Chambre 26 - ré édition

Aurore Rodi (Ancienne Alice Gauguin)

Je vous l'ai posté en 2013. Je viens de le retrouver. Mon témoignage de vie bipolaire que je vais corriger, écrire au fil de ma vie, jusqu'à un âge lointain.

PANSER. 3 juillet 2013. 17è jour d'hospitalisation. Chambre 26. Chambre 26. Ses murs, verts, couleur de l'espoir comme pour chasser tous nos déboires. Ses murs, qui, sans le savoir, renferment mon histoire et cette douleur qui s'apparente parfois à la terreur. Terreur de vivre, cette douleur. Je porte aujourd'hui cette lettre, d'une écriture tremblante, mais sans doute moins hésitante qu'une verbalisation orale qui laisse échapper trop de détails qui me tiraillent. Alarmante. Chambre 26. Sept ans déjà. La lassitude, le découragement, le manque de force et de désir, l'appel du sommeil comme vecteur de temps puisque l'expression, je cite « il faut donner du temps au temps ». Autant de temps, déjà. Les rares et brèves symbioses avec la vie, le vent, les couleurs plus saillantes, l'enivrante euphorie, le partage, la liberté, la vie légère et l'insouciance. Le reste, sans pas à pas le gouffre s'ouvre. Je suis déjà au fond. Je souffre. Ineffable d'expliquer cette douleur. Faire taire. Gorge nouée, spasmes et douleur à la poitrine. Pleurs, bien que l'oasis soit trop souvent asséché. Qu'importe, qu'y a-t-il à expliquer ? C'est là, propre à chacun, qui restera en moi laissant l'empreinte d'un : je ne veux plus vivre. Chambre 26. Plus vivre cette vie là. La mort ne me fait pas peur, son véhicule si. La mort m'est interdite. La mort est punir ceux qui vous aiment. Ceux qui vous ont conçu car tellement voulu, le frère qui souffre déjà, l'homme qui vous aime. La culpabilité de gâcher la vie d'autrui. Je ne veux plus vivre, non pas mourir. Chambre 26. Alcoolisation. Excès, abstinence, excès, abstinence. De quelle côté penche la balance ? Cette détresse n'est ni rationalisable, ni raisonnable. Sevrage, tremblements, vertiges, troubles de la vision (mais voyais-je avant ?), migraine. Ou tout simplement manifestation d'un trop plein. D'émotions, de thérapies médicamenteuses. Chambre 26. 60 cigarettes par jour. Fumer tue. Chambre 26. Tuer la douleur à sa source ? Comment ne plus s'écrouler dans une tête qui dit : je ne dois pas mourir mais ne désire plus vivre. « Le besoin de l'excès, ce n'est pas le goût de l'égarement mais celui de la vie » (Baudelaire). Un excès de souffrance, alors. L'excès de vie ? Chambre 26. Sauve d'autres gens. Moi je suis encore là, à attendre le miracle. Je n'ai pas refermé mon histoire. 01 août 2013. Incommensurable. Je souffre de façon incommensurable. Même quand je pense aller mieux, je ne fais en réalité que me voiler la face. A pile ou face, je me perds. Je ne vois pas au futur le moyen de m'en sortir. Je survis. Sur-vivre, comme son nom l'indique, c'est être en équilibre sur le fil du funambule. Et la chute n'est jamais très loin. Il suffit de fermer les yeux une minute. Et je ferme pourtant mes yeux. Les yeux ne sont-ils pas faits pour voir ? 03 août 2013. Pourquoi ne rentre t-il pas ? Plus l'espèce humaine est civilisée (si tant est que), moins elle croit en Dieu. Etonnant ? Dieu, ce sont les 90% de nos cerveaux inexploités. Mais a-t-on seulement envie de savoir ? Mes pensées tourbillonnent dans ce capharnaüm. Elle l'aime encore. La garce. Dieu se fout de me laisser comme ça. La prison de ma tête. Les barreaux qui cognent les parois. Cer-veau qui me sert. Un rêve, une trêve. Un destin, éteint. Un drame, sans trame. Je désespère cette terre. Une existence sans transe, non sens. Panser, grisée. Eparpillement je me mens. Laisse-moi du hasard, choir. C'est ainsi, sursis. Sans ride, suicide. Que crois-tu maux dire, sans rire. Destin, sans teint. Destinée pas bien née ? Je traine ma peine. Pourquoi ne rentre-t-il pas ? 