Oeil de chat

Que se passe-t-il, ici ? Mon lait, mes croquettes ? A-t-on jamais entendu de tels cris dehors ? Où est le majordome ? Voilà le Capitaine Haddock à la cuisine ? Première fois que je le vois ici ? Il ne sait même pas où sont mes croquettes, ce bon à rien !

Il a eu la bonne idée de renverser la bouteille de lait, ce maladroit ! Voilà la Castafiore, elle découvre ce qu’est une cuisine, la Cantatrice. Pas bien lunée, la mégère! Personne sur qui crier aujourd’hui, ils ont déguerpi les courbe-l’échine. Gare à la bourrasque mon Capitaine ! Ce n’est pas un mauvais bougre, le matelot. Le vrai tyran, c’est sa femme. Elle a toujours peur de manquer avec son petit sourire crispé. Il tient les voiles serrées mais il reçoit tous les jours les paquets de mer de l’énervée. C’est lui qui tient le volant mais c’est elle qui conduit. Il se promène toujours dans sa veste militaire mais elle, tous les jours, elle met de nouvelles voiles, cela doit coûter des milliers de boites de croquettes, elle est parée comme une goélette et je nous vous dis pas les villas-piscines pour qu’elle barbotte à son aise. Le Capitaine est obligé de mettre le pays en coupe réglée pour satisfaire les lubies de son colibri. Lui, il ne se baigne pas, c’est un vrai marin, comme moi. Un militaire, il ne peut pas être foncièrement mauvais. Il faut qu’elle s’occupe de tout, elle ne peut pas ronronner cinq minutes tranquille.

Voilà qu’il lui beurre ses tartines, il ne supporte pas les aigus. Dès qu’elle lance un trille, il fait ses quatre volontés. Il doit rêver d’entendre les cornes de brume. S’il n’y a plus de personnel au palais, elle va nous le tuer à la tâche.     

Elle s’agite comme un sémaphore, la perruche ! Elle a raison l’énervée, il y a du monde aux grilles du palais, ils vont réussir à nous les casser. Voilà le Capitaine qui court derrière la Castafiore, ils montent tous les deux dans la chambre, c’est rare qu’ils montent la journée, rarement à deux, cela les prend vraiment n’importe quand les bipèdes civilisés. Peut-être les cris qui les excitent ?

Tiens, ils remplissent des sacs ! Ils ont dû y mettre leur conscience, car ils me paraissent diablement lourds les fardeaux. Et en plus, ils savent les porter, incroyable ! Elle crie encore plus aigu que d’habitude, lui il grogne. C’est la première fois que je les vois courir dans le palais. Ils vont vers le garage. Je commence à traîner la patte, cela ne m’amuse plus trop leur cavalcade. Ils partent en week-end.  Tant mieux, s’ils pouvaient déguerpir, les vocalises de l’autre volatile m’exaspèrent, elle crie pour exister.

La grille n’a pas encore cédé mais les soldats ont quitté leur guérite, on se croirait au départ du marathon des sables. Cela va être chaud, une belle partie de chat perché qui s’annonce ! Le Capitaine descend au garage. Sa Cantatrice est énervée, elle lui crie de se dépêcher. Doucement ! Elle va nous l’étaler sur le carrelage, notre cador. Elle le sait pourtant qu’il est plus âgé. Il a choisi le petit cabriolet noir pour se promener, je ne le vois pas passer les grilles au milieu de ses électeurs, les autres vont lui griffer sa carrosserie. La folle m’a coincé contre le mur. Qu’est-ce qu’elle me veut ? Je ne pars pas, je ne veux pas me faire lyncher moi. Le Capitaine a ouvert une porte d’un tunnel, c’est fou, je ne le connaissais même pas. J’aurais dû la griffer, m’échapper. Voilà qu’elle me tripote, elle m’énerve avec ses bagues, elle ne tient  pas en place. Adieu mon palais, quand te reverrai-je ? Je ne méritais pas cela, je n’ai jamais fait de mal à personne, moi ! Je suis un bon chat.