Notaires inconnus

petisaintleu

J'ai découvert une superbe émission ce soir : Notaires inconnus. En effet, il était temps de rendre hommage à ces nobles personnes que l'on imagine souvent d'un mortel ennui, notamment lorsque nous sommes invités dans leur antre à nous déchirer pour le partage d'un héritage.

Ce qui m'a d'abord étonné, c'est le fait de choisir un spécimen installé sur l'île d'Ouessant. Dès les premiers instants du reportage, j'ai compris. Ce pays du bout du monde est surnommé l'île aux Femmes. Au regard torve de l'officier ministériel sur Nicole Ferroni, j'ai tout de suite saisi que, pour rien au monde, il n'aurait accepté de faire profession sur l'île de Ré et qu'il n'était pas du genre à aller se faire bronzer la rondelle à Mykonos. Fort heureusement, l'émission avait été filmée au mois d'octobre, avant le coronavirus. Ses propos postillonnants s'accordaient à l'unisson avec le crachin atlantique.

Il y avait eu comme un malentendu pour Jean-Claude, notre héros. Depuis belle lurette, les hommes avaient raccroché leur ciré et délaissé les brumes de Terre-Neuve. Par tradition, ils avaient gardé une jalousie certaine envers leur morue. Le maître n'eut donc guère l'occasion de pousser bien loin son étude. Il se fit modeste et n'eut pas d'autre choix que d'avouer qu'il n'avait pas pu obtenir le moindre consentement.

À défaut de toucher des honoraires et de tâter des blancs-seings, il se contenta de rêver des belles par procuration. Lui, pourtant très à cheval sur les formalités, réalisa que, faute de recueillir ne serait-ce qu'une seule doléance, il fût plus prudent de faire preuve de plus d'authenticité et de laisser tomber toutes les procédures. Il signa alors pour un tout autre métier, celui de greffier des analphabètes, écrivain public.

Il rédigea les actes les plus charmants, apportant son sceau aux amours naissantes. Parfois, pour prendre le temps de réfléchir aux requêtes des amants, il procédait à des enregistrements sur un vieux magnétophone. Il se sentait l'obligation de rendre à ses justiciables tout le fruit de leurs transactions passionnées.

Avec le temps, il perdit le monopole de ses privilèges. Il n'en fit pas les frais, bien au contraire. Jour après jour, il prit goût à ces contrats, se délectant de ces minutes où, derrière la pudeur, couvait le feu de la passion. De sa plume, il permit de beaux mariages.

Sous leur air fruste, les îliens ont des cœurs purs et de bonnes âmes. Il faut juste leur laisser le temps de vous adopter, car ils craignent toujours d'être pris dans les chalands de l'hypocrisie et des faux-semblants qui caractérisent les terriens. Quand on détecta chez Jean-Claude un cancer, que le vent se tut et que l'on entendit ses cris de douleur jusqu'au phare du Stiff, ils firent montre de la même abnégation et de la même solidarité que s'il avait été l'un des leurs en perdition au large du Cap-Saint-Georges.

Pendant les six mois que durèrent ses souffrances, il n'y eut pas une nuit sans qu'ils ne se relaient par quart à son chevet. Les dimanches, après la messe, les bigotes poussaient jusqu'à La croix de Kervasdoué d'où montaient des chants en breton dont les paroles rimaient avec le bruit du ressac.

Jean-Claude fait maintenant partie du paysage. Il a laissé tomber sa cravate de notaire pour arpenter les landes, affublé d'un caban qui fait qu'on le surnomme désormais L'Amiral. Il se dit même que la veuve Kresaouët ne serait pas insensible à ses nombreuses visites.

N'oubliez pas que derrière ces bureaux poussiéreux et ces montagnes de dossiers, derrière ces gratte-papiers, ce sont des hommes qui vous accueillent.

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