04 août 2013. Plus moi m'aime. Il va retourner vivre avec elle. Pour un CDD dont on ne connait pas le terme. Un contrat qui se termine à la fin du retour du malade. Mais qui est la malade ? Qui souffre, lui, elle ou moi ? On me dit en danger. Je suis juste omnisciente, et omniprésente dans ma vie. J'espère que ce n'est pas un CDI de droit. J'ai mal, mal, mal et mon coeur est un dépotoir. Je suis léthargique et je panique. JLa même musique. Cet air qui me perd. Mon calepin bleu, tu crois que c'est pour essuyer mes bleus ? Il n'y a aucune douceur dans la douleur. Je prends la route avec déroute. Je me dégoûte. Il fait ses cartons, déménager. Dérangée, suis-je en danger ? J'aimerai me voir de l'extérieur, voir s'ils ont peur. Je suis terreur et personne n'a la charité de l'accueillir à ma place. Ca me glace. Mes nerfs, l'enfer. Je suis en bandoulière. Dans mon cas, ils disent suicidant, non suicidée. Loupé. Je suis anachronique. Pourquoi la connaissance de ce désordre chimique ne me permet pas de m'en sortir ? Moi qui suis cartésienne. Quelle peine. Tout me rappelle que je suis décédée, et décidée. Je n'arrive pas à m'y faire, juste me défaire. Je parle de peine, la même rengaine. Il m'accompagne à la voiture, tu crois que c'est un signe du futur ? Ma voiture est autant cabossée que moi, acte manqué ? Je dérange, je ne me range. J'expie, je plie. Je broie du noir, je bois le noir. Voltige du vertige. Je funambule et somnambule. Peut-on aimer sans aimer la vie ? Y a-t-il seulement les gens célèbres qui peuvent écrire leur détresse ? Ou la détresse rend t-elle célèbre ? Je perds la tête ? Viens me câliner, arrête de ranger. Ne vois-tu pas que ce sont mes souvenirs et moi-même que tu enfermes ? J'ai ton parfum, sans doute parce que mon amour est sans fin. Suis-je faite pour être à tes crochets ? Je choie sans toi. Je suis dépendante, tu me hantes ? Il me presse que je te caresse. Je jouis que tu me dises oui. Viens me câliner, pour me calmer. Je suis sa princesse, je suis en liesse, que cela ne cesse. Je ne suis nulle part chez moi. Mon coeur en miettes, c'est la disette. Je ne suis plus moi m'aime. Mais mille moi-même. Je suis polyglotte dans la façon dont mon esprit trotte. Je perds la face et tout s'efface, une farce ? Je suis chose, tu me disposes. Ma solitude, une habitude, une certitude. J'ai froid sans toi, je crois en toi, en nous, mais je n'ai que des avants goûts. Je trépasse, que veux-tu que ça leur fasse ? 04 août 2013. Donne-moi une corde. Ma première fois, non avec P, a été un viol de mon hygiène mentale. C'est dans ma tête que la perforeuse s'est acharnée à me faire un puits béant. Pourquoi désabusée serait-il le contraire d'abusée ? Tout ce qui est petit est mignon, mais quel con. 05 août 2013. Une parmi sept milliards. Quelle culpabilité de ne pas travailler. Je ne fais que brailler. Je me sens si égocentrique. La douleur rend égocentrique. Tellement de gens pensent que l'égocentricité est synonyme d'égoïsme et narcissisme. Je tiens à afficher le démenti. Oui, la douleur rend égoïste. Mais partiellement. La douleur rend agressif, éloignée des soucis d'autrui, spectateur, et impatient. Mais la douleur rend ô combien empathique et tolérante. Empathie gâchée par l'impossibilité d'aider autrui. Mais ressentir à leur place. Surtout, vouloir aspirer leur douleur. La prendre pour soi. Rajouter de la souffrance à la souffrance, quelle importance quand on a déjà touché le fond. Quant au narcissisme, il s'agit d'être amoureux de soi. Mais si j'étais amoureuse de moi, je n'aurai plus aucun problème. Je me suffirai à moi-même, je serai ambitieuse, débordante d'énergie, capable, sur un nuage surplombant la race humaine. Pas besoin des autres, puisque je jouirai de ma seule présence. La douleur rend égocentrique. Non égoïste, juste partiellement. Et totalement critique de sa personne. Assez de mes théories. Mon esprit qui ne fait que tourbillonner. Que valent mes théories ? Je suis une parmi sept milliards. 