New York, I love you, but tu me fais toucher le fond

Bicouse Dada

Au pied d'la statue, j'attends le bateau. Chais pas c'que j'fous là. P'is, c'est long d'attendre.

Mardi 9 avril 2002, deuxième jour des vacances d'avril, enfin... de Pâques. Suis là, assise au pied de la statue de la Liberté (oui oui, j'ai bien dit THE Statue of la Liberté) et j'balance mes jambes en faisant taper mes talons contre le bloc de béton, signe... d'ennui.

 P'tain, mais qu'est-ce que j'fous là, moi ?
J'la regarde. Oueh, d'accord, elle est pas mal, mais y a pas d'quoi en faire tout'une histoire. Z'ont pas vu notre Tour Eiffel les Amerloques ou quoi ? Elle est minus leur statue. Et qu'est-ce qu'è fout avec son bouquin à la main et sa bougie tout là-haut ? Tu passes ton bac ? Mais pourtant, vu ta tronche, t'as au moins 40 ans, non ? Elle est sapée comme Cléopâtre et elle a pas l'air nouille avec sa couronne. T'as perdu un pari ? Moueh. C'est une statue quoi. Au Louvre, y'en a des milliers des statues. J'les ai vues l'an dernier quand, avec ma tante, on est allées voir la Joconde.
En plus, c'est grâce à qui qu'y l'ont, c'te statue, les Amerloques ? Beh oueh, beh oueh, c'est grâce à nous. Vive la France ! Oueh, c'est la France qui l'a offert la statue, j'l'ai appris en histoire au collège avec Dubarry. Moi, les copains, y m'ont offert un voyage à Nou York... beh... j'aurais préféré une statue. Chai pas de quoi... mais une statue.

 J'ai fêté mes 20 ans le 23 septembre de l'an passé et z'imaginez pas ma tronche quand j'ai ouvert le paquet : un guide des États-Unis pour les touristes !
Au début, j'ai pas compris, j'croyais c'était pour qu'on y aille un jour avec la bande, aux Staytes. P'is quand j'ai vu les billets cachés dans le guide, Sabri, elle a dit : « Beh oueh, comme t'as dit l'autre jour que c'était ton rêve d'aller à Nou York, alors... » P'tain, mais non c'était pas mon rêve, j'ai dit ça parce que l'autre jour, quand les potes de Ben y z'ont raconté qu'y revenaient de Nou York, Sabri, elle a dit : « Trop cool ! Moi, c'est mon rêve d'aller à New York. » Et, comme j'ai vu comment Ben il l'a reluquée ensuite, comme si une fille qui rêve d'aller à Nou York ça fait genre quoi, et que comme Ben y m'plait bien, j'ai rien trouvé de mieux que d'rajouter : « Moi aussi, comme je rêve trop d'aller un jour à Nou York ! » Et comme j'voulais jouer à fond la carte de la fille hyper cool qui kiffe les grands trips pour l'impressionner le Ben, j'ai dit un truc du genre : « Carrément. Trop d'la balle d'aller un jour à Nou York. Imagine le délire !»
Même qu'après qu'j'ai dit ça, je matais sa réaction au Ben et, dans ma tête, y avait un truc qui f'sait qu'j'étais sur une scène et que j'criais : « Un jour, j'irais à New York avec toi, na nana na na nana déconner, na nana na na nana ça va d'soi, nana la vie partagée, nana yeah … », devant une foule en délire et en montrant Ben du doigt, pour faire comme si. 

