On écrit comme on aime

François Vieil De Born


Ecrire pour appeler ou conjurer. Appeler ou rappeler, approcher à nouveau, par l'invocation, faire naître une sorte de fantôme de sensations vécues ou esquisser celles attendues ou qui pourraient naître, me souvenir aussi de possibles morts nés. Conjurer c'est forcer une apparition ou à l'opposé, empêcher que survienne quelque chose, peut-être une menace. Ecrire, c'est se rappeler ou conjurer.

Un peu comme une faim, ou un élan, parfois une sensation de creux, comme être amoureux, seulement plus tiède, est venue l'envie d'écrire, writing is highly addictive, une envie réfrénée, ou plus probablement ignorée, elle était enfouie,.

Quelqu'un qui écrit, avec toutes les réserves qu'il ou elle peut avoir sur le langage, sa place et sa force et ses modes d'action, le fait parce qu'il ne peut pas faire autrement. Il écrit pour se débarassser d'une envie, de cette faim, du désir, (la contradiction interne du désir, qui cherche sa satisfaction pour disparaître). Pour rejoindre et faire émerger quelque chose de ce lieu sombre de désordre, de désir. J'ai moins envie d'écrire quand j'écris, je désire moins quand je fais l'amour. Mais cette réalisation écarte des possibles, des phrases, du sens, des émotions. Ecrire c'est réduire, limiter, fixer, figer. Un chaos qui s'organise, une incertitude qui disparait, l'effondrement de la vague, des choix qui sont faits, une jouissance qui s'épuise. On écrit comme on aime.

 

Signaler ce texte