Où le regard ne porte pas
alexdel
Cette histoire, mêlant érotisme et ésotérisme, conte la vie de Sandrine. La jeune fille sera confrontée au surnaturel au coeur même de sa vie sexuelle. Subissant d'abord les évènements, elle apprendra peu à peu à les maîtriser. Ce qui suit est le premier chapitre. Il a été fortement raccourci, prenant initialement 29000 caractères, et ayant été réduit à moins de 15000 espaces compris pour répondre aux exigences du concours (le site indique davantage de caractères, mais ce document est pourtant bel et bien en dessous des 15000).
...
Sandrine était assise sur son lit devant la lettre d’Alexandre. Il ne fallait pas, elle ne devait pas la relire ainsi sans arrêt. Alexandre était porté disparu depuis à peine une semaine, et cela faisait tout juste vingt quatre heures qu’elle avait acquise la certitude de sa mort. Elle ne voulait pas parler à ses parents ni à ceux d’Alexandre, ni même à ses amis. Elle ne voulait pas qu’on lui apprenne quand le corps serait ramené ni quand les obsèques auraient lieu. Hier, Sandrine avait envoyé un SMS à tous ses contacts pour annoncer la terrible nouvelle. Ce n’était pas le protocole idéal mais elle n’avait pas la force d’appeler, encore moins d’envoyer des courriers. Vingt deux ans à peine, c’était vraiment trop tôt pour perdre à jamais l’amour de sa vie.
Cette lettre elle prenait garde ne pas l’embuer et la voyait toute floue à travers ses larmes. Un petit mot tout simple comme il lui en avait tant écrit avant ses départs. Comme à peu près une fois par mois, Alexandre avait prévu de partir quelques jours pour une de ses vadrouilles en montagne, avec son copain Marco. Ses lettres, il prenait toujours la peine de les monter au quatrième étage pour les glisser sous la porte plutôt qu’en bas dans la boite de la loge, tel un amant ne voulant éveiller l’attention du gardien. Ce courrier-ci ressemblait à beaucoup d’autres. Et puis surtout ce post-scriptum : « Il me tarde d’être samedi soir… ». Des points de suspension qui en disaient long.
Samedi soir, c’était le soir qu’ils se réservaient toujours, malgré les turpitudes de leurs vies respectives. D’aussi loin qu’elle se rappelait ils n’en avaient jamais manqué un seul, et ce depuis leur première nuit voilà plus d’un an. Lorsqu’ils se voyaient leurs corps n’étaient plus les mêmes. Comme aimantés, ils pouvaient batailler l’un contre l’autre des heures durant, sans même sentir la fatigue. L’esprit ne contrôlait plus les mouvements, le désir emportait tout et les épuisait jusqu’au bout de la nuit. Il en était ainsi depuis le départ de leur relation. D’ailleurs, au lendemain de leur première fois, ou plutôt de leurs premières fois car ils avaient remis ça peut-être six à sept fois dans la nuit, chacun en avait eu pour une semaine de courbatures. Lorsque les aléas de la vie les séparaient pour un temps, elle avait pris l’habitude de s’entraîner avant leurs retrouvailles. Deux ou trois jours avant elle faisait de la gymnastique et divers exercices physiques, afin de rester dans le coup. Elle tenait à assurer chaque position autant qu’il et qu’elle le voudrait. Alexandre, lui, était un sportif du quotidien et n’avait pas besoin de pareille remise en forme. En fait le sexe était l’unique sport de Sandrine, et en ce sens elle était une vraie sportive.
