Parfums de meutre

alexandra-ahah

Synopsis

M. Dumont, maire d’Alpengen, petite ville provinciale sans histoires, est retrouvé mort étranglé, sur le parking d’une boîte de striptease dénommée « Papillons de nuit ». Deux flics : Grégoire Latorche, à quelques mois de la retraite, vieux briscard désabusé et son nouvel acolyte, le jeune Frédéric Ulman, vierge de toute investigation de la sorte, mènent l’enquête. Qui de Maggie, stripteaseuse de son état et maîtresse du notable, Mme Béatrice Dumont la femme bien sous tous rapports ou du gérant louche du « Papillons de nuit », est impliqué dans cette sombre tragédie ? Après des débuts d’enquête révélant la blancheur des protagonistes, une histoire de parfum va aiguiller le flair du vieux flic sur la piste de la femme du macchabé. Sauf qu’une tentative de meurtre par balle à l’encontre de la femme pourrait remettre en cause ces doutes… Mais ce serait compter sur l’incompétence ou la naïveté au choix de Latorche, caractéristiques qui ne figurent pas à son palmarès.
Les dits soupçons révélés plausibles à l’aide d’une expérience scientifique, Mme Dumont et Maggie la maîtresse sont confondues lors d’une ultime confrontation en présence des deux flics. Elles avouent tout : elles sont tombées amoureuses l’une de l’autre et l’élimination de l’homme représentait leur unique chance de pouvoir vivre leur amour au grand jour.

Parfums de meurtre (extrait)

Commissariat de la ville d’Alpengen, 7h32.
- Qu’est-ce que tu fais à te trémousser comme ça Frédo. T’as des vers ou quoi ?
- Ce n’est pas ça chef, je reste actif c’est tout. Je fais un peu de rangement dans les dossiers, j’en profite pour les lire et m’en imprégner. Je m’entraîne quoi !
Grégoire, les joues mal rasées et les yeux entrés dans ses orbites comme pour se cacher de la lumière et de la réalité de la vie, était avachi sur sa chaise, les mains posées sur son ventre légèrement rebondi quoique bien moins que la plupart des hommes de son âge. Regarder la nouvelle recrue du commissariat dont il était en quelque sorte le chaperon – enfin c’est de dont il avait l’impression plus que d’avoir un adjoint – le fatiguait. C’était peut-être son optimisme ou sa jeunesse ou un peu de tout ça qui l’énervait. Grégoire se rappelait qu’à ses débuts, lui aussi était tout feu tout flamme, il avait soif de justice et d’affaires savamment résolues. Mais toute cette énergie pour quoi au fond, hein ? Des interrogatoires, des petits voyous du vendredi soir, des vols de téléviseurs, des chauffards ivrognes qui se prennent des poteaux…  la misère de vies ordinaires, dans une ville ordinaire. Aujourd’hui, il n’aspirait qu’à une seule chose : se retirer, mettre les voiles, prendre sa retraite quoi. Dans quelques mois, il s’installerait avec ses trois chats dans ce joli petit chalet qu’il s’était offert. L’air frais, un potager, le calme et la tranquillité. Finies toutes ces conneries.

