ORDURE!

Mademoiselle Carlotta a disparu. On dit qu'elle est partie vieillir près de ses pins, quelque part sur la côte ligure. D'autres racontent qu'elle a été jetée en prison à cause de ses saloperies de graffitis.

Le malheur de Mademoiselle Carlotta vient du don qu'elle possède. Un sens aigu qui au premier coup d'œil lui permet de savoir dans quel camp vous vous battez. Ou bien vous êtes un fou ou bien vous êtes une ordure. Pour Mademoiselle Carlotta, c'est aussi simple que cela. Elle ne sait parler qu'à ceux qui chantent, qu'à ceux qui aiment, qu'à ceux qui frissonnent et qui s'adonnent au vertige. A ceux qui regardent la vie dans les yeux, et n'y voient pas le désespoir comme elle.  Elle les embrasse. Elle les bénit.

Aux autres, à ceux qui font la course en tête, écrasant les autres comme on enterre un mégot, à ces ordures qui montent à la tribune pour défendre une cause quand en vérité ils cherchent des titres et des manoirs. À ceux qui n'ont ni poésie ni commisération. A ceux-là, elle réserverait le goudron et les plumes s'il était permis de le faire. Longtemps, elle a ruminé ses vérités. Pour se calmer, elle réglait ses comptes dans le journal. Elle examinait chaque photo, chaque mot. Hommes, femmes, politiques, acteurs, sportifs ou simple citoyen, si un visage ne lui revenait pas, elle inscrivait à coté de son nom en lettres grasses ORDURE ! avec un point d'exclamation. Elle feuilletait les pages comme on barre les jours sur un calendrier.  

Mademoiselle Carlotta a tenu jusqu'aux dernières élections présidentielles. Puis, elle n'a plus supporté de les voir défiler à la télévision tandis qu'on élisait le roi du palais. Elle a décidé que c'était de son devoir de dénoncer ces scélérats. Elle a acheté un marqueur, énorme, indélébile et rouge et elle s'est mise à répandre le mot sur les boutiques, les boîtes aux lettres, les voitures, les portes d'immeubles ou de maison, et même sur des poussettes car dans ce domaine disait-elle certains font montre de prédispositions quasi surnaturelles.