 En même temps, z'étaient gênés les copains parce qu'y z'avaient tout payé, le guide et les billets, et z'avaient pas prévu le coup du Ben Laden. Y m'ont dit : « T'iras quand même, hein ? On t'a pris un billet open pour que tu attendes les vacances d'avril, quand il fera moins moche pour y aller. » Et Nico, il a dit : « D'ici là, z'auront tout reconstruit, l'ambiance sera plus fun ! »
Beh m'y voilà, j'y suis à Nou York et non, z'ont rien r'construit.
Du coup, quand je lis les trucs sur mon guide où y disent : « Autour des deux tours jumelles qui se détachent de par leur taille immense, vous pouvez admirer le quartier du World Trade Center... » Beh, je les cherche encore leurs putains de tours. Comment vous voulez que je le trouve le Worde Trède Centeur, maint'nant qu'y a plus les tours ? Merci les copains !

 En plus, trop déçue, j'croyais que le Broukline Bridge, c'était le grand pont des Amerloques, ç'ui qu'est rouge avec les grands piquets reliés par les câbles, mais non, et heureus'ment z'ont mis la photo sur le guide, sinon, j'aurais pas su qu'c'était ç'ui-là, le Broukline Bridge. Pour être honnête, chui même pas sûre que c'était l'bon pont que j'ai vu, mais j'dirais aux copains que j'l'ai vu, le Broukline Bridge, sinon y vont être déçus d'm'avoir payé l'billet. J'ai fait des photos de tous les ponts qu'j'ai vus, y aura bien le bon dans le lot.

 Et ma mère... p'tain, ma mère qui m'dit : « Et surtout, j'espère que ça te plaira. » Oueh, sous-entendu : « J'espère que ça te plaira parc'qu'au prix qu'ça nous a coûté, y a plutôt intérêt que ça te plaise. » Parce que mes vieux, z'ont participé pour acheter l'billet, beh oueh, sinon, les potes y pouvaient pas payer ça à eux tout seuls. Et mes vieux, sont pétés de tunes, mais même filer 200 euros pour me faire un cadeau pour mes 20 ans, tu sens qu'ça leur a fait mal aux dents quoi. Radins va ! Et y a même mon oncle Dédé et ma tante Monique qu'ont participé, mais bon eux, z'ont tellement de pognon que ça leur faisait rien de donner beaucoup.

 T'eh, vais m'faire un p'tit tour de la statue en hurlant la Marseillaise, juste pour faire chier le monde et leur rappeler que, c'te statue, c'est grâce à la France qu'y l'ont.

 Bon, finalement, j'le fais le tour, mais j'assume pas trop, alors j'la chante pas si fort que je voulais, la Marseillaise. Les gens, y me r'gardent bizarre. Je sens que je fais louche dans le décor, mais ça, j'ai l'habitude.
Beh oueh, c'est grâce à nous, les frenchy, qu'elle est là, la statue. Un point c'est tout. 

 P'is, qu'est-ce qu'il a ç'ui-là à me zyeuter comme ça ? P'tain v'là qui vient vers moi. Qu'est-c'qu'y fout avec sa canette ? Pourquoi il m'la tend vers moi ? J'en veux pas d'ta canette. Vas-y, chais pas causer l'anglais moi, j'vais pas t'comprendre mec, va voir ailleurs, on est 50 ici, pourquoi moi ? T'ai rien fait.
Qu'est-c'qu'y dit ? P'tain, j'comprends pas. Il dit un truc genre : « Plize. L'èlp mi, plize. »
J'comprends « plize », mais j'comprends pas c'qui veut. « Non merci » j'y dis, j'en veux pas d'ta canette. « No, sin kyou. Dou you capiche ? Allez, m'en fout d'ta canette, tu veux quoi ? M'filer à boire ?  Passe ta route ! »
J'ai rien compris à ce qu'y m'a dit le gars. J'y ai montré ma bouteille pour lui faire voir qu'j'avais à boire, chai pas pourquoi voulait m'donner sa cannette lui. Sont drôles les amerloques ! C'est pas un Parigot qu'y te proposerait à boire comme ça !

