Ode'jective à ma Lolo

Ma Lolo, c'est son diminutif.
Une jeune fille pas comme les autres et ce, depuis sa naissance.

Elle a su parler très tôt. Elle a su dessiner très tôt.
Une véritable tornade également. Pas de place à l'ennui, pas de place à l'oisiveté. Un cœur pur. Pas une once de méchanceté.

Mais les enfants grandissent et changent. La vie les fait changer. Les autres les font changer. Et il est bien connu que le pire ennemi de l'Homme, c'est l'Homme.
Et ma Lolo, ça on peut le dire, elle en a fait les frais, dissipant à longueur d'années son innocence, meurtrissant chaque jour un peu plus son coeur et son esprit. 

Dès la primaire, elle a souffert de se sentir différente.
"Maman, pourquoi les autres ne veulent pas de moi ?"
Cruelle question ! Cruelle de se la poser si jeune, cruelle pour ce qu'elle implique. Et que répondre à cela ? La vérité ? Non, elle est trop jeune et ne comprendrait pas. Vraiment ?
Elle est intelligente ma Lolo. Elle devine quand je ne dis pas tout. 
Je me dois de la préserver mais aussi de lui dire ce qu'il en est.
"C'est de la méchanceté gratuite ma puce ..."
"Pourquoi ils sont méchants avec moi, je ne leur fais rien de mal ?"
"Je le sais bien. C'est difficile d'arriver dans une nouvelle école et d'intégrer un groupe d'amis déjà formé depuis la maternelle. Mais sois certaine que tu vas te faire des amis. Ce n'est qu'une question de temps."
Je le pensais en toute sincérité à ce moment là. Mais les années sont passées à une vitesse folle sans que rien ne change. Un fleuve de solitude scolaire. Un fleuve furieux aussi, n'épargnant ni les paroles ni les actes. Un fleuve s'amusant à humilier les braves qui tentent de le franchir ou le contourner en les avalant, les noyant tout entier.
Mais ma Lolo est différente, je l'ai déjà dit. Une force en elle ne la quitte pas. Puis la prochaine rentrée sera au collège. Il y en aura d'autres comme elle, des laissés-pour-compte, des élèves venant d'écoles différentes de la sienne, des élèves venant de s'installer sur la commune. Autant de possibilités de se faire des amis.
J'ai évidemment tenté à plusieurs reprises d'alerter la directrice de ce que ma Lolo me confiait. 
"Elle devrait se fondre un peu plus dans la masse. "
"Elle a surtout le droit d'être ce qu'elle est et il est de votre devoir de veiller sur les élèves victimes des autres."
"Vous allez trop loin dans vos propos. Vous n'êtes pas objective."

L'objectivité ... Un concept très intéressant. Bien sur que nous ne sommes pas objectifs en tant que parents. Je ne connais pas une seule personne objective de toute façon, peu importe de quoi il s'agit. 

Mais que dire de l'entourage, des "amis" se comportant comme ces gamins d'école primaire ? Parce qu'elle a aussi fait les frais de ces personnes là. Des personnes "bien-pensantes". Je n'aime pas les bien-pensants. Ils cachent plus d'hypocrisie que les autres. Des "amis" ne s'intéressant à vous qu'à la condition que tout aille bien.  Ça, j'ai pu m'en charger moi-même...

Mais nous voilà au collège. Quelle stupeur de lire la liste des élèves de sa classe de sixième et de s'apercevoir qu'elle aura les mêmes camarades qu'en primaire. Ne font-ils pas suivre les dossiers scolaires ?

Il aura fallut attendre la cinquième, un nouveau directeur pour que le problème soit vraiment pris au sérieux et ne pas avoir peur de dire les mots : Harcèlement scolaire !
Et ce directeur ne plaisante pas avec ça. 
Quel soulagement. Ma Lolo est enfin entendue et surtout écoutée. 
Un cap radical dans sa vie. Une nouvelle classe, des amis, la bienveillance des encadrants du collège.

Mais comment ne pas avoir de séquelles de tant d'années de harcèlement ? Le ver était entré dans la pomme et on peut dire qu'il se régalait de sa chair tendre et jeune.

Et dans sa tête tourmentée d'ado, la seule façon de ne pas se laisser ronger ou pourrir par ce ver, c'est de le faire sortir.
Elle a tenté de le faire sortir à maintes reprises, striant sa peau encore et encore, s'arrangeant pour que personne ne s'en aperçoive, toujours un peu plus profondément pour tenter de l'atteindre.
Il y a bien longtemps que je n'ai plus besoin de l'accompagner dans la salle de bain. Son look rock'n'roll avec ses longues manches masquant habillement ses veines entaillées, sa peau infectée. Aussi ne m'en suis-je pas aperçue ... 

"Quand j'ai trop mal dans ma tête, me faire mal physiquement me fait oublier cette douleur insupportable"
Mais ça ne fait pas sortir le ver. Ça ne soulage que quelques minutes.
Trop impliquée pour pouvoir l'aider moi-même, trop subjective pour prendre du recul. Il faut un professionnel.
Professionnel soigneusement recommandé. Professionnel qui m'a aussi démontré que je n'étais pas si subjective que cela puisque j'avais décelé dès sa naissance sa différence.

Quelques tests plus tard et le ver-dict tombait enfin. 
Lolo est une enfant précoce. Elle possède un haut potentiel intellectuel. Ses prédispositions naturelles pour le dessin et la musique en étaient des indices parmi tant d'autres, difficiles à percevoir en tant que parents subjectifs.

Des mots sur ses maux. Tout ce dont elle avait besoin.
Elle n'est pas différente. Elle perçoit les choses avec plus de maturité et de clairvoyance que la plupart de ses camarades voilà tout.

Le ver est tombé, mort. La jolie petite pomme garde quelques cicatrices extérieures de cet intrus dévorant. Mais l'intérieur est redevenu ma Lolo. Un coeur pur, une volonté de fer, une créatrice pleine d'avenir. 

Ce ver n'est pas comme le ténia. Un médicament ne suffit pas à le faire partir. Il est beaucoup plus vicieux et se trouve partout. Pas seulement à l'école.

Ne laissez jamais ce ver entrer, même s'il inspire la plus grande pitié avec ses yeux affamés. 
Ce ver parvient à manger des pommes entières parfois, laissant le pommier dépérir après son passage. 

Pour ma Lolo, 15 ans. Je t'aime.
Maman