La région montagneuse dans laquelle Alexandre et Marco s’étaient rendus avait subi une tempête imprévue. Lorsque la tempête se mit à souffler à plus de cent kilomètres heure, ils étaient sur le mont Capriens, à des dizaines de mètres de hauteur, avec cordes et piolets. Un pan de roche s’était détaché et en avait entraîné d’autres. Une réaction en chaîne qui les fit glisser et chuter. Vingt mètres pour l’un, trois cents pour l’autre. Marco avait eu la chance de retomber sur une corniche solide. Il était mal en point mais s’en était miraculeusement sorti. Alexandre avait été précipité le long de la montagne et avait certainement subi une mort violente. Marco venait d’être transféré à l’hôpital Saint-Aignan, un établissement de montagne. Sandrine n’avait jamais bien compris l’attachement qu’Alexandre lui portait. Ce qui la repoussait le plus, c’était l’attirance que Marco éprouvait envers elle. Il y a quelques mois de cela, le fameux copain d’enfance était venu sonner chez Sandrine. Il avait déballé son baratin sans tarder. Marco lui promettait beaucoup de plaisir, ça allait être magique, entre elle et lui il sentait une sorte de fluide. Sandrine avait hésité entre rire et le gifler, voir les deux. Finalement, elle était restée polie et l’avait rabroué gentiment mais fermement.
La jeune fille ralluma son mobile et appela son amie Vanessa, sa copine illuminée grande amatrice d’ésotérisme. Depuis deux bonnes heures, une idée l’obsédait.
— Sandrine ? J’ai pas arrêté de t’appeler. J’ai allumé un cierge pour lui à l’église, et j’ai fait ma prière de l’ange.
— J’ai besoin de ton aide.
— Bien sûr pupuce, qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
—Je voudrais qu’on fasse un rituel. Avec Alexandre.
— J’osais pas t’en parler. Mais… t’en es bien certaine ?
— Je crois qu’on pourrait entrer en communication. En tout cas j’ai besoin qu’on essaye.
— Je prépare le matériel et j’arrive. Toi, allume trois bougies. Ferme les volets, éteins les lumières et fais le vide dans ton esprit. Je suis là d’ici une demi heure.
Sandrine prépara ce que son amie lui avait indiqué. Peu de temps après Vanessa frappa à la porte, sans sonner pour ne pas interrompre trop brutalement son recueillement. Elles s’enlacèrent. Vanessa déploya le contenu de son sac : un grimoire, de l’encens, un pendule et une carte de la région du drame.
— Je ne sais pas si on aura une manifestation, dit-elle. Au moins ça aidera son âme à s’épurer des ondes négatives.
Sandrine s’aperçut alors qu’on était samedi soir.
Elles s’assirent. Vanessa alluma le bâtonnet d’encens, le saisit, puis étala la carte. Elle fit des petits ronds avec le bâtonnet et la pièce s’emplie de fumée. Puis, elle ouvrit son grimoire. Au bout d’un long moment, le bâtonnet passa sur la carte, au-dessus du mont Capriens. Vanessa tressailli.
— J’ai senti quelque chose.
Cette force, Sandrine ne la sentit pas immédiatement. Elle supposa d’abord qu’il s’agissait d’une fausse impression de son amie. Pourtant, peu à peu, elle eut le sentiment qu’elles n’étaient plus seules dans la pièce.
— Oui, il est bien là. Sandrine, c’est formidable ! J’ai appelé l’âme défunte de ce col de montagne, et elle est venue.
Le ressenti de Sandrine devint certitude. Une sorte d’onde passa par ses pieds et s’imposa face à elle. On la sentait sans la voir. Il était là. Alexandre, entité invisible, entoura Sandrine et lui offrit une étonnante sensation de chaleur. Mouvante, elle passait et repassait sur son corps. La jeune fille en eut des frissons, et compris qu’il s’agissait de caresses. L’instant d’après l’âme était sous ses vêtements, en contact direct avec sa peau. Son cœur se mit à battre à tout rompe, elle souffla pour expulser son trop plein d’émotions. Elle venait de saisir où Alexandre en voulait en venir. Etait-ce possible ? Ces gestes-là avaient un sens très clair, surtout entre eux deux qui avaient tant l’habitude de se parler en langage non verbal. C’était à la fois enivrant et effrayant. Leur amour, leurs désirs étaient si forts que même la mort ne pouvait les arrêter. Vanessa se leva et sortit sur la pointe des pieds…
Sandrine avait entendu la porte se refermer. Ses yeux étaient clos, elle devinait que sa copine ne voulait pas la déranger. Elle s’allongea, et l’âme d’Alexandre s’étendit sur elle de tout son long. Les vêtements n’étaient pas un obstacle pour lui, pourtant elle commença à se dévêtir, pour son propre bien être, espérant que les volets étaient totalement fermés et que personne ne la verrait. Pour rien au monde Sandrine n’aurait empêché cet instant, qui serait peut-être sa toute dernière fois avec son amour. Qui sait s’il pourrait revenir la voir ensuite.
