Paris
bobo29
On n'existe pas à Paris. On ne vit pas, non, on est tout juste là, mécaniques et stupides, bercés par la valse du métropolitain et des autos qu'ils soient cars ou qu'elles soient mobiles. Le métro, tiens, parlons-en de lui, le métro cet abattoir humain, où se meuvent mille et un troupeaux de bétail abrutis, d'abord par le spectacle son et lumière et puis par eux-mêmes. Ces morceaux de chair suintant un coup la misère, un coup l'opulence mais tous avariés comme de la vieille viande. Faire les viandes, ils savent le faire tiens donc, se faire rôtir la carcasse à Bercy ou au Luxembourg. Ah… Les damnés du métro transpirant de médiocrité, toujours pas mort, presque fantôme. Le métro est une putain, nous sommes ses enfants. Dans ses entrailles sous terre, on court vers la lumière mais on le sait bien que l'enfer c'est pour nous, c'est promis. Fallait pas se vendre au Satan comme on l'a fait, en somme c'est mérité, quand l'invité sonne à la porte l'hôte ouvre. Quand on remonte c'est la ville. On se croit sauvés, ça crie et chante, ça marche et danse, ça hurle de vie, c'est donc bien qu'il faut y croire à sa résurrection et faire comme eux, les gens du dehors.
Alors faut bien se dire, moi dans ce marasme, bien vivant et pas mort du tout je me suis un peu senti comme le dindon de la farce. « Alors c'est ça Paris ?! » Que je me suis dit. Des tas de belles choses et puis rien en dedans ? Rien que de la carcasse ? Rien que du moisi et du pas mangeable ?
Fallait m'y voir moi, jamais sorti de ma province, jamais vu la Tour Eiffel même, me trémousser dans ce fichu bourbier. D'un côté j'en avais plein les pupilles, de l'autre plein la caboche et pour tout dire, j'en avais aussi plein les pattes. L'air était sec un jour, le lendemain j'en avais jusqu'aux os de trempés.
C'est pas moi qui ai voulu venir, que je disais, c'est les autres qui voulaient plus de moi. Je les avais pas bien tourmentés pourtant, juste ce qu'il fallait pour voir du pays et de manière subventionnée. J'avais une mission, oui, en venant à Paris, mais fichtre ! J'avais une bourse remplit jusqu'au dernier sou, j'allais pas me gêner pour la faire maigrir !
Je ne trouvais pas le sommeil les premiers soirs. La chambre que je venais d'emménager était courte et peu large, on n'y passait pas à deux. Pour être sombre elle l'était, blanc cassé les murs, marron bois tout le reste, bétonnée, vétuste et à la propreté douteuse. Fallait pas avoir peur des blattes dans ce taudis. En revanche la vue aurait pu être pire, des arbres et du ciel quand on était couché dans le lit, mais ils ne couvraient pas le bruit du RER B qui passait tout près.
Les jours qui suivirent furent pluvieux, une pluie apocalyptique, celle qui transperce tout jusqu'à l'esprit. J'allais imploser dans mon réduit quand le soleil daigna darder ses rayons sur nous. C'était pire. Plus d'air, plus de vent, le Sahara à ma fenêtre. Epuisant. Cette maudite étoile se révéla plus perfide encore que les nuages. Un four, cette ville était un four. La folle aventure ne tenait pas ses promesses. Bien qu'exténué, je ne trouvais pas le sommeil, les nuits passaient, longues, étirées comme un élastique sur le point de rompre sans pourtant jamais céder.
Je n'en pouvais plus, alors un soir j'y suis allé de plus près la voir, moi, la nuit parisienne. Somme toute quand il fait nuit toutes les villes se ressemblent, grises, ternes et fardées de lumières jaunâtres. La rumeur des bars parviennent par saccade, ce tumulte lointain de la masse ivre de joie qui perd ses deniers pour oublier. Plus elle paye, plus elle oublie la masse, elle s'abrutit de joie pour fuir le néant qui la guette. Le désespoir c'est pas commode, elle en veut pas, elle le laisse aux autres. On ne peut le nier, elle est généreuse la masse, elle donnerait sa chemise à n'importe qui pourvu qu'elle soit sale et malodorante.
Je marchai donc vers ce tumulte, j'en voulais aussi de la joie à trois euros le verre. Je parvins rue Mouffetard, origine des clameurs. Ca mangeait à droite et buvais à gauche. Certains trinquaient au sang d'autres à la pisse, chacun son breuvage selon son rang. A vrai dire, un spectacle de grande composition, un chef d'œuvre social tant les acteurs y tenaient bien leur rôle. On tombe pas le masque en société, ça ne se fait pas, c'est pas correct. On ne peut pas tricher comme ça en société, on a des règles, il faut les respecter. Et puis c'est effrayant ce qui a là-dessous, on n'a pas idée, faudrait pas en demander trop aux autres de nous voir tel qu'on est, des fois qu'on serait triste en dedans on gâcherait la fête.
