N'oublie jamais

stockholmsyndrom

Il y a des cœurs intarissables qui ne battrons jamais au rythme des tambours, ceux-là même qui remplissent les pages blanches, et puis les autres, les oubliés, ceux dont le battement a céssé. Pour les premiers, ceux qui ont survécu à leurs souffrances pour connaître le repos des braves, on a plaqué des noms aux angles de rues et les lauriers ornent leurs tombes. Les autres ont disparu dans l'indifférence, on a creusé un trou pour assouvir le féroce appétit de la terre. 
Les saisons passent. 
L'herbe repousse. 
C'est ce qu'en retiendra l'histoire, des listes de noms gravés dans le marbre.
Je suis tombé il y a quelques jours sur une vidéo sur Internet. 
Le protagoniste, un célèbre visage du mouvement des gilets jaunes. 
Les gilets jaunes, bien que cela puisse être dommageable de les réduire à ce simple symbole, sont nés des braises de la lutte sociale, et bien qu'au départ le mouvement soit légitime aux yeux de d'une majorité, il s'est petit à petit cassé en plusieurs morceaux que les influenceurs d'opinion ont soigneusement isolé pour faire oublier à l'homme actif par la pensée que ce vieux pays forme un nous. 
Nous, les êtres humains embarqués dans la folie capitaliste occidentale, avons nous aussi droit de nous soulever pour une cause, un sentiment, une injustice, ce qui nous prouve, par définition, que nous sommes encore des êtres humains, des êtres humains debouts, sur un navire commun, que l'on batte le pavé le samedi dans les rues grises où que l'on s'indigne du chaos, que l'on soit choqué par les yeux qui crèvent où les vitrines qui se brisent, il faut toujours se rappeler que nous sommes des êtres humains, que sans empathie pour ses semblables, sans un sentiment d'équité et sans lutte pour l'obtenir, nous deviendrions inhumains. 
Il existe des gens inhumains, ceux-là traversent les âges et les cerveaux, recouvrent de noirceur l'âme lumineuse qui nous est tous offerte à la naissance, par orgueil où bien par avarice, déciment des populations au nom de quelconques idéaux, clament le nous pour un seul homme, pour qu'il ne reste qu'un seul homme, massacrent des familles entières, détruisent des vies qu'ils jugent sans prix, effacent des générations et créer de sanglantes illusions.
Ces gens-là ont existé, existent, et existeront, tant qu'il y aura le terreau pour qu'ils y viennent prendre racine, et viendront vous ôter la liberté si elle se trouve sur leur chemin.
Ma liberté ne s'est jamais fait aspirer. On la malmène, on la piétine, elle se tend mais ne rompt jamais. On la menace, on la méprise, on la plie mais elle se relève toujours. Elle est plus souple et résistante que certaines. Plus étriquée, plus limitée que d'autres. Mais elle est là, à mes côtés, et c'est avec, aussi pour elle, que je me dois de continuer à résister, pour que la mienne, celle des autres, devienne enfin LA liberté. C'est bien de ça qu'il est question, de ça et de rien d'autre au monde, du véritable NOUS qui peuplons celui ci.

Je suis tombé sur cette vidéo. 
On vous la suggère aisément, tribune aux tribunes, syndrome de notre époque, celle du buzz, du putaclic. Sur un fond de diffusion clandestine, on y parlait d'asile politique. On y citait la convention de Genève. Le fait même de mourir. Mourir pour ces convictions. Une idée respectable pour tout être humain sur cette planète. Mourir pour ses convictions. Les mots aussi dépendent de la loi de la gravité.
Sur le bureau où trône mon ordinateur, un livre rouge était en train de somnoler, avec en lui, de pages blanches en pages blanches, toutes les couleurs des oubliés. L'archipel Du Goulag. Alexandre Soljenitsyne.
J'ai pensé à mon grand-père, à mon nom gravé dans le marbre. Il avait vingt-cinq ans, un âge où l'on embrasse la liberté, un âge où l'on peut se faire broyer par l'inhumanité.
On ne choisit pas son époque. Et pas toujours la liberté. Il fait parti de ces millions de gens qui l'ont vu un jour s'envoler, ici même, sur notre navire encore à flot. Un oublié parmi tant d'autres, et dieu sait que le marbre est froid.

Qui est cet homme sur mon écran? Pourquoi donc est il si visible? Est-il légitime quand il parle en disant Nous? Et pourquoi se présente t'il seul? Pourquoi menace t'il de quitter le navire? Est ce que quelqu'un le lui en empêche?

Une larme a glissé sur ma peau.
Je suis allé me coucher dans le silence de la nuit.
Un sentiment de désespoir est venu fendre mon cœur en deux.
Et puis la lassitude est venue en recouvrir de sa couche les débris.
Et j'ai enfin pu dormir.
J'ai pu dormir.
Pour oublier.

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