05 août 2013. Neurotransmetteurs, menteurs ! Je ne peux vivre sans toi. Je suis amputée de toi. Je ne me sens bien nulle part. Ni chez moi, ni chez les amis. Chez toi ? Je m'y sens mal mais c'est une douleur différente. Une douleur au comble du paroxysme tellement je désire un avenir avec toi. Il faudra que je me sente bien chez toi. Déjà, je me sens bien dans tes bras. Je suis donc guérie ? Les toxines me tuent. L'alcool et la clope me mènent à l'assaut final. Mais je veux en finir, alors à quoi bon vos bienveillances ? Je vous aime. C'est horrible d'aimer. De devoir. Vous me punissez en m'imposant la vie. Je les hais de m'avoir mise en ce monde, et de ne pas me voir. Je ne veux pas retourner à l'hôpital. Les murs blancs des urgences, les rencontres avec un médecin seulement trois fois en 24 heures. Les draps horriblement angoissants. Les bruits. Les regards rigolards des gens qui passent devant la chambre. La chambre double. L'autre en plein délire à côté. Le rideau qui me cerne. La vue de ma fenêtre de ces milliards de chambres de malades. La culpabilité, je prends le lit à qui ? L'attente, l'angoisse. Je ne veux pas retourner en hôpital psychiatrique. Même si le moment rassure et te rend dans un autre état, d'une douleur différente et plus calme. La sortie ramène toute la misère à la réalité. Les moqueries des infirmières te hantent. Avoir été infantilisée, la honte. Me cacher. Quand saurai-je tout dire à un psychiatre ? Quand cesseront-ils de me paraitre si froids. Pourquoi je suis si incompréhensible pour autrui ? Je me cache derrière une excentricité. L'excentricité, c'est mon paraitre vital. Je crois que je fais un transfert paternel sur quelqu'un. Même si ce sont des sentiments placebos, je les ressens. C'est sans doute salvateur pour moi, mais pour lui ? Tu as raison, je suis égoïste, il faut que je revois ma théorie. Je suis en sevrage médicamenteux. Ca commence à bien faire. Isolée. Tu crois que je peux m'ouvrir le crâne, en sortir mon cerveau et le poser dans un congélateur ? Je le remettrai en place quand il ira mieux. Foutus synapses. Foutue sertraline. Faites votre boulot. Neurotransmetteurs, menteurs ! Je ne vois pas ce qu'il y a de plus à vivre. Voilà, j'ai fait le tour. J'espère que la réincarnation n'existe pas, ou alors que je serai chat. J'attends la comète sur ma tête, ou un nouveau big bang. Si le big bang est une implosion, pourquoi ne nous a-t-il pas arrachés ? Ceci dit, il a réussi son pari sur moi. Je suis arrachée à moi-même. Dépression persistante ils disent. La définition officielle est « Dépression persistante, sans précision, qui offre droit à l'ALD et la RQTH ». J'aime le sans précision. Comment pourrai-je faire confiance à un psychiatre s'ils sont sans précisions ? Je ne crois aucunement en la psychanalyse, je ne peux donc pas faire plus comme travail sur moi-même. Freud est une erreur. Je ne peux retrouver les causes de cette imprécision. Alors, trouvez-moi une explication cartésienne. Que je déculpabilise. J'ai tous mes droits vu que je vais cohabiter avec elle jusqu'à la fin de mes jours. Dépression à vie, mais quelle vie ! Je préfèrerai la douleur physique. Mon plus gros traumatisme a été le moment où une explosion a rendu torche vivante mon père, et piètre chaire mon bras. Je m'en fous je suis droitière. Mon plus gros traumatisme n'en est absolument pas un puisque je n'en garde aucune séquelle morale. Je ne fais pas de cauchemars, je ne pleure pas en en parlant. J'ai refoulé, c'est très bien. J'ai appris récemment que mon frère est toujours traumatisé. Il pleure et a une peur noire de la pénombre. Avant