New York district 1
faustine
Du plus loin qu'il se souvienne, Tonio ne s'était jamais réveillé avec une pareille bosse occipitale. Impossible de se mettre à jour sur ce qui s'était passé la veille. À croire qu'on lui avait reformaté sa carte mère, changé sa puce, modifié ses codes barres. Effectivement, l'implant identitaire niché dans le O de son tatouage Born to be wild avait été extrait d'un coup de rasoir. Il avait bien entendu parler de ces dissidents qui se servaient sur les autorisés mais n'en avait encore jamais été la victime auparavant. Sans doute aussi qu'on lui aura siphonné ses crédits du mois. Un coup d'œil par le hublot, oui, il était encore dans sa ville. Déjà ça de gagné, bien que de voir la Statue de la Liberté lui indique qu'il se retrouve à Battery Park et non plus dans son fief du cinquante-deuxième canal. Il soupire, il aurait pu tout aussi bien se réveiller à Chicago ou à Dallas… Les sirènes des bateaux-cops, la vapeur sortant des cheminées d'évacuation avait quelque chose de rassurant. Par contre il remettait pas la péniche. C'était un vieux modèle sans distributeur. Un giga coke l'aurait pourtant bien aidé histoire de retomber sur terre, avec peut-être une petite chance que celui qui jouait au tam-tam avec les os de son crâne se calme un chouia. Tonio aimait bien la musique, mais là, c'était vraiment pas son heure. Par chance son slip était au pied de sa couchette et le reste de ses fringues éparpillé un peu partout. Après inspection, la porte latérale donnait sur une petite douche, cosy mais propre et, ô bonheur suprême équipée d'une serviette de bain. Une fois sapé, il n'eut plus qu'à passer sur le deck et descendre sur le quai par l'escalier de secours. Pas un bruit, pas un son, pas un chat. La grosse pomme ne laissait entendre que le clapotis de l'Hudson contre les murs de ses buildings. Depuis les catastrophes climatiques du siècle passé et la drastique montée des eaux qui s'en était ensuivie, les New new-yorkais avaient dû entièrement réaménager leur ville.
Va falloir se démerder pour remonter dans son fief, à trente blocks de là, entre le 52e canal et les marais de Central Park West. Ziiiiiiii ziiiiii ziiiiiii une navette de cops le dépasse, toutes sirènes dehors. Tonio rabat le capuchon de son sweat sur sa tête et grimpe vite fait sur une péniche qui remonte en direction du centre-ville.
Arrivé dans son fief, il s'arrête à l'abreuvoir. Frôle la plaque de son empreinte digitale et reçoit en échange son demi-litre de coke quotidien. Il l'engloutit d'un coup. Il n'en aura pas d'autre aujourd'hui. Le compteur est à zéro pour la semaine. Sera renouvelé après-demain seulement. Tant pis, il arrivera peut-être à échanger sa ration de protéines contre quelques décilitres de liquide désaltérant. C'est de toute façon pas aujourd'hui qu'il va beaucoup manger. Le soda ayant eu l'effet escompté sur son mal de crâne et sa crise de foie il trouve l'énergie de monter à pied – putain d'ascenseur encore en panne ! – jusqu'à son antre au 28e étage. Il referme la porte sur lui avec soulagement avant de s'écrouler sur son canapé.
Dring Dring Dring ! Allo ? Eh bien, il vous en faut du temps pour répondre ! Qui êtes-vous ? Vous ne vous souvenez pas de moi ? La voix est chaude, un peu rauque, comme il les aime, sensuelle. Comment a-t-il pu l'oublier ? Hier soir au Eddie Condon Club, dans la 52e ? On avait un deal vous vous souvenez ?
