Paris mon amour

claire-de-lune

Synopsis :

Mathilde est un peu perdue. Joaquim, un homme de onze ans son aîné, lui a fait découvrir le Paris sombre des matins sans sommeil. Même si leur histoire s’est finie quelques mois auparavant, elle ne peut s’empêcher de penser encore à lui, parfois, quand la nuit tombe, et que les livres s’entassent au pied de son lit. Pourtant, elle a reconstruit son bout de vie sans lui. Il y a Lucie, son amie musicienne, à qui elle semble plaire dangereusement, et qui l’emmène dans des soirées incroyables. Il y a Paul, le pilote d’avion, qui lui ramène des cartouches de cigarette à chaque escale. Il y a aussi sa sœur qui vient de s’installer à Paris, et quelques copains sympas par-ci, par-là. Et puis, Mathilde a trouvé dans son nouveau poste de chef de projet des collègues de travail adorables. Alors oui, elle a tout pour oublier Joaquim, mais d’abord, il faut qu’elle se perde un peu dans cette nouvelle vie de ruelles éclairées et de fêtes improvisées.

Au bout de six mois, Mathilde a retrouvé son grain de folie et ricane de nouveau quand les voisins d’en face oublient de fermer les rideaux ou que Victor, véritable tête en l’air, enfile deux chaussures différentes le jour où il doit faire une présentation devant tous ses collaborateurs. Après quelques aventures aux lendemains sans plaisir, elle prend conscience qu’elle est de nouveau prête à tenter une nouvelle relation. Malheureusement, le Grand Amour ne frappe jamais à la porte quand on le souhaite, ou en tout cas Mathilde ne voit personne qui pourrait tenir ce rôle autour d’elle. Le gentil voisin, trop facile. Le vieux copain un peu amoureux, trop triste. Le collègue de bureau, trop dangereux. Mathilde part en mission à Londres pendant deux semaines, et dans l’avion, et même un peu avant sur les sièges d’une salle d’embarquement où l’attente se fait trop longue, elle rencontre un homme à l’accent étranger et aux fautes de français touchantes. Ce péruvien-allemand lui plaît immédiatement ! Elle boit un verre avec lui à Covent Garden quelques jours plus tard. Le courant passe si bien entre eux qu’elle lui propose de lui faire découvrir Paris, et un mois plus tard, il la retrouve dans le jardin du musée Rodin puis la suit à un pique-nique sur le Pont des Arts. S’en suivent des moments formidables, à chaque escale de Pablo à Paris. Mais si Mathilde a chassé de sa vie tous les fantômes du passé, elle n’est pas sûre d’en vouloir un nouveau dans sa vie, toujours entre deux villes et deux avions. Après avoir longuement hésité, elle finit pourtant par donner à Pablo la clé de chez elle, pour que très vite Paris devienne aussi sa ville à lui, et qu’ils construisent ensemble une jolie vie.

Début de roman :

Je pense sans cesse à ce printemps indigeste, une pluie lente de feuilles trop vertes. Sur un banc, dans des rues toutes similaires, au creux d’un lit souvent, à chaque instant de ce premier printemps, Joaquim m’a raconté ses histoires sales. Comment il a hurlé sur sa mère un matin. Avec quelle douceur il a fait l’amour pour la première fois. Pourquoi il aimait boire un verre de vodka grenadine à 16h, alors que dans d’autres appartements, les enfants se réveillaient de leur sieste.

Joaquim avait trente-cinq ans, moi onze de moins, et entre nous il n’y avait pas cette différence d’âge, il y avait les matins sans sommeil et les maisons secondaires en Normandie, les trop nombreux tampons sur son passeport, et mon sérieux de jeune fille. Je venais de Lyon, grande ville, arrondissements, spectacles, province. Cela a pris plusieurs mois pour qu’il détricote tous ses fils de vie et qu’il les emmêle autour de moi. Très vite j’ai eu l’impression que je ne pourrais plus m’en défaire. Tout prenait cette couleur-là, un peu grise, un peu sale, la couleur de ses souvenirs.

Moi je parlais peu, j’écoutais, je touchais, j’acquiesçais. Quand le corps est pris, la tête ne peut que dodeliner. Au début, j’habitais le creux du minuscule, un espace entre son oreille et le bas de sa nuque. Cela me laissait juste la place de demander quand et où, pourquoi et avec qui. Il répondait avec précision, cherchait sans relâche le détail qui expliquerait mieux, m’aiderait à imaginer. Il me faisait boire beaucoup, pour que les souvenirs tapent contre mes tempes lors des matins âpres. Je partais à la fac avec ses images, je souriais à mes copines, je commentais les fêtes et les flirts, j’avais envie de vomir, encore et encore, parce que je voyais Joaquim au lit avec deux filles, des cendres partout sur la moquette bleue.

Mes parents m’avaient laissée partir à Paris pour faire mon master, « tourisme et environnement », ça s’appelait, et ça n’existait pas à Lyon, il fallait aller voir ailleurs si j’y étais. Comme tout le monde, j’ai mis du temps à trouver un appart’, des restaurants pas chers et une caissière sympa à la supérette. Deux fois par semaine, je racontais au téléphone à mes parents les expos que j’allais voir et les nouveaux amis que je me faisais. Puis le printemps est arrivé, ou bien l’oiseau s’est envolé, je ne sais plus vraiment dans quel ordre. Je me souviens juste que Joaquim fumait des tas de cigarettes dans la cour, que je descendais de l’atelier où j’étais en stage et qu’à force d’être des chats de faïence à 10h30 et 15h30 tous les jours, le temps d’une pause à l’air libre, on a commencé à parler.

Vers le milieu de mon stage, il m’a invitée à prendre un verre. J’y suis allée, c’était flatteur et  nouveau. Nous avons fumé quelques cigarettes avant de rentrer dans le bar, il s’excusait d’avance, il n’avait pas d’argent, je devais l’inviter ou le suivre chez lui, là où il y a toujours beaucoup de vin, du whisky, de la vodka et de la grenadine. Je lui ai dit que ce n’était pas grave, « j’ai de l’argent sur moi, je peux payer pour nous deux, ça fait moderne en plus, une fille qui paie, et puis plus tard peut-être on pourra aller chez toi » (mais là, il est trop tôt, il fait à peine nuit, laisse-moi encore respirer un peu le grand air de Paris). Il a souri, ok, allons-y. Deux verres, un billet posé sur la table, des confidences déjà, des rires aussi, oui, allons-y, allons s’aimer dans Paris.

Voilà comment je suis tombée amoureuse pour la première fois dans les rues de la ville-lumière, avec les mains qui tremblent et les pieds qui errent. J’ai passé un peu plus d’un an avec Joaquim, à écouter ses absences, à accepter ses manquements, pour ne pas dire que je les subissais. Nous nous sommes quittés dans un coup d’éclat, mais je ne peux pas en parler maintenant, je crois que l’oiseau du printemps rôde dans le ciel de maintenant. Aujourd’hui, j’ai vingt-six ans, un chat infernal, un poste de chef de projet dans une petite association, deux rates, des petits boutons qui poussent quand il fait trop froid, et des souvenirs d’amours imbéciles. Je me dis qu’avoir relégué Joaquim au rang de souvenir est déjà un bon départ, reste à savoir ce que je saurai faire de la suite.

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