On

- Tu te souviens ?

- Non !

- Mais si, fais un effort.

- Non, j'te dis.

- Tu ne te souviens pas de cette nuit, noire comme de l'encre ?

- ...Non.

- Alors, je vais te la raconter. La nuit était vraiment comme de l'encre. Elle nous coulait sur les épaules. Elle nous glissait, visqueuse, le long des bras. Tu sais, on avait vraiment l'impression de marcher à travers une mer d'encre. On avait vraiment beaucoup marché ce jour-là et comme on était partis tard, on s'était faits surprendre par la nuit. On est arrivé près d'une rivière. On ne la voyait pas encore, mais on pouvait l'entendre. C'était beau et silencieux, il n'y avait que ce bruit-là et tout autour le silence. Cela faisait comme des notes de xylophone. Tu sais ce que c'est un xylophone ?

- Oui, je sais.

- Alors, je continue. La journée avait été chaude, très chaude, tu sais, c'était au mois d'août. On avait transpiré comme des bœufs, je ne me supportais même plus tellement je puais. Alors, t'imagines bien, la rivière, c'était tentant ! Hein ? Ah, j'ai cru que tu disais quelque chose. Bref, on s'est déshabillés, vite fait, tout nus ! On a farfouillé dans nos sacs pour trouver les frontales et on y a été. On n'a pas vraiment réfléchi. C'était un peu fou quand j'y repense. On ne voyait même pas où on mettait les pieds, t'y crois, toi ? En fait, on ne voyait pas grand chose. L'eau était si glacée qu'on avançait en criant comme des louveteaux. C'était froid mais cela faisait tellement de bien, sauf qu'on ne voyait vraiment pas où on mettait nos pieds, c'était comme se baigner dans de l'encre. Ah, tiens, l'eau, la nuit, tout était noir ! Et puis, on a commencé à sentir des choses nous frôler, on a commencé à s'inquiéter. Si tu veux savoir, ce n'étaient pas des poissons. C'étaient des sangsues ! Enfin, je crois. Moi, j'ai flippé, je suis sorti vite fait de l'eau et je n'ai rien eu, mais ma... Ah ! Mais oui, tu ne peux pas t'en souvenir de cette nuit-là, ce n'était pas avec toi !

- Je sais.