Le brigadier, en charge de l’accueil ce jour là, glissa sa tête subrepticement par l’entrebâillement de la porte : « Chef, j’ai un cas pour vous. Un vol.  La plaignante est là pour faire sa déposition. ».
A ces mots, le jeune Frédéric Ulman, fraîchement sorti de son école de police avec les honneurs de la maison, redressa la tête comme un chien ayant reniflé l’odeur alléchante d’un os fumant. Aux aguets, il se sentait prêt à endosser toutes les responsabilités que sa fonction lui imposait. Entre l’annonce du brigadier Michodeau et l’entrée de la victime, Ulman avait adopté une attitude digne, censée exprimée l’écoute attentive et le respect. Le vieux Grégoire avait, quant à lui, à peine bougé. Repérant l’excitation du jeune, il fit un mouvement du menton signifiant à Ulman qu’il pouvait mener la déposition. Le jeune flic se leva de son fauteuil et accueillit la vieille femme qui se présentait à eux. Il lui tendit son bras pour l’escorter solennellement à la chaise des plaignants - que Grégoire Latorche aimait appelée «la pleureuse » - postée devant l’ordinateur qui enregistrerait la plainte.
« Je suis vieille mais pas grabataire jeune homme. J’ai fait dix kilomètre à vélo pour venir jusqu’ici, figurez-vous ! Je n’ai donc pas besoin de votre bras pour me déplacer mais de votre tête pour trouver le malotru qui m’a volé ! ».
Sur ces mots, le vieux flic briscard eut comme un éclair de malice dans les yeux. Parfois le métier lui offrait de bons moments de rigolade et il sentait que là, ça allait être le cas. Cette petite vieille avait l’air d’avoir du répondant. Il se repositionna sur la chaise, dans une posture plus ouverte et écouta l’échange entre son jeune poulain et la victime. Il était question d’un vol à son domicile. Pas grand-chose à vrai dire, rien de valeur ou de coûteux mais par principe elle préférait porter plainte racontait-elle.
- Alors vous me dites, que le voleur est entré par effraction chez vous, à l’aide d’un pied de biche ? Avez-vous contacté votre assurance ?
- Oui et oui !
- Que vous a-t-on volé ?
- Un carnet de timbres, la lampe posée sur le guéridon de mon entrée et une ménagère Ikea.
- Une quoi ?
- Une ménagère, vous savez des cuillères, des fourchettes, tout ça. Je l’ai achetée chez Ikea mais je l’avais arrangée dans une jolie boîte chinée dans une brocante. Cet abruti de voleur a dû penser que les couverts étaient en argent ! Tu parles, elle m’a coûté vingt-neuf euros !
- Merci pour ces détails, ça peut être utile (A cette phrase Grégoire sursauta légèrement en se demandant bien à quoi cela pourrait être utile. Pour équiper son appartement à la rigueur ?).
- Et c’est tout ?
- Oui et c’est bien suffisant. Bon vous allez relever les empreintes chez moi ? L’arrêter ? Combien il risque ?...
Alors que la vieille posait ces questions à Ulman qui tâchait d’y répondre le plus sérieusement possible, le même brigadier que plus tôt, se présenta de nouveau à la porte. Il semblait nerveux. Il demanda à Latorche de sortir quelques minutes : il souhaitait lui parler en privé.

En revenant dans son bureau, la vieille et Ulman avait l’air d’en être au même point que quinze minutes plus tôt. Sans trop de ménagement, Latorche annonça que le temps de la déposition avait été largement dépassé. « Et oui madame, devant la recrudescence des actes de malveillance et des effectifs policiers toujours plus restreints, nous sommes obligés de limiter le temps de déposition mais aussi d’interrogatoire ». Sans chercher à en savoir plus, la petite vieille partit quasiment illico et referma soigneusement la porte derrière elle comme si elle avait deviné qu’une affaire de la plus haute importance allait être traitée.
Frédéric Ulman affichait un air de dégoût et de profonde déception. Il ouvrit la bouche pour faire remarquer à son chef son manque de courtoisie mais fut stoppé dans son élan par le ton grandiloquent de Grégoire Latorche qui lui annonça une nouvelle affaire : un meurtre !

Sur le parking du club « Papillons de nuit » à la sortie d’Alpagen
Les deux flics reluquaient par les vitres de la Mercedes. Y gisait un homme d’une cinquantaine d’années, la langue pendante, les yeux grands ouverts. Ce n’était pas beau à voir. Le jeune Ulman essayait de cacher tant bien que mal son malaise : quelques éructations sortaient de sa bouche qu’il dissimulait mal derrière une toux factice. C’était la première fois qu’il voyait un homme mort pour de vrai et pourtant il en avait ingurgité des séries policières.
Aux côtés des deux hommes, se tenait le médecin légiste. Pour lui, la cause du meurtre - il avait utilisé le terme et haussant légèrement la voix pour signifier la gravité de la situation – était, sans aucun doute possible, la strangulation. Il ferait tout de même les analyses appropriées dans ce genre de cas mais il était catégorique : la victime, le maire d’Alpengen, avait été tuée à l’aide d’un tissu synthétique. Il en saurait plus après l’autopsie et les tiendrai rapidement au courant.
Merde, c’est vrai ! Latorche venait de réaliser : c’était le macchabé du maire qu’il avait sur les bras, et sur le parking d’une boite de strip encore… Ils allaient devoir être efficaces et trouver au plus vite le coupable s’ils ne voulaient pas avoir la mairie et toute la ville sur leurs dos.

