Nuit
Cedric Givaudan
Trois mois que je la connais, trois mois que je suis tombé sous son charme. Son rire, son parfum de vanille, l'espace qu'elle remplit de sa présence, son esprit affûté, sa repartie… j'aime tout en elle.
J'ai osé, elle a dit oui, mais…
Ce soir, je me suis donc mis sur mon trente-et-un. J'ai l'air d'un adolescent qui se rend à son premier bal. Préparé, dans mon plus beau costume, ma plus belle chemise, parfumé. J'ai même des sous-vêtements neufs. Je suis paré à toute éventualité. J'avance à tâtons dans ce long couloir que je ne connais pas et qui mène à son appartement. À ma grande surprise, elle a accepté ma proposition de rendez-vous, à la première condition qu'il se passe chez elle. C'est bien la première fois qu'une femme me propose une telle chose d'ailleurs. Sans doute a-t-elle besoin d'un environnement rassurant. J'y suis, le doigt levé, prêt à actionner le bouton de la sonnette. J'ai le cœur qui bat à deux cent, le souffle un peu court après avoir monté les quelques marches qui mènent à son logement. Je n'ai pas le temps d'appuyer qu'elle m'ouvre, comme si elle avait senti ma présence.
Sa voix est chantante, je ressens le plaisir qu'elle a à m'accueillir, elle porte son sourire jusqu'à mes oreilles. Comme elle est belle.
- Come stai ? Je t'attendais.
– Je vais bien et toi ? Ravi que tu aies accepté que l'on se voie ce soir.
– Je te débarrasse ?
Je lui tends mon manteau, et le bouquet de roses qu'elle s'empresse d'aller mettre dans un vase.
- Merci pour les roses, leur parfum est magnifique.
– Pas tant que le tien.
– Affascinante.
Je ne sais pas ce que cela veut dire, mais à son intonation et à son rire, je dirais dragueur, ou mieux, charmeur… je ne maîtrise pas l'italien, mais ô combien j'adore la musique que cette langue donne à sa voix. Le charmeur est charmé.
La voilà qui revient et qui s'avance vers moi.
– Tu es toujours d'accord ?
– Évidemment, sinon je ne serais pas venu.
– Alors tourne-toi, que je te prépare.
Je m'exécute, non sans quelque appréhension. Je sens ses mains douces effleurer ma peau, mon visage. J'aurais envie d'embrasser ses doigts qui passent à portée de ma bouche. Je me retiens.
Elle éteint la lumière et m'emmène vers une autre pièce. Dans le noir total, elle m'avance une chaise, me propose de m'y installer, et j'entends le bruit d'une bouteille qu'on débouche. Je m'assieds, maladroit. Le vertige me prend un peu, je me sens angoissé désormais. L'obscurité la plus totale est une nouveauté pour moi, une drôle d'idée qui a dû germer dans un cerveau d'italienne bien alambiqué.
- Chianti ? Brunello di Montalcino ? Ou peut-être tu veux un apéritif sans alcool ?
– Va pour le Brunello. C'est un vin de chez toi je suppose ?
– Si, la Toscane, ma maison, mes parents. C'est un vin de chez moi, tu vas aimer je suis sûre.
Elle verse le liquide dans un verre, qu'elle avance vers moi. J'en goûte le bouquet qui embaume l'atmosphère de son appartement. Elle me frôle la main, et y glisse le récipient. Je me sens plus détendu quand elle me parle. Elle me rassure, elle a l'air si à l'aise par rapport à moi. Je me sens gauche, d'autant plus qu'il va falloir boire, manger, et que cette absence de lumière est un handicap qui me semble difficile à surmonter.
- Grazie ! Merci d'être venu quand même. Tu es le premier à accepter.
– Je suis prêt à beaucoup de choses par am…
Deux lèvres douces se posent sur les miennes, elle ont le goût du sucre et du vin doux, le parfum de la rose et du raisin. Elles me font taire, et c'est si bon.
Le repas se poursuit. Nous rions. Je suis maladroit, porte plusieurs fois une fourchette vide à ma bouche, et les cliquetis de mes gestes peu assurés la font rire. Je crois que nous venons à bout de ce délicieux vin de Sienne et je sens le rouge me monter au visage. Je suis aussi enivré qu'elle.
– Un dessert ?
– Avec plaisir.
Sa main se pose sur la mienne, m'intimant l'ordre de me lever et de la suivre, en cette nuit intérieure qui par bonheur n'en finis pas. J'obtempère, sans crainte, je suis le guide. Une fois debout, après quelques pas à peine, elle plaque ma paume contre ses fesses, froissant le tissu d'une jupe que j'avais vue fleurie, et qui allait être de trop. Comme en laisse, je la suis vers une autre pièce, le pas toujours aussi malhabile. La porte grinçe légèrement, puis le son de ressorts m'arrache un sourire niais.
Elle s'arrête sans me prévenir, et ainsi qu'elle semblait le souhaiter, je heurte sa « croupe ». Je la sens se pencher et donc ma main quitter le tissu pour un peu de peau nue. Elle effleure mon bassin, je me raidis sous ses mouvements. Je perçois son corps s'éloigner, et ses mains déboutonner mon pantalon. Avec douceur, elle enfile un préservatif sur ma tige, et vient s'y empaler dans un silence juste rompu par son feulement.
Je découvre son corps contre le mien du bout des doigts, je hume son odeur, j'écoute nos gémissements, je goûte sa peau salée jusqu'au petit matin. J'établis une carte mentale de chaque centimètre carré de sa peau que j'ai exploré, pour pouvoir y revenir sans la voir, sans l'aide de ses mains expertes. J'imagine nu ce corps que je n'avais jamais vu que vêtu. Et c'est beau, c'est immense d'émotions. Je découvre l'Amérique et les Indes, je m'émerveille chaque seconde de la splendeur du monde. Nous nous écroulons de fatigue des heures plus tard. Je ne sais plus si c'ést la lune ou le soleil qui accompagne mon départ, imminent.
– Grazie, grazie mille Antonio
– Prego. Le plaisir a été sans limite pour moi.
– Maintenant, il faut nous quitter. Nous nous retrouverons demain au travail. Il faut attendre un peu, laisser mûrir ce qui vient de commencer. Et cent fois recommencer. Mais maintenant tu sais. Tu sais ce que je vois de toi, comme je t'imagine. Toi, tu me vois; moi, je ne te verrai jamais à ta manière. Ma canne blanche ne me quittera pas demain, alors ici, quand tu viendras, je te banderai les yeux autant de fois que nécessaire. Nous serons égaux quelques heures. Si tu le veux bien…
Je me rhabillai en silence, troublé par cette proposition d'amour aveugle. Jamais une expression n'aura été si lourde de sens.
– À demain alors, avec plaisir.
Je mis autant de chaleur que possible dans ces derniers mots, cherchant son visage de mes phalanges. Ce fut sa main qui m'arrêtât. Plus à l'aise dans l'obscurité, elle vint chercher mes lèvres pour un doux baiser d'au-revoir, juste avant de dénouer le bandeau qui couvrait mes yeux, et de me libérer de ma provisoire cécité.
Merci beaucoup !
· Il y a presque 10 ans ·Cedric Givaudan
Merci !
· Il y a presque 10 ans ·Cedric Givaudan
Ce texte est magnifique. J'ai beaucoup aimé.
· Il y a presque 10 ans ·douxpapillon