 Bon, j'l'ai vu la statue. Ça, c'est fait. Chui obligée d'attendre le bateau parce que j'croyais qu'elle était dans la ville, c'te statue, moi, mais non, z'ont pas trouvé mieux que d'la foutre sur une île pour faire payer les touristes un peu plus avec le ticket du bateau. Pas con les mecs ! Et v'là, c'est qui qui paye ? C'est Bibi ! Alors j'ai pas pris le casque qui te sert de guide sinon, c'était encore plus cher, pis j'aurais rien compris d'ailleurs. Du coup, j'ai lu c'qu'était marqué dans le guide, mais j'ai pas pu voir les trucs qu'y disaient par rapport aux tours, parce que chai même pas dans quel' direction è z'étaient.

 4 jours, p'tain, 4 jours toute seule à Nou York. Beh oueh, les potes, z'ont rajouté après m'avoir offert le package : « On voudrait trop t'accompagner, mais là, on s'est dit que c'était ton tour ! Profite ! »
Parce qu'y en a qu'aurait adoré partir à ma place ? Tout' seule pendant 4 jours à 10 000 bornes de la France ? Vouliez vous débarrasser de moi ou quoi ? C'est la loose d'y aller tout' seule. P'is, j'aime bien Paname moi, pourquoi j'aurais voulu aller à Nou York ?

 4 jours, p'tain, j'en ai déjà fait 2 et j'ai déjà tout vu. T'eh, j'vais écrire dans le guide à la suite du truc sur la statue : « New York, I love you, but tu me fais toucher le fond... New York, I love you, but tu me fais péter... ça s'écrit comment « plon » ? Tu me fais péter les plons. » Chui une poète, moi. Ça f'ra marrer le prochain qui lira l'article.
Vais vraiment m'faire chier jusqu'à jeudi soir. Teh, j'vais m'jetter dans la mer. Mais non, j'déconne. T'imagines ?

 Hier, me suis pétée la honte de ma vie. Suis allée voir la femme de l'auberge où je pionce pour savoir comment j'pouvais aller à Tayme S'couère. J'avais préparé ma phrase et tout, parce que c'est pas tout l'monde qu'a eu la mère Labit en 5ème au collège de Cergy. Et quand chui allée la voir, j'ai dit un truc genre : « Hello. May nèyme is Jessica, euh... beut may friends sèy « Jess ». Ay ame... euh... p'tain c'est quoi déjà ? Ay ame touanti yirs. »
La femme, elle s'est marrée.
Après, d'un coup, j'me suis dit : « P'tain, mais qu'est ce que j'y raconte, moi, là ? », alors j'ai dit : « Euh... tou go tou Tayme S'couère, plize ? »
Elle a eu l'air d'avoir compris, même si chai pas c'qui m'a pris de lui dire comment j'm'appelais, pis elle s'en tape de mon âge. C'est parce que chai pas dire aut'chose, alors j'ai fait comme c'est venu dans mon cerveau.
Après, la femme, è m'a répondu un truc qu'j'ai rien compris.
J'étais là : « Quoi, qu'est c'qu'è m'dit ? J'ai compris Brouklyn Bridge. » P'tain, v'là que j'ai compris l'english, moi. Fallait que j'y réponde, alors j'ai dit : « Euh, Brouklyn Bridge ? Yessss, euh, yes yes. So marvelousse... euh... so biotifoul ! »
Elle s'est encore plus marrée.
Après, j'ai redit :« Euh, for go tou Tayme S'couère ? métro ? bus ? Comme ça ? » J'y ai montré en bougeant les doigts comme si c'était « marcher ». Elle a dit un truc et j'ai compris « métro ouane ». « Oh là, je t'understand pas trop m'dame. Vas-y molo. Metro ouane, ok ! »
Après, j'ai vu sur le plan et j'ai tout pigé.
P'tain, comme on progresse trop vite en anglais quand t'es dans le pays. T'arrêtes l'école, tu viens six mois à Nou York et t'es bilingue mec. Sérieux.