l'explosion, le feu a brûlé l'ampoule du plafond. Nous étions donc dans le noir absolu, avec une flamme géante. Ainsi, mon frère doit faire un rapprochement inconscient : noir, apparition du feu. Il panique quand le minuteur s'éteint, adulte, il doit dormir avec une veilleuse. Pourquoi es-tu traumatisé alors que je suis responsable de l'accident ? Tu vois, la vie ne fait pas de cadeaux. Tout ça pour dire que j'ai sûrement souffert physiquement. Deuxième degré profond, soupçon de troisième. Quatre mois de soins. Je ne crois pas avoir eu si mal que ça. Ou alors de manière masochiste, j'en avais besoin. A la place de mon père. Ressentir de l'atrocité. J'ai sans doute évacué la douleur morale par un désir de douleur physique. Voilà pourquoi je ne suis pas traumatisée. J'aime ma cicatrice. Elle me rappelle. Devoir de mémoire envers mon père, mon frère. Qui vivent avec ce souvenir. Je ne suis pas traumatisée d'un accident qui en aurait traumatisé plus d'un. Peut-être que ma douleur initiale m'a rendu insensible au traumatisme ? Ou alors ça m'éclatera à la gueule un jour. J'ai quand même eu peur de l'eau bouillante pendant un mois, toute source de chaleur en fait. Et fermer les yeux pendant un barbecue. J'ai paniqué quand mon père s'est remis à cuisiner. J'ai passé quatre mois à être hantée quand je passais devant cette cuisine. Les assurances ont trainé. Car le plafond était trop brûlé, trop dangereux. Les meubles, cendrés. Le sol, cramé. Le plafond, en lambeaux. Les paquets de nourritures, noircis. Pas bien drôle. Bref, difficile d'aller aux toilettes la nuit. Le noir et passer devant la cuisine, non merci. J'avoue aussi que j'ai fait un malaise lorsque qu'ils ont soigné ma plaie pour la deuxième fois. M'en fous, suis plus forte que tout. J'ai appris la patience de rester 8 heures dans le hall d'un hôpital. Attendre les visites. J'ai été agressive contre un père lui même agressif malgré notre amour. (Premier je t'aime). Ca lui tapait sur le système, 22 heures de solitude par jour. Même pas droit aux livres, l'encre peut être mortelle. Supportait pas la morphine, était sous doliprane. La blague ? Je me raccrochais à ses yeux verts gris. Sauf quand il faisait un oedème des paupières. Je faisais des rêves érotiques la nuit. Mais quel esprit subtil ! Légère hypomanie. J'ai cru que j'allais tout vivre. Ne me croyais pas indécente. Je vous y verrai. Je vous raconte ça totalement détachée de tout sentiment. Je ne pense pas être égoïste pour ça, mon cerveau a juste fait son travail. Bien, pour une fois. Cependant, la conséquence de cet accident a été une agressivité hors norme pendant 6 mois. Même pas peur des flics. Etranglé partiellement A. Comment une jeune fille frêle comme moi peut avoir cet instinct ? Je suis pourtant si aimante des gens. De toute façon, on m'a mis sous médicament pour canaliser cette agressivité. Ca a du marcher. Je crois que je vais m'écraser dans la douleur. Je panique de ce vide qui m'aspire au présent. Comment je vais tenir jusqu'au 7 août ? Anniversaire de mon frère, rendez-vous chez la psychiatre. Trop loin. Je n'aurai pas du poser ma journée, je suis si seule. J'ai peur. J'ai peur de mes capacités à me détruire. Je n'ai pas envie d'entendre les sirènes de l'ambulance. J'ai soupé. Merci F. C'est un merci sincère. D'avoir alerté les voisins, d'avoir voulu donner mes lettres suicidaires aux ambulanciers, trop forte je te les aie déchirées d'un coup, même si excès médicamenteux et alcoolique. Il m'avait largué ce jour. Le psychiatre des urgences, qui a daigné m'accorder un RDV après 24 heures de perf m'explique. (Tentative d'appel au secours ridicule, pas de lavage d'estomac. Quoique je me demande leur politique maintenant. J'ai connu pire suicidants sous perf. C'est une nouvelle méthode ?). M'explique que, des gens qui se font larguer, ils sont à la pelle tous les jours. Mais des gens qui se font larguer, qui se vident de sentiments pendant 10 heures et se tuent après, sont pas la masse. Sont déjà atteints. Donc bipolaire mixte. Mouais. Il est revenu 15 jours après. Et depuis, on s'aime. On s'aimait déjà. Le tunnel que nous traversons ensemble nous rendra plus fort. Il prouve que notre histoire est l'histoire du monde amoureux. Le soleil nous attend au bord du tunnel. Mais je vais encore me trainer quelques nuages. Pas sages. Et maintenant, je fais quoi ? 