Les femmes sont belles quand elles sont en joie, celles du trottoir de gauche comme celles de droite. Non qu'elles ne le soient pas d'habitude, faut pas s'y méprendre mais une femme heureuse ça vous emplit l'air de poèmes et puis de parfums, ça donne le ciel aux sous terrains. Vous vous sentez l'âme agile et sucrée comme un pot de miel. Les hommes heureux ils n'éclairent rien, ils écrasent de peur que leur prochain veuille leur voler ce bonheur si précieux.
Elle, elle n'était pas heureuse. Point de bonheur sur ses petites pommettes, non, pas une once. Le bal des pendus, c'était le nom du bar, tout un programme. J'aurais pu l'ignorer, c'eut peut-être été ce qu'il y avait de plus décent à faire. Aborder quelqu'un comme ça, en pleine concertation avec son cocktail aurait pu passer pour déplacer mais une force en moi, comme si un crochet m'avait happé par l'estomac, me poussait vers elle. Je la regardai longtemps avant d'entreprendre la conversation, j'avais pas l'habitude.
Elle hochait à peine la tête à mes interrogations. Quelques mots et d'autres moues plus tard, l'agacement allait me faire quitter la scène quand elle me proposa une balade au clair de brume. Surpris ? Un peu que je l'étais, mais « soit ! » me dis-je, « marchons ! » Nous déambulâmes de pavé en pavé sur quelques rues comme ça. A la croisée de plusieurs petites veines qui composent si typiquement certains quartiers parisiens, se nichait un restaurant basque, une adresse qu'elle connaissait et qui parut tenter son appétit et sa soif. Au fur et à mesure des bouchées, son chagrin dont elle ne m'avait pas communiqué l'origine prenait le large calmement.
Revenus vers Mouffetard, repus, nous apparut comme tombé du ciel un petit pub aux accents folkloriques. Le genre d'endroit pas vraiment beau, plutôt moche même mais charmant dans le genre vieille pierre, mur décrépit et nom de poète en guise d'enseigne. Un escalier en colimaçon menait à une salle en sous-sol où nos prîmes nos quartiers. Jamais je n'avais vu si étroit et si peu stable escalier. Pour sûr qu'à deux on n'y passait pas ! C'était une bien belle femme quand elle souriait et puis bien élégante dans sa robe à fleur. Paris elle n'avait connu que cela, depuis toujours. Quand elle riait on ne pouvait pas y manquer, ça s'entendait, si bien que je me mis à l'aimer son rire. Il est limpide le rire, il frappe les murs et les peint de sa musique, même les plus mornes. Plus elle parlait, plus j'en savais sur sa vie et moins sur son cœur. Je buvais ses paroles en bon écolier qui écoute son professeur. Les minutes défilaient, elle me nommait des lieux, des rues, des venelles et des avenues, tout un tas de noms inconnus pour moi mais si précieux pour elle. Elle me fit parler moi aussi, je lui racontai les champs, l'océan, les ardoises des toits de ma province et ses chants. J'y mis tant de passion qu'elle ne put refouler un petit sourire moqueur à la fois tendre et teinté de cette réprobation que l'on fait à un enfant quand il pêche par excès de naïveté tout en ayant voulu bien faire.
Je ne sais pas comment elle s'appelait, j'aurais dû le lui demander. Sur le moment je ne pus le faire tant il y avait d'histoires à se raconter.
Quelques jeunes gens, venus boire leur argent de poche que père et mère leur avait donnés, gardaient l'entrée agrippés sur leur cigarette. A leurs yeux brouillés par la vigne et le houblon nous étions un petit couple. J'engageai la discussion, j'eus tort. Il ne faut jamais parler de politique devant un pub, jamais. Le plus grand de tous, commença à soutenir sans la moindre vergogne des thèses douteuses aux relents d'un fascisme qu'il niait tout en le revendiquant. Ses propres compagnons, plus modérés que lui, le contredisaient. Le ton ne tarda pas à perdre de sa cordialité. La pression neuronale semblait si forte à supporter pour lui que la fuite nous parut une issue plus que raisonnable.