L’âme d’Alexandre n’avait pas forme vraiment humaine. C’était plutôt une boule de plaisir, pieuvre ou Shiva aux milles bras. Les caresses étaient langoureuses, innombrables, et exploraient ses hanches, sa nuque, ses jambes, sa poitrine. Alexandre était partout à la fois, elle ne l’entendait pas, ne sentait pas son odeur, mais ressentait pleinement sa présence physique. En un rien de temps Sandrine avait ôté tous ses vêtements et se tortillait en tout sens afin d’accueillir au mieux cette présence qui ne cessait d’honorer son corps tel une déesse. C’était si étrange… un peu comme si une dizaine de partenaires étaient là à ses côtés à s’occuper d’elle, si ce n’est que chaque geste ne venait que d’un seul et même homme. Des gestes qui se concentrèrent de plus en plus au niveau de son bassin, puis de son sexe. Sandrine savait que le surnaturel de la situation rendait inutile qu’elle écarte les cuisses, elle se permit donc le luxe de les frotter l’une contre l’autre pour mieux faire passer son plaisir. L’âme se posa sur son clitoris et devint plus fraîche, comme si c’était tantôt une langue tantôt un doigt qui pressait ce point qu’elle aimait tant. Sa respiration était sonore, elle commençait à laisser échapper des gémissements, et se connaissait trop bien pour ignorer qu’ils se feraient bien plus forts dans quelques instants. La présence de Vanessa dans l’appartement l’incommodait, sans compter les voisins du dessous pensant qu’elle se faisait sauter par un autre à peine vingt quatre heures après l’annonce du décès. Mais l’envie de se laisser aller était la plus forte. Tant pis pour le quant dira-t-on, de toute façon qui la croirait. Un œil extérieur, s’il y en avait eu un, n’aurait vu dans cette pièce qu’une belle jeune fille nue, seule, ondulant comme un serpent. L’essentiel n’était pas visible. Ils étaient deux, et à la fois un, car unis, et les perceptions étaient plus réelles que la réalité elle-même.
L’âme d’Alexandre la pénétra. Son pénis, ou cette énergie en forme de pénis, était chaud et lumineux. Il s’immisça en elle tout en douceur, restant presque en surface, puis descendit plus profondément. Elle n’avait jamais senti son sexe ainsi, aussi gros et aussi long, et chaque va et vient qu’il exécutait lui faisait pousser un nouveau cri de plaisir. Son entrecuisse était humide, et pour une fois ce lubrifiant naturel était inutile à la pénétration. Elle eut un premier orgasme en très peu de temps, qu’il ressentit puisqu’il s’arrêta pour le laisser s’écouler. Elle s’agita, secouée de spasmes. Il marqua un temps puis reprit de plus belle, lui faisant perdre la notion du temps, la faisant décoller, encore et encore, comme si elle était prête à rejoindre l’au-delà elle aussi, ou tout du moins à toucher ce monde du bout des doigts. Si en cet instant Sandrine avait eu l’occasion de mourir de plaisir sur le champ et de partir avec lui, elle n’aurait pas hésité une seconde. Elle eut un second orgasme, puis un troisième. Jamais elle n’en avait eu autant en si peu temps, et surtout jamais ils n’avaient eu une telle intensité. Et pourtant, Alexandre, de son vivant, avait déjà placé la barre très haut. Qui plus est, il n’y avait aucune raison biologique pour que cela s’arrête. Elle avait peine à imaginer que la relation sexuelle la plus belle de sa vie, elle était en train de la vivre avec un esprit. Pas n’importe quel esprit bien entendu, celui de l’être qu’elle aimait, mais ce n’en était pas plus concevable pour autant.
