d'équilibre. J'ai failli passer deux fois par-dessus la rambarde et me péter la tronche sur la boule en verre. Certain de redresser la barre, dans un  stupide mouvement de bascule arrière, je reculais, vite renvoyé par le mur en un rebond peu académique. Je suis sorti, un peu hors de mes pompes, mais l'air frais m'a requinqué. J'ai pris le tram et j'ai continué à pied de la rue Malbec à la rue Mirassou. Comme convenu, j'ai bien trouvé le pistolet planqué parmi les boites de lait aigre et les barquettes de viande avariée.

Il était plus de dix heures quand le patron est sorti de son loft cossu pour faire pisser son cabot d'une demi-livre tout mouillé.

Je lui ai tapé sur l'épaule, il s'est retourné, je lui ai martelé mon index entre les deux yeux.

J'ai vu son regard éperdu de peur dans le halo blafard du réverbère, l'iris suppliant et la larme qui naissait sur les bords du canal. Il m'agrippait aux revers de mon pardessus, cherchant les traits que je cachais sous mon col relevé et mon feutre baissé sur mon front.

Je l'ai repoussé brutalement... Et j'ai mis la main à la poche pour brandir mon flingue.....Pas de cul !!! La crosse de mon Beretta s'est prise dans le trou du fond de ma poche. Pas moyen de l'en sortir. Ce con de type a commencé à hurler et le clebs s'est mis en tête de m'arracher un bout de barback. J'ai fait valdinguer la bestiole d'un coup de bottine comme une vulgaire baudruche. En atterrissant un peu lourdement sur le trottoir, il s'est mis à courir sans se retourner.

Je me sentais vidé, fatigué, mon chapeau était tombé dans une flaque  couleur de nuit noire, je me penchais pour le ramasser et PAN !! la queue de détente, par je ne sais quel miracle, libéra une balle de neuf millimètres en plein dans ma virilité...

Queue de détente et détente de queue ne font pas bon ménage...

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