Ce choix de fuir, ne nous était pas réellement accorder puisque le dernier RER nous ramenant en banlieue voyait son heure arriver. Elle que je ne connaissais pas, dans cette ville que je ne connaissais pas, je lui parlais comme si mille ans nous liaient. Quelle étrange sensation que de se sentir lié à l'inconnue. Elle s'esclaffait, et son rire par-dessus la ville embaumait le ciel et les étoiles avec. Paris changeait d'aspect sous ses pas, chacune de ses foulées colorait la nuit. Même le métro ne suintait plus. C'est tout blanc le métro en fait, presque lumineux. Son horreur n'émanait pas de lui mais des sales pensées qui me gangrénaient. Cette fille-là, dont le nom m'échappera, de vie à trépas, toute la crasse de mon esprit elle la récurait si bien que c'en n'était pas humain. Paris qui n'avait pas changé me parut tout autre, je ne la voyais plus avec mes yeux mais par les siens. Sa présence appliquait un filtre ma vision qui bifurqua radicalement du dégoût à l'émerveillement. Je m'en rendais compte, la solitude consume l'être, nous ne savons pas être seuls et n'avons pas à l'être. Le monde n'est noir qu'en nous, quand nous fermons les yeux le soir pour y voir au fond de notre âme mais en regardant vers les autres, juste en ouvrant les paupières on peut réussir à voir le soleil briller à travers la brume. Etre seul, plus qu'une mort, une sale vie, un virus acharné qu'on se traine, qui détruit les cellules une par une, à petit feu. A petit feu oui, ce serait si fâcheux de partir si vite sans avoir eu à saigner toute la peine de son corps.
Ainsi en sortant du métro, en remontant vers la vie et les lumières dorées des lampadaires, une fleur a éclos, une seconde naissance tardive que je n'attendais plus. Je n'avais pas trouvé le sens de la vie, encore moins de la mienne, je n'avais pas rend le monde meilleur, je n'avais aidé personne au contraire on me donnait, sans arrière-pensée on m'offrait une chance. Laquelle ? Celle de ne plus croire en la vanité des petites choses. Nous pouvons rêver grand sans perdre la joie des petites choses.
Dernier arrêt de RER. On se regardait dans le fond de la pupille. Nous descendîmes les marches qui menaient de la gare à la rue. Elle habitait d'un côté, j'habitais de l'autre. Nous nous sommes plantés bien en face l'un de l'autre. Puis nous ne dîmes rien. Un sourire tout au plus dans ce dialogue d'âme à âme où la parole n'était plus conviée. Les mots vont et viennent dans l'air, du son, des vibrations, on les oublie alors qu'un regard, l'empreinte qu'il laisse on ne l'efface pas. Nous restâmes là bien longtemps sans mot dire puis ils revinrent, les mots, d'abord peu puis en flot continu. Le temps ne semblait plus passer, « l'infini a peut-être triomphé » me dis-je bien que je me rendis compte que j'étais bien candide de croire cela. Quand nous n'eûmes plus assez de salive pour articuler le moindre son elle se retourna et s'enfonça dans la nuit. J'aurais pu faire bien des choses mais je n'ai pas bougé. J'aurais pu traverser la rue et la suivre mais je n'étais pas César pour franchir le Rubicon. Je la vis partir puis disparaitre. Je fus de nouveau seul. Une petite lumière pointait sur l'horizon, l'aurore. Un nouveau jour commençait.
Merci beaucoup :) J'avoue ne pas savoir quoi répondre ça me touche vraiment beaucoup votre ( ton ? ^^ ) commentaire :)
· Il y a environ 8 ans ·bobo29
C'est vraiment beau. À la base j'avais tapé "regards" en recherche, et le seul texte qui m'a réellement accroché est celui-ci. J'ai pensé un peu à du Brel au début, avec une écriture poétique et rythmée à la fois. Les métaphores sont aussi très parlantes, criantes même. Bref, ça a fait écho en moi. ... Tu ( vous ? ) a réussi à retranscrire un pan d'éternité dans le quotidien/la découverte, et à ancrer le lecteur dans cet univers.
· Il y a environ 8 ans ·Bref, désolée pour mes formulations maladroites mais c'est un coup de coeur pour moi.
Donc la dernière chose à dire serait ... Bravo :) ( et je m'arrête là )
june
Bonjour, d'abord merci d'avoir pris le temps de lire et de commenter ma nouvelle. Je prends note de votre remarque car je crois que vous avez raison. C'était un parti pris de ne pas beaucoup développer les personnages, je souhaitais qu'au-delà de l'identification le lecteur se sente personnage et par-là développer le/les personnages me faisait entrevoir le risque d'empêcher cette fusion entre le lecteur et le personnage qui, en tout cas tel était mon but, doivent être une et même personne. Je souhaitais que le lecteur ne se sente non plus identifier au texte mais soit le texte et vive le texte comme s'il eut l'impression que le texte n'avait pas été écrit pour qu'il le lise mais qu'il s'écrive parce qu'il le lit de telle sorte que le texte sorte de son aspect fini qu'est le fait d'écrire pour entrer dans un mouvement de perpétuelle réécriture au gré du lecteur et des lectures. Voilà j'espère avoir pu vous éclairer sur mes intentions et vous remercie une fois de plus pour votre remarque très pertinente. :)
· Il y a environ 9 ans ·bobo29
J'ai trouvé cela très beau. Cependant, vous auriez du, à mon sens, développer ce dont les 2 personnages ont parlé pour leur donner encore plus de profondeur.
· Il y a environ 9 ans ·Isabelle Polle