Nos grand-mères
La Louve Et Le Sphinx
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Dans mon imaginaire, mon aïeule surclasse mes parents. Je la mets dans la catégorie des images d'Épinal des mamies gâteau; avant que le gâtisme ne vienne la transformer en légume.
Ainsi, la grand-mère se devait de revêtir ses plus beaux atours. La cuisine-salon tapissée de papier-peint de biches au fond des bois, le pendant prolétaire de la toile de Jouy, était entourée de tout un bric-à-brac. Sur la cheminée se concurrençaient l'assiette en cuivre ramenée par mon oncle de la guerre d'Algérie et dont je n'ai jamais compris si on pouvait vraiment y manger et la cartouche sculptée par le trisaïeul dans une tranchée de Verdun. Le soir, le dentier trempait dans un verre à dents. Lorsque le pain manquait, je me proposais d'aller à la boulangerie moyennant un franc de pourboire. J'étais persuadé que dans sa jeunesse, tout était à l'avenant des films de Fernandel qu'elle aimait regarder, en noir et blanc. J'avais beau faire des efforts, je ne parvenais pas à faire le rapprochement entre la photo de mariage et cette vieille dame rabougrie avec un poil sous le menton. Et je n'arrivais pas non plus à comprendre quand elle me racontait qu'ouvrière, elle gagnait cent francs par mois, à peine de quoi s'acheter le Raydeen que j'avais vu dans le catalogue de Noël. Quant au poste de radio, il restait un grand mystère avec des noms de villes improbables : Hambourg, Glasgow, Moscou.
Et comme elle était gentille, j'en profitais. Je m'amusais à cacher ses lunettes. Je l'avais enfermée tout un après-midi dans un placard pour dévaliser son freezer de tous les Danino. Mais elle n'était pas rancunière. Le matin, je la rejoignais dans son lit qui se transformait alors en trampoline, en train fantôme ou en champ de bataille dont elle était la première victime, selon mes humeurs. Le soir, j'avais le droit de jouer avec les gamins de l'impasse bien après que le film du dimanche soir soit terminé. Et quand je l'accompagnais pour faire les courses, j'étais certain qu'elle glisserait au fond du sac un pistolet de cow-boy ou une voiture Majorette.
Cette grand-mère, c'était la maman de ma maman. L'autre, je ne l'ai retrouvée qu'il n'y a huit ans, plus de vingt ans qu'après que mon papa ait coupé les ponts. Avec elle, c'était trop tard. Mes cousins avaient pris la place et j'étais trop vieux pour sauter sur ses genoux.
Mémère Louise a terminé les cinq dernières années de sa vie allongée dans l'antichambre de la mort de l'hôpital de Fourmies. Quand mon papa et ma maman en parlaient en se foutant de sa fiole, seul le fait de ne les avoir pas encore tués symboliquement m'empêchait de leur coller mon poing sur leur gueule.
J'ai de l'instinct et il est rare que j'en fasse bon usage ; je suis trop accroché à la matérialité. Pourtant, une semaine avant sa mort, je l'ai écouté. Quand je suis allé lui rendre une dernière visite, nous nous sommes quittés en pleurs après que je le lui ai rendu pendant un quart d'heure tous les baisers qu'elle, elle avait su me donner.
À chaque fois que j'écoute No Surprises de Radiohead, je chiale, peu importe où et avec qui je me trouve ; j'en ai rien à foutre. C'est le titre que j'écoutais dans mon autoradio quand j'ai appris qu'elle n'était plus.
PetiSaintLeu
Très bien les jumeaux! CDC
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri
Un texte qui tombe à pic dans mon coeur, je viens tout juste de dire adieu à la mienne et je t'assure, pas possible de l'égaler non plus;-). Leur amour a su nous porter, merci à elles. Et bravo pour ton texte bien sur, très émouvant.
· Il y a plus de 10 ans ·Mélanie Courtois
Bonjour Mélanie. Je viens de coller mon texte à la suite et en miroir. Bonne lecture et courage. Christophe
· Il y a plus de 10 ans ·La Louve Et Le Sphinx
J'aime tout autant la suite plus mordante.
· Il y a plus de 10 ans ·Mélanie Courtois
Et merci pour le courage.
· Il y a plus de 10 ans ·Mélanie Courtois
He oui, là, c'est plus mon style ;)
· Il y a plus de 10 ans ·petisaintleu