Paris ou Incompatibilité d'Häagen-Dazs

koss-ultane

     Non, rien à voir avec les crèmes glacées dégueulasses. Häagen-Dazs est un de nos nombreux mots de jargons intra-couple. Il signifie “agenda”. Parce que je travaille dans le futile et elle dans le fébrile, un scénariste de BD maquée avec une chirurgienne thoracique volante (comprenne qui peut, je ne vais tout expliquer tout le temps non plus), cela donne parfois des absences de coït sur des périodes prolongées. Ce coup-ci, trois semaines sans se croiser. Dur. Surtout quand le seul point commun que vous partagez avec votre partenaire, c’est la braise. Lorsque se profile une de ces périodes de calme plat dans le calcif, nous ourdissons contre le sort des retrouvailles torrides sous le signe de la couille rabattue et du string éclaté. Jamais à l’abri d’un coup de sucre pendant une de nos séances de tantrisme, pas rare que nous restions collés pendant dix heures de suite, nous avions prévu de nous retrouvez au resto le soir même de nos retours conjugués, elle de sud Afrique, moi de centrale Belgique. On me demande souvent pourquoi mon dessinateur est Belge ? Je ne peux que répondre l’affligeante vérité : parce que je suis snob. Bref, je me sape comme jamais, puisque portant un de ces caleçons que j’exècre d’ordinaire afin de laisser bondir le tigre sitôt la biche ouverte. J’arrive à l’heure mais aperçois qu’elle est déjà là. Je la reconnaîtrais entre Emile. Brune, toute menue, magnifiquement proportionnée, avec un fort goût de chiotte en matière d’homme me permettant de chevaucher cette beauté, moi le laideron sympathique mais terriblement ordinaire. Ses cheveux courts à la Girardot, elle ne peut s’empêcher d’être sexy. Même avec des talons plats, ses mollets sont subliment dessinés. Je me glisse derrière elle puis devant en lui glissant ma langue dans la bouche. Elle me rend mon baiser, symbiotique. Ah ! L’unisson des vieux couples ! Un nirvana inaccessible aux papillonneurs compulsifs et baisouilleurs amateurs. Nos langues scoubidous n’en finissent plus de leur essorage. Machinalement, l’exercice se prolongeant au-delà de la moyenne nationale, j’ouvre les yeux. Dans mon champ de vision flouté, je mal distingue quelqu’un appelant le serveur depuis un petit bout de temps déjà. Pas terrible le service ici, pensais-je. J’en avais gardé un meilleur souvenir. Ma curiosité piquée, je glisse un index gauche mais précis derrière mon oreille et appuie délicatement sur la branche de ma lunette qui élève ainsi son verre correcteur au devant de mon œil torve et myope. L’amour de ma vie, le sourire aux lèvres, secoué d’un fou rire naissant mais déjà bien vivace semble saluer ma performance avec de nombreuses tablées pour public. Saisissant mon erreur, mon mal de rein naissant de cette position à la con prolongée disparaît et laisse la place à une descente de frissons d’échine à la vitesse d’un pet sur toile cirée. Mes lèvres se raidissent, le reste se ramollit, ma langue se durcit et se fige tout à fait. Je recule mon visage d’une trentaine de centimètres afin d’enfin découvrir celui de ma victime consentante. Elle est jolie. Ouf ! Ses yeux rigolent. Re-ouf ! Soudain, je sens une présence moins amène dans mon dos. Cela sent furieusement la demande d’explication maritale à base de fricassées de phalanges dans l’occiput and around. Non. Du tout. C’est une autre jeune femme non souriante à la coupe de cheveux tout aussi courte revendiquant clairement son lesbianisme.

_ Mon second prénom est Elisabeth, dis-je pour ma défense avant de m’éclipser.

     Lèvres pincées, foulée saccadée et braquemard rétracté, je me glisse jusqu’à la table idoine, tribunal indulgent.

_ Tu ne te rends pas compte du choc, plaidais-je, réaliser à mon âge qu’on aurait dû faire lesbienne.

     Ce soir là, je repris deux fois des moules et entérinai pour l’éternité cette vérité première : ni princesse, ni pince-fesse, ni joliesse, rien ne vaut sa gonzesse.

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