Après le départ du médecin légiste et de son cadavre, Ulman et Latorche restèrent sur le parking. Latorche tournait autour de la voiture comme un chien policier cherchant de la dope. Ulman le regardait faire, ne comprenant pas ce que son chef fouinait au juste et ne sachant pas quoi faire lui-même.
Après quelques minutes d’inspection autour de la scène du crime, Latorche demanda à Ulman de le suivre. « Dis-moi Frédo, qu’as-tu remarqué de particulier sur la scène du crime ? ». Ulman, malgré sa gêne, dut admettre que rien de particulier n’avait attiré son attention. Mauvais point pour un flic, souffla Latorche. Puis d’ajouter : « Et bien ça Ulman, c’est la preuve que le crime a été non seulement préparé mais que la victime connaissait son meurtrier. Et je dirai même qu’elle avait confiance en lui ».
Bien que n’ayant pas tout compris, le jeune suivit son supérieur qui se dirigeait vers l’intérieur du club. Latorche, quant à lui, ressentait comme de l’enthousiasme. Enfin une vraie affaire ! De quoi finir en beauté sa carrière.

Le gérant, accablé par la mauvaise publicité de ce meurtre, accueillit les deux flics dans son bureau pour répondre à leurs questions. Oui il connaissait la victime. M. Dumont était un client très régulier du club. Il venait depuis des années, avait testé les danses privées de chacune des filles et ne lésinait pas sur les pourboires ni sur les consommations d’ailleurs. Gaston Hostinacq n’avait aucune idée de qui pouvait lui en vouloir à ce point, ni pour quelle raison. Bien sûr, c’était un politique, il avait sûrement des ennemis mais enfin, remarqua-t-il à juste titre selon Grégoire, Alpegen n’est pas Miami. Les hommes d’ici, qu’ils soient dans le business ou dans la politique ne traitaient pas de sujets suffisamment compromettants ou importants financièrement pour présenter un quelconque danger de mort. Quant au soir du meurtre, il n’avait rien vu, rien entendu : il travaillait à sa compta, leur confia-t-il d’un geste montrant une pile de feuilles de papier remplies de chiffres. Les deux policiers le remercièrent et l’informèrent qu’ils reviendraient interroger les stripteaseuses  avant leur « service » le soir même.

En sortant du club, Ulman remarqua une jeune femme fumant une cigarette sur le côté du bâtiment. Elle avait l’air de fixer du regard le parking et la voiture de la victime. Autant commencer le boulot avec les stripteaseuses immédiatement, lui proposa Latorche.
- Je connaissais effectivement Dumont. Au-delà du fait qu’il était le maire de notre charmante commune. Avant il venait une fois tous les quinze jours. Et depuis trois mois, c’est quasiment tous les soirs qu’il se pointait. Il était tombé amoureux, enfin c’est ce qu’il semblait.
- De qui ? demanda Grégoire
- De Maggie, la nouvelle. Une vraie beauté. Sympa en plus ! Un soir elle m’a refilé tous ses pourliches pour que je puisse prendre un taxi. Ma voiture était tombée en panne ce soir là. Faut dire, avec ce qu’il lui donnait le vieux Dumont, elle n’en avait pas besoin. Il la couvrait de bijoux et d’argent.
- Elle profitait de ses largesses en somme, commenta Ulman qui fut affublé d’un regard de travers de la part de Latorche qui n’aimait pas les remarques subjectives pendant les interrogatoires.
- Donc, reprit Latorche, il était amoureux. Et elle ?
- Elle aussi. Enfin c’est ce qu’elle nous disait. Mais je la crois, depuis qu’ils sont ensemble, elle est différente, plus heureuse je crois. Par exemple, elle pestait de moins en moins contre les ivrognes qui essaient de nous tripoter après les shows.  C’était comme si ça lui passait par-dessus la tête. Et pourtant ils peuvent être particulièrement lourds, je vous le dis moi…
- Et sinon, continua-t-il en ne lui laissant pas pérorer plus longtemps sur le sujet des libidineux, vous lui connaissiez des ennuis, des ennemis ?
- Mis à part ses dettes au club, je ne vois pas.
La conversation achevée, Tina écrasa sa cigarette et rentra dans le club. Les deux flics satisfaits de leurs premiers témoignages s’engouffrèrent dans leur voiture. « . La journée ne faisait que commencer...

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