12 août 2013. 5ème journée de ré-hospitalisation. La chambre verte. Depuis ces semaines où ma vie m'échappe, je suis retournée à la trappe. Réhospitatilsation, prison. A l'hôpital, destin fatal ? Enfermée dans mes plaies, je m'isole. Camisole. Cette fois ci, je ne serai plus éponge des autres patients, sinon je plonge. Je n'aime plus la couleur verte des chambres. Je ne sais pas quand je sortirai. Je sais tout juste qu'il m'est bien plus difficile ici d'écrire. Les sédatifs font de l'effet, c'est mon bienfait. 13 août 2013. 6ème jour de réhospitalisation. La fuite. Depuis que je suis revenue à l'hôpital, je ne suis plus sûre de trouver l'inspiration d'écrire. Je suis très sédatée, c'est un bon effet, mon cerveau s'accorde une récréation, une séance de relaxation, un Colin Maillard où je ne butte plus. Je suis droguée mais c'est approuvé légalement, donc j'aime la loi. Je me suis fixée le 25 septembre comme sortie définitive. Manière de vivre ma dernière semaine de contrat officiel à mon travail, et mon anniversaire. Et de prendre la fuite à Nantes dès octobre. Fuite des idées. Terre natale. Revivre. Je lis, je lis, je lis, je fais des critiques littéraires. Je crois que j'aime ça. J'aime donc, dans ma vie, autre chose que P. Mon diagnostic officiel est désormais « trouble borderline » qui s'appelle aussi « état limite ». C'est une maladie entre la psychose et la névrose. Selon ma psychiatre, très professionnelle, c'est la maladie psychiatrique la plus grave qui existe. Les médicaments ne peuvent pas faire grandchose, et je serai peut-être soulagée un jour dans de très nombreuses années (vers la quarantaine environ, j'en ai 22). Tant pis, je m'en doutais. Vais fumer ma clope. Je ne réécrirai plus aujourd'hui, chéri vient me rendre visite. 13 août 2013. Enfantillages. Finalement je récris. J'ai vu P. Heureuse de voir P. C'est pour cela qu'on se dit amour-heuse. Pas la peine mélancolique de le voir partir, parce que l'on sait que l'on s'aime, et que mes sédatifs me projettent à nouveau dans quelques projets. La rage, l'aide soignante qui vient qui se permet de nous interdire une accolade et un baiser. A rêver. A l'hôpital, tu n'as pas le droit d'aimer, de serrer fort les gens auxquels tu tiens, de te faire soutenir par ton bien aimé. Tu dois porter ton masque de souffrance continuellement sinon c'est que tu passes pour un touriste qui séjourne gratuitement dans son club med (attention toutefois, la terrasse est grillagée, sait-on jamais que si l'on empêche les amoureux de s'embrasser, ils aient l'idée d'aller faire un saut en parachute). Ici, nous sommes moqués par le personnel soignant, infantilisés, harcelés moralement. Ca me fatigue de colère, c'est pour cela que je n'arrive pas à pleurer le départ de mon ami. Je me suis donc, comme dit précemment, fixée ma sortie de l'hôpital au 25 septembre. Pas encore dit à la psy qui veut me garder 6 mois. Il faudra bien la convaincre. J'ai des projets depuis trois jours. Je n'en avais plus depuis un an. Merci le Tercian, le Seresta, le Norset, le Bacoflène, La vitamine B1 B6, L'effexor, Les cigarettes. Je perds du moi, c'est un lapsus. Je perds du poids. Qui peut manger de la langue de bœuf ou du lapin ? 