La vérité lui explose en pleine face. Fuck, fuck, fuck !!! (tu crois pas si bien dire mon gars). Hier soir, au bar, cette super gonzesse… elle l'a allumé comme pas deux, genre Lauren Bacall en mieux – you know how to whistle do you ? Put your lips together and blow – comment il a pu l'oublier ??? Tout lui revient d'un coup. Les martini dry, au shaker pas à la cuillère, comme dans les meilleurs James Bond, la blonde qui avait une tchatche pas possible et avec ça cul et chemise avec le barman qui en rajoutait, chaque fois qu'elle claquait des doigts. Il prenait en pleine poire la fumée de son cigare. Depuis qu'ils avaient récupéré Cuba dans les années 2020 c'était la seule herbe autorisée sur tout le territoire étasunien. Ça et le coke. Pour le reste, tout était contingenté. Chaque individu avait droit à deux steacks de tofu par semaine, la matière grasse tu peux marquer dommage, ou alors l'huile de palme des territoires oubliés (là où on envoyait les droits communs après leur avoir fait faire un stage d'agronomie pour qu'ils en sachent juste assez pour cultiver les palmiers). Il y avait bien longtemps que les bovins, caprins et autres mammifères comestibles avaient disparu, quant aux fruits et légumes auxquels on était astreints autrefois jusqu'à cinq fois par jour, on devait désormais les rationner à cinq fois par mois. Évidemment, on complétait par des piqûres de vitamines et de régénérants. Le mec qui avait fait ce film de SF autrefois, Soleil Vert, tu vois, il avait pas eu vraiment tort. Sauf que la situation actuelle était bien pire. Le gouvernement mondial avait décidé de réduire la population à sa plus simple expression. Interdiction de dépasser l'âge de la retraite, désormais imposée à cinquante-cinq ans – une certaine Martine la Plume avait remis les fours crématoires en activité quand elle était devenue présidente planétaire – et surtout, interdiction de se reproduire. Au cours des dix dernières années la natalité avait chuté de 70 %. Ainsi, et grâce aux hectolitres de bromure déversés dans les dernières réserves buvables, on enregistrait une baisse intéressante de la population mondiale. Évidemment, les dirigeants de la planète, ceux qu'on appelait les happy fews ou deux cents familles, avaient besoin de leurs esclaves domestiques en permanence. Comme il était plus économique de les fabriquer plutôt que de les cloner on chargeait régulièrement quelques étalons et quelques pondeuses de faire le travail. Afin que leur production reste docile et que soient évités les pénibles soulèvements et révoltes qui avaient causé tant de dommages les siècles précédents, il fallait que leur QI soit limité, ainsi les reproducteurs ne pouvaient se trouver que sur le territoire américain. C'est pourquoi Tonio avait été choisi, le soir précédent, par une chef pondeuse, pour collaborer à la fabrication du prochain contingent d'esclaves. Pour ce puceau de trente-cinq ans, c'était la chance de sa vie de tirer un coup, enfin ! À cause de son penchant pour l'alcool, clairement il avait échoué… la blonde avait été formelle : afin de pouvoir accomplir sa mission malgré les dégâts causés par le bromure, il était supposé infiltrer les milieux interlopes pour se procurer la fameuse petite pilule bleue… sans elle, coitus interruptus avant même d'avoir commencé, sans elle pas de transport possible !
j'aime bien cette histoire de SF ;-)
· Il y a presque 3 ans ·Maud Garnier
Merci Maud, bien contente qu'elle vous ait plu.
· Il y a presque 3 ans ·faustine
Un coup de cœur pour ce texte dense, bravo!
· Il y a presque 3 ans ·Christophe Hulé
On m'a implanté une puce identitaire pour que je me souvienne de mon nom.
· Il y a presque 3 ans ·Pour les mères pondeuses, je suis volontaire.
Christophe Hulé
Merci Christophe !
· Il y a presque 3 ans ·faustine
Et ça fonctionne ? (la puce), Ok je préviens les nanas pour la prochaine ponte !
· Il y a presque 3 ans ·faustine