On parle de moi
Eddy G.N. Lane
Sorti de chez moi, je traversai la rue pour aller dans mon bistrot du coin. Sur la marche devant l'entrée, ma main sur le poignet, je vis, à travers la porte vitrée, quelques personnes au comptoir, un couple attablé, une table vide et un homme âgé lire un journal un plus loin. Comme hier. Le bistrot habillé comme hier, regardait la télé à l'autre bout de la salle. Comme hier. Si je pousse la porte et entre, deux ou trois têtes se retourneraient vers moi, un ou deux regards diraient, ah c'est celui-là, j'aurai dit bonsoir puis j'aurai eu mon verre servi à ma place habituelle. Comme hier.
Je n'ai pas poussé la porte comme hier, je ne suis pas entré comme hier. Laissant la porte du bistrot dans mon dos, je me suis éloigné lentement. Quelques minutes plus tard je me suis retrouvé devant l'église, métro des Abbesses. Sur son parvis. Et c'est là que j'ai su, que j'ai vu, que je me suis dit, crié presque:
― Oui, le parvis! Le parvis de Notre-Dame de Paris. Il faut y aller!
C'était loin, mais je marchais, il ne fallait pas prendre le métro, ni un taxi. Il fallait marcher. Et je marchais, je courrais. J'étais comme quelqu'un qui avait un rendez-vous. Un rendez-vous qui allait tout changer.
J'ai ralenti seulement, quand je n'étais qu'à vingt mètres de la dalle. Je me rapprochai lentement. Les gens passaient sans s'arrêter. Elle était libre. Je me suis arrêté devant elle. Je la regardais et j'ai fait le pas. Je me trouvais sur le point, sur la dalle depuis laquelle et vers laquelle, on mesure les distances de Paris et vers Paris. J'ai fermé les yeux. Bon sang, c'etait vrai! Je les entendais. En toutes les langues du monde, de partout les voix disaient :
― Il y a six mille kilomètres jusqu'à Paris, avec un vole directe ça nous fait six, sept heures !
―Von Frankfurt hast du fünf hundert fünfzig und noch zwei hundert kilometer von uns bis Franfurt so wir könten es schafen in weniger denn ein halbe Tag ...
― Onda ovako, polazimo u ponedeljak, vozimo naizmenicno i za dvadest pet sati, otprilike smo u Parizu.
― As I said so far it is not.
Ils parlaient de ma dalle, ils comptaient le temps nécessaire pour venir jusqu'à la dalle où je suis maintenant. Jusqu'à la dalle, sur le parvis, devant Notre-Dame, jusqu'à moi sur la dalle, jusqu'à moi ! ! Des milliers de gens le disent, en ce moment même. Ils pensent à moi. Ils parlent de moi. De moi sur la dalle. Je lève les bras. Je sens le vent tourbillonner autour de mes épaules, je sens les gouttes de pluie sur mon visage ou étaient-ce les larmes puisque je vois les étoiles.
Depuis je suis allé, chaque jour pour rester un peu sur la dalle et écouter les gens parler de moi. Des fois quelques passants rigolaient en me regardant sur ma dalle. Des fois, il était tard et il n'y avait personne. En été, en chemise, en hiver habillé chaudement, je restais quelques instants là, sur le parvis, devant Notre - Dame de Paris.
Quand je serai loin, quand je serai mort parlera-t-on toujours de moi, sur la dalle.
Malgré le vent, je t'entend.
· Il y a plus de 8 ans ·Loxias
Echo ici
· Il y a plus de 8 ans ·Loxias
.... ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ....... ?
· Il y a plus de 8 ans ·Eddy G.N. Lane
Si moi! et j'ai trouvé ton texte superbe
· Il y a plus de 10 ans ·arthur-roubignolle
bienvenu au club, on est déjà 2 :), merci à toi !
· Il y a plus de 10 ans ·Eddy G.N. Lane