13 août 2013. Le pitre. En fait, mes calmans refoulent un peu ma douleur. Mais alors, pourquoi suis-je autant en souffrance en ce soir ? J'ai à nouveaux ces idées noires. Je ne me supporte plus. Je ne peux pas être sous sédatif à vie (rien que l'interdiction formelle de conduire...), et si déjà après quatre jours de calmants je souffre l'enfer...mon corps rejette. Je n'ai que 22 ans encore, quel gâchis. Tous ces médicaments dans mon corps qui agitent mon foie, mes reins, ma situation sanguine, mes Gamma GT, mes poumons encrassés, mes carrences alimentaires. Je ne vois toujours pas la fin du chapitre, le pitre. Aidez-moi. Soignants, sauvez-mois. Je me sans danger, salie, souillée. Je suis mouillée de larmes intérieures. Je suis écorchée vive d'émotions brisées. Je suis à marais basse. Je brasse. J'amasse. Je tasse. Toute cette souffrance. Mais je ne peux pas atteindre l'himalaya. Je vais tomber dans un cratère. Je suis claustrophobe de tout, mais aussi de mon corps. Je voudrai que mon esprit aille prendre l'air dans une maison de repos, que mon corps retrouve ses automatismes humains et retrouvent toute sa tête quand elle sera guérie. Mais je ne serai jamais guérie. Maladie grave à vie, je n'en suis même pas fière. Parfois, mal aimée, on quémmande la compassion. Mais je suis outre ce stade, je veux ne plus être écrasée, broyée, saignée. J'offrirai toutes mes économies aux laborentins qui trouveraient mon élixir. Mon élixir, qui me donnerait l'envie de rire, de jouir. Je sais désormais à peu près où je vais dans les mois qui viennent. Mais j'enchaîne les mensonges auprès de ma famille. Je vais être en panne sèche d'argent. Même les soucis matérielles entrent dans la marelle de mes problèmes. Je ne veux pas être marginale. Juste originale, et être sa femme parfaite. Je veux l'aimer de façon à ce qu'il ne souffre jamais. Je veux l'aimer de façon à ce qu'il aime la vie. Je veux l'aimer parce qu'aimer me rend heureuse. Parce que P. me rend heureuse. Parce que P. a la peau douce d'un bébé, de la tendresse de déesse, de l'humour pour toujours, de l'intelligence qui me panse, de la sensibilité qui me donne fierté, et c'est un artiste. Un artiste triste, parfois, mais un artiste de la plus grande justesse sur le sens de la vie, de ses douleurs et bonheurs, de ses extrêmes. Mon P. est une crème. Il faut qu'il le sache. Je suis fière de lui. Je reluis de lui. Je me lie à lui. Je délie mes noeuds face à lui. Je fuis à ma vie s'il n'est pas là. Son existence est mon essence. Chacun de ses passages me permet de remettre le réservoir à espoir. Je t'aime mon amour. 14 août 2013. 7ème jour de réhospitalisation. Aujourd'hui, je ne me sens pas à ma place à l'hôpital. Je sais que je suis très malade, mais je ne me sens pas malade. Je me sens inutile à la société, je ne travaille pas, je glande, je lis. On me nourrit, blanchi. J'ai honte d'être ici, aussi longtemps. J'ai honte quand je leur dis que je ne sais pas comment je vais. Quand je suis tellement sédatée que je n'arrive plus à leur dire : je veux mourir mais avant celà, il faut que mes parents décèdent. J'ai honte de ne pas jouer le jeu des vivants. D'etre en éternelles vacances. J'ai peur de mes finances, de mon mémoire de fin d'études. Je savais déjà que je n'étais rien, mais je faisais le minimum vital pour être une vraie personne. Là, j'ai lâché les rennes et je ne suis qu'un poids à la société. Ca fait un mal de chien. Je n'arrive plus à pleurer ces deux jours, je souris. La douleur est la même en différente. J'ai un paraitre de normalité, je semble donc encore moins à ma place ici. Je ne m'en sortirai jamais, je le sais. Mais il faut que je le vive intérieurement seule. Aucune personne ne peut porter la douleur d'un autre. Aucune personne ne peut comprendre mon moi intérieur. Ma clostrophobie de l'esprit. Le ruissellement de mon