 Après, quand chuis sortie du métro, j'étais paumée.
J'ai r'gardé le guide pour voir c'qu'y avait à voir. Oueh beh, c'était marqué qu'y fallait venir quand c'est la nuit pour voir les lumières, mais moi, j'allais pas attendre la nuit, sinon j'allais pas r'trouver ma route pour aller pioncer à l'auberge après. Mais, m'en fous, j'dirais aux copains que j'l'ai vu et qu'j'ai pas de photos parce que c'était la nuit, et que mon appareil y prend pas les photos la nuit.
Y avait vachement de monde quand même à Tayme S'couère, on aurait dit Paris quand c'est la fête de la révolution en juillet avec le président sur les Champs Élysées. Ça m'a foutu les j'tons, j'ai cru qu'j'allais m'perdre, moi, dans c'truc là.
Après, j'ai pété un délire dans la rue, j'me la suis jouée à la Nina Hagen en braillant : « Nou York, Nou York, Yeah... It's going hop hop hop hop hop, Strayte up tou ze top hop hop hop hop... » C'était trop délire.Et dans le guide, z'ont marqué qui fallait voir les publicités et les lumières. Beh, z'y étaient les lumières. Pas besoin d'attendre la nuit. Pas compris l'bordel, mais me suis bien marrée. L'est nul ce guide en fait.
En plus, m'ont offert un guide des États-Unis, les copains, alors que chui qu'à Nou York. Z'auraient pu m'acheter un guide que de Nou York, ça suffisait.

 Oh p'tain, c'est ma journée moi, v'là un aut' gars qui vient pour me voir. Sappé comme un hippie le type, avec ses ch'veux longs. Mate l'engin ! Sont drôles les nouyorkais. Sabri, è m'a dit :  « Si y'a un mec qui vient et qui te fait chier, tu fais comme ça avec tes doigts et tu lui dis : « Pisse mec ! » Genre, ça veut dire : « Vas-y, va pisser, passe ta route !» Teh, j'vais y faire le coup du « pisse mec » pour voir, à lui, parce que chui pas d'humeur à taper la causette today. Comment c'était, les doigts, déjà ? Avec le grand et çui d'à côté levés et tous les autres en bas, j'crois, ah oueh, comme un V. « Pisse mec !» Wouah, j'y ai cloué le bec. Pas eu l'temps de dégainer l'autre. Y s'marre. « No. Mayqu' pice !», qui m'dit avec ses doigts en V lui aussi. Ça a marché, y passe sa route. Comme j'ai assuré.
P'tain faudra que j'y raconte cel'-là à Sabri. « Mayque pice », qu'y m'a dit, avec l'accent.

 Et j'ai vu aussi l'Empire Stayte Beulding hier. Mais c'était comme les immeubles de Paris, enfin, en plus grand. Fallait payer pour monter en haut, mais moi, j'ai pas voulu, j'avais pas assez.
Après, j'étais déçue parce que c'était à Central Peurk que j'voulais aller pour voir le café de « Friends ». T'imagines, t'y vas et tu tombes sur Chindleur et Joé. La class' quoi. Mais chavais pas où c'était, alors tant pis.

 En tout cas, sont sympas mes potes quand même, parce que ça a du leur coûter une blinde de m'payer l'billet. T'eh, y'a l'bateau qui s'amène, va falloir que j'bouge. C'pas trop tôt.

 C'qu'est sûr, c'est qu'un jour, j'y r'viendrais à Nou York, mais c'te fois-là, cherais avec Ben, j'y montrerai la statue, on ira à Brodoué, on montera en haut de l'Empire Stayte Beulding pour voir la vue et p'is, on marchera toute la nuit dans la rue à Tayme S'couère avec mon bras sous le sien, en chantant comme des abrutis le truc des films : «  Start naning ze nyouze, Ay'me living touday, Ay ouant tou bi eu na na it, Nou York, Nou York, And if I can mèyke it zère, na nana it èniouère, It's up tou you , Nou York, Nou ou Yoooooork... » 

 

                                                Zi End

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