Comment Milie faillit être mangée par un extraterrestre
Stéphane Monnet
Milie n'aurait jamais dû ouvrir cette porte. Son papi avait été très clair : "Milie, tu peux venir au Centre de Recherches Ultra Secrètes, mais tu ne devras toucher à rien. M'entends-tu ? Et passe cette combinaison." Milie avait pris la combinaison au pantalon trop long pour elle et avait promis. Mais Milie tenait rarement ses promesses.
Si elle avait fait l'effort de lire les avertissements qui clignotaient de part et d'autre de la porte : "attention, danger !", "personnel habilité exclusivement !", "short obligatoire", elle aurait sans doute renoncé. Mais elle ne voyait que la poignée, ronde comme une grosse fraise et qui semblait lui dire : "Ouvre-moi, Milie, ouvre-moi !"
Cette porte donnait sur un monde tellement étrange et coloré qu'elle ne s'était pas contenté d'y jeter un coup d'œil : elle avait fait un pas, puis deux, puis trois... Des petits pas un peu effrayés mais des pas quand même. La nature, tout autour d'elle, ne ressemblait guère à ce qu'elle avait l'habitude de côtoyer dans le jardin de sa grand-mère...
Il y avait bien des espèces de champignons mais ils étaient énormes, la dépassaient de trois bonnes têtes et possédaient un bras avec lequel ils soulevaient leur chapeau quand vous passiez à proximité.
Il y avait bien des espèces d'oiseaux, mais il semblait ne savoir voler que tout droit si bien qu'ils arrivaient d'un côté et repartaient de l'autre et on ne les voyait plus jamais.
Il y avait bien des espèces de nuages, mais ils sentaient la barbe à papa à trois kilomètres et ils descendaient tellement bas que vous pouviez les toucher et les caresser comme des moutons sans pattes. Et si vous étiez comme Milie, attirée par tout ce qui ressemble à une confiserie, vous en auriez attrapé un pour en briser un coin avant de l'engloutir comme une affamée.
"Faut pas vous gêner !", aurait-il grommelé avant de reprendre de l'altitude. Et Milie battait des mains devant tant de nouveautés. "Tu es plus doux que tous les bonbons que j'ai mangés !", lui avait-elle crié avant qu'il ne fût trop haut dans le ciel. Le nuage avait rosi avant de disparaître.
Les lèvres encore brillantes de sucre, Milie avait repris son chemin. Elle marchait depuis un moment dans un grand pré couvert d'escargots montés sur des chariots à moteur et qui zigzaguaient devant elle en pétaradant quand elle entendit des pas de course derrière elle. Un peu peureuse, un peu surprise, elle se retourna et se retrouva nez à nez, enfin l'expression n'est pas appropriée car la créature qui se tenait devant elle avait beaucoup de formes et de protubérances mais rien qui ressemblât à un nez.
"Bonjour, toi, qui es-tu ?, gargouilla-t-il car sa bouche ressemblait davantage à un chaudron rempli de légumes qu'à une bouche pour parler.
-Je suis Milie, et toi, t'es qui ?
-Le grand extraterrestre qui va te manger !
-C'est quoi un granextraterrestre ?
-Peu importe, je vais te manger.
-Et pourquoi veux-tu me manger ? Je ne suis pas une tagada !
-Je mange tout ce qui porte un pantalon.
-Alors tu peux pas me manger.
-Ah non ? Et pourquoi donc ?
-Ceci n'est pas un pantalon, c'est un pantatrolong. Ça n'a rien à voir."
Devant la mine sérieuse de Milie, l'extraterrestre explosa de rire et son rire était si terrible que la terre trembla. Il hoquetait de tous ses pores et en pleurait des larmes grosses comme des girafes. Quand enfin il reprit son calme, son repas avait disparu, Milie s'était échappée et déjà elle avait retrouvé son grand-père et lui racontait comment un extraterrestre avait failli la manger.