cerveau. Les chaînes brisées de mes synapses. L'ouragan de mes idées. Je ne voudrai pas être un oiseau parce que je n'aurai jamais la force de voler aussi longtemps. Je n'aimerai pas être poisson parce que je ne sais que me noyer. Je pourrai être tortue, je suis aussi lente d'esprit. Mon corps maigri, mais où est l'appétit. Ma gorge est nouée, qui peu délier le noeud pour avaler ces infaminités que l'on nous sert ? Je veux manger le baiser de mon chéri, le sel de sa peau. Je veux me frotter à sa barbe de trois jours, embrasser son crâne légèrement dégarni. Oui, je me nourris d'air, d'eau fraîche mais plus que tout, d'amour. Je suis très malade mentalement mais amoureuse. Donc je suis très malheureuse et heureuse. Si je n'étais pas amoureuse, je ne serai que malheureuse. Mon amoureux écrit des chansons qui me font penser aux textes de Francis Cabrel. Il fait fondre mon coeur. Ils font fondre mon coeur. Parfois je voudrai prendre la fuite et voyager. Parce que je suis très impulsive et phobique de la routine et de l'organisation. Pourtant, je panique si je ne suis pas sous ma couette. Je n'ai que des paradoxes. Les paradoxes sont pourtant inimaginables. Ne suis-je qu'une illusion ? 14 août 2013. Vide chronique. Je me rends compte que cela fait une semaine que je suis hospitalisée. J'ai perdu la notion du temps. Suis irréelle, ne comprend plus la vie depuis longtemps. Ne comprends plus les passants, les regards, les bonjours, les bon appétit, les à bientôt, la bonne année, les anniversaire. Je comprend tout juste enfin la bonne santé. Même si certains n'en voient qu'une rengaine vide de sens. Je veux recouvrer ma santé. Ou tout simplement la couvrer. Ne l'ai-je jamais eu ? Je crois que oui. Ce soir, je suis terriblement triste. Je ne veux pas le contact des autres. Je n'arrive pas à pleurer mais je pleure en placebo. Je me sens en vide chronique. C'est un symptôme de ma maladie. Mais ce n'est pas le fait de connaître ce symptôme qui me donne cette impression, comme les hypocondriaques qui se fient aux effets secondaires de la notice. Non, j'ai ce vide chronique dont je ne peux faire la critique. Puisqu'elle est indicible. J'ai peur ce soir, je pleure ce vide. J'aimerai ne pas être à l'hôpital mais chez moi, sous ma couette. Ici, je mange un pain confiture et un yahourt par jour. Ici je dors le drap au dessus de ma tête. Je veux me cacher du monde. Le monde me fait souffrance. Mon moi aussi. Je ne peux pas cacher mon moi, seul le monde à travers l'enfouissement du drap. Alors, je ne suis plus claustrophobe de me cacher dans ce lit froid. Comme tous les lits d'hôpitaux. La vue de la fenêtre est un parking. J'y vois ma voiture. Mais les soignants m'ont pris mes clefs. Je ne peux m'échapper et prendre le large. Les portes sont d'autant plus verouillées à 19 heures. Je suis emprisonnée physiquement, mais surtout moralement. Je suis en désolation. Déshidratation de ma vie. Ma vie, pourquoi. Le big bang, pourquoi. La tristesse et la joie, pourquoi. J'aimerai être le nain simplet qui a un cardiogramme aussi plat qu'un calme paradisiaque. Je n'ai plus la niaque. Je suis très symétrique. Alors pourquoi ma vie est un bordel ? Un appartement qui s'apparente à a Badgag ? Des dossiers administratifs que j'aurai du envoyer en septembre ? Pourquoi la dépression me rend tétraplégique ? Comment P. pourra t-il supporter une femme comme moi ? Comment m'aimer ? Une femme qui ne s'aime pas ne peut pas paraitre aimable. C'est juste une pente qui dégrincole, et qui bricole sur la tangente. J'ai besoin de ma voiture mais ça veut dire plus de Tercian et plus de Seresta. Or, ceux sont mes deux seuls sauveurs du moment. Ceux qui font que j'arrive à ne plus crier en m'étouffant dans mon oreiller. Je vais sortir d'ici en miettes. Mais j'aurai le projet de déménager près de P. Ce projet supplantera l'immensité de ma douleur morale immortelle. La vie est mortelle, alors pourquoi la douleur est immortelle ? Pourquoi je suis comme telle ? Moi, et pas toi, pas eux ? Baudelaire : “Plaisirs, ne tentez pas un coeur sombre et boudeur comme le mien”. Je m'étais appropriée cette phrase. Mais j'ai du mal à redessiner les plaisirs. Baudelaire, où les a tu cachés ? Panse, Panse, Panse moi. Pense, Pense, à moi. Je pense à toi. Chaque seconde de ma vie, chaque pore de ma peau, chaque image dans ma tête. La nuit est en train de tomber. J'ai très peur, cela veut dire que demain je vais me réveiller. Tiens, je vais aller fumer. Bonne nuit comme on dit. Pourquoi se sent–on toujours obligés de dire “bon” ou “bonne” quelque chose ? On ne peut pas avoir l'arrogance de croire que les choses seront bonnes ou non. On devrait plutôt dire : J'aimerai que tu passes une bonne nuit. Je n'ai pas de perm ni de sortie de parc autorisé, je m'emmerde, je m'emmerderai tout autant ailleurs. J'ai peur, merde. 16 août 2013. 9ème jour d'hospi. Etoiles filantes. On nous dit que le monde est petit. Mais moi, je suis tellement seule. Je n'aurai du naitre. Mère a fait fausse couche de ma petite soeur, sans cela, moi et mon frère n'aurions pas suivi. Des peines en moins. Mon frère et moi aurions été de belles étoiles filantes réalisantes tous vos voeux. Je me sens étrangère à l'hôpital. Mal. Rien n'est naturel. La vie est ailleurs, même si, ailleurs, mes malheurs sont les mêmes. Je voudrai être délivrée. La dépression me faisait rendre perfectionniste, désormais elle m'a fait perdre cet artistique. Je fais une ignominie aux patients en question quand je dis que je préfererai une maladie physique à une maladie mentale. 16 août 2013. Où es mon parachute ? Je suis sans parachute. Je claustrophobe cette chambre. La routine qui m'arrange et me dérange dans le “monde réel “ me dérange ici. Je souffre de savoir qu'existe un avenir sans rire, à ternir. Rien n'est terminé, tout est à construire, mais pour tout détruire ? J'aimerai voler pour me crasher, et pour me cracher. Je suis ce désert qui désespère. Je fuis, je réponds : “ Oui merci, je vais bien “. Je mens comme je respire. Je suis une menteuse malheureuse. Tais-toi. Je ferme les volets et m'enfouie sous la taie. J'irai mieux dans une heure ? Un jour, il faudra que je donne une chronologie à ce récit, tout est encore dans le même désordre que ma tête. Il faudra que je commence par “ Il était une fois … “. Mais cela, ce sera pour une autre fois. Pourquoi dormir rime avec mourir ? Taie toi.

  • Quel texte petite Alice ! Oserais-je dire : quel merveilleux texte dans la souffrance. Tout ce pauvre désordre d'alors dans ta tête. Heureusement, tu vas mieux. Il faut continuer dans cette voie, ne lâche jamais la barre surtout !!!! Des bisous !!!!!!!!!

    · Il y a presque 7 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • T'es génial de ton ressenti, cela me touche fortement. Faut que je reprenne ce livre en pensant à ces trois dernières années, que je n'ai pas écrit ;)

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Aurore Rodi (Ancienne Alice Gauguin)

  • Très beau texte. Tu exprimes très bien ce vécu de souffrance si intense. Je connais ! Je te souhaite bien sûr d'avancer sur le chemin de guérison, de compréhension, d'acceptation... bravo à toi!

    · Il y a presque 7 ans ·
    Poup%c3%a9e des survivantes

    Natacha Karl

    • Je t'adore ma Natacha, peut-être un jour je le mettrai en livre, pour continuer sur ta lancée ? :)

      Depuis 2013 je suis mieux et différente qu'avant. Mais me relire me rappelle combien la vie est fragile;

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Aurore Rodi (Ancienne Alice Gauguin)

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