Le sexe (si on pouvait le nommer ainsi) d’Alexandre s’agrandit encore. De l’endroit le plus profond de Sandrine, il s’aventura encore plus loin, et entra dans son corps. Il étendit son aura jusqu’à habiter la moindre parcelle de son intérieur, des pieds jusqu’à sa tête, devenant aussi grand qu’elle-même, la dépassant presque. C’était désormais au-delà de l’orgasme, c’était autre chose, davantage un sentiment de bien-être et de plénitude absolu. C’était encore mieux que s’il était venu. Après quelques dernières caresses, l’âme d’Alexandre se retira tout doucement, quittant chacun de ses membres un à un, et finissant par son sexe. Elle sentit l’esprit d’Alexandre s’éloigner, puis disparaître.
Vanessa frappa timidement à la porte. Elle entra, pas surprise de l’état dans laquelle sa copine se trouvait, et s’assit.
— Désormais son âme est en paix, conclue Vanessa.
— Vanessa, je pourrais même pas décrire ! C’était… extraordinaire.
— Oui, j’avais cru entendre, répondit-elle avec un regard complice.
C’était le matin. Sandrine, pas réveillée depuis bien longtemps, était encore au lit et avait décidé de s’installer un vrai plateau de petit-déjeuner. Son expérience extrasensorielle de la veille lui avait fait un bien fou. Elle avait l’impression d’avoir rêvé.
Le téléphone sonna…
— Sandrine ! Vaut mieux que tu t’assoies. Assis toi s’il te plait.
C’était Vanessa. Sa voix tremblait.
— Je suis déjà assise. Qu’est-ce qui se passe ?
— La police a essayé de te joindre, apparemment tu leur avais pas donné ton numéro de mobile. Alors ils m’ont appelé moi, puisqu’ils avaient pris mon contact quand je t’avais accompagné au commissariat. Ecoute… Je réfléchis, je vais essayer de tourner ça sans être une catin. Quelque chose de complètement déroutant vient d’arriver. Il y a une mauvaise nouvelle, et une très, très bonne, une fabuleuse nouvelle.
— Putain mais parle, vas-y !
— Il y a eu une énorme erreur à l’hôpital Saint-Aignan, celui qui a authentifié le décès. Une infirmière a interverti deux identités. Elle s’est mélangée dans les fiches, ça vient tout juste de se savoir, ce matin, quand la mère de Marco est arrivée pour rendre visite à son fils. Elle ne l’a pas reconnu.
— Quoi ?
— Elle est effondrée. L’infirmière est virée mais elle va lui faire un procès retentissant, ça c’est sûr. Marco est mort. C’est lui qu’on a retrouvé en charpie en bas de la falaise. Celui qui s’en est tiré c’est Alexandre. Sandrine. Tu entends ? Alexandre est vivant. C’est lui qui a survécu pendant une semaine et qu’on a retrouvé avant-hier. Ce matin, il a d’ailleurs pu parler.
— …Mais qu’est-ce qu’on t’a raconté comme conneries…
— Sandrine y’a aucune erreur possible. J’ai eu Alexandre au téléphone il y a une demi heure. Je viens d’acheter les billets de trains pour qu’on aille le voir. On part cet après-midi. On s’est mis d’accord pour qu’il ne t’appelle pas, histoire de t’éviter un trop gros choc. En tout cas, il en peut plus de pas te voir. Il m’a dit qu’il comptait les minutes.
Sandrine s’assit et se mit à respirer de toutes ses forces pour tenter de contenir son trouble. Vanessa continuait de parler mais sa copine ne l’écoutait plus. Sandrine était affalée dans le lit, en état second. Partagée entre un immense bonheur et un sentiment étrange. Malgré sa joie, elle était également morte de rage. L’âme défunte du mont Capriens qu’elles avaient appelées au cours de la séance de spiritisme… c’était Marco. Marco qui, d’outre-tombe, avait sauté sur l’occasion. Lui qui avait profité de son corps en toute impudence, dans ses moindres recoins, en ne s’interdisant rien. Finalement t’es arrivé à m’avoir salopard, se dit Sandrine. T’as pu profiter de la situation et me baiser comme tu en avais toujours rêvé. Et le pire de tout c’est que tu m’as fait jouir. Je prie pour que tu ailles brûler vif en enfer. Et que le diable